Un soulagement souvent spectaculaire

Le traitement des névromes post-chirurgicaux

Publié le 20/09/2010
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1. Nature et caractéristiques

Un névrome est une formation nerveuse anormale, apparue dans les suites d’une lésion nerveuse périphérique le plus souvent traumatique. On parle de névrome cicatriciel lorsqu’il y a eu incision cutanée. Cet amas d’extrémités de fibres nerveuses périphériques déclenchent spontanément ou de manière provoquée, des douleurs paroxystiques de type neuropathique.

En 1974, Wall et ses collaborateurs ont étudié de manière expérimentale la section de nerf périphérique chez l’animal et l’apparition de névrome ( 1 ) : ceci a permis de constater l’existence d’influx électriques anormaux dans ces fibres lésées. Ces activités ectopiques sont corrélées à un ajustement spatial des canaux sodiques impliqués dans l’excitabilité membranaire ( 2 ). Par ailleurs, les nocicepteurs périphériques se retrouvent sensibilisés par ces activités spontanées, à des seuils plus bas que la normale. L’inflammation neurogène participe à cette hypersensibilité des nocicepteurs. De nombreux facteurs sont étudiés pour déterminer leur rôle dans la genèse de ces névromes : le BDNF Brain-derived neurotrophic factor ralentit la formation de névrome sur le sciatique sectionné de rat ( 3 ). Ces mécanismes corroborent ainsi les caractéristiques du névrome. En effet, un névrome correspond à une douleur périphérique à type d’allodynie statique ou dynamique ( douleur déclenchée par un stimulus de sensibilité, pression ou frottement, normalement non douloureux), et d’hyperesthésie ( sensibilité accrue par rapport à la normale).

2. Conditions d’apparition

Il faut différencier la survenue d’un névrome avec celle d’une douleur neuropathique post-chirurgicale, entraînant une douleur le long du territoire du nerf concerné. Il semblerait que l’apparition d’un névrome soit surtout en rapport avec la nécessité d’une cicatrisation de fibres nerveuses périphériques dans un tissu riche en tissu conjonctif, et à risque de fibrose ( 4 ). Dans la littérature, de très nombreux sites chirurgicaux peuvent faire le lit de ces névromes : cervicotomies, thoracotomies, laparotomies, saphénectomies… Parfois, il s’agit de localisations plus inattendues qui interrogent sur leur diagnostic : douleur de l’hypochondre droit après cholécystectomie et image non tumorale vue à l’IRM de prolifération nerveuse sur la cicatrice de cholécystectomie ( 5 ), ou des dyspareunies apparues quelques mois après une épisiotomie qui disparaissent après ablation des névromes retrouvés ( 6). Mais plus généralement, le névrome est plus largement décrit dans les suites d’un geste au niveau inguinal : chirurgie pour hernie inguinale mais aussi canulation fémorale pour circulation extracorporelle, ou cathéter artériel fémoral pour radiologie interventionnelle. Les cicatrices d’amputation de membre sont aussi largement pourvoyeuses de névromes. Une étude chez des victimes de guerre amputées des deux cuisses observe jusqu’à plus de 26 % de névromes. Ceux-ci entraînent des douleurs apparaissant souvent au bout de quelques mois après l’amputation mais pouvant se prolonger jusqu’à 17 ans après ( 7 ).

3. Diagnostic

Le diagnostic de névrome est essentiellement clinique. Spontanément il peut n’exister aucune douleur, mais parfois s’il persiste depuis plusieurs mois ou années, le patient peut décrire une gêne ou un poids à l’endroit de la cicatrice. Les douleurs à type de paroxysmes parfois très intenses peuvent se déclencher de novo ou au frottement, au mouvement. Plier la cuisse sur l’abdomen pour monter une marche peut « envoyer » une décharge électrique au pli de l’aine. Le jet de la douche sur la zone du névrome peut ressembler à des piqûres acérées, tout comme le positionnement de la prothèse sur le moignon d’amputation à un clou que l’on enfoncerait dans le membre mutilé. Les patients savent en général parfaitement décrire les circonstances qui provoquent les douleurs les plus intenses.

L’examen clinique ne retrouve aucune anomalie de visu : pas de signe inflammatoire, pas de défaut de cicatrisation. Mais à la palpation, on déclenche toujours un point gâchette ; au niveau de la cicatrice ou de manière très proche, la pression reproduit la douleur intense, connue du patient, en général sans irradiation, totalement reproductible à chaque pression. À l’effleurement, aux variations thermiques, il est possible de ne pas noter de modifications mais si l’hyperesthésie est très forte, le patient peut ressentir les variations thermiques comme douloureuses sans atteindre l’intensité ce qui est ressenti lors de la pression. Dans la majorité des cas, l’examen cutané, neurologique autour de ce point gâchette est strictement normal.

Bien sûr, il arrive que cette douleur de névrome soit l’un des éléments d’une douleur plus complexe : neuroalgodystrophie de l’articulation voisine, poussée inflammatoire d’une maladie de système, douleurs neuropathiques diffuses liées au diabète ou d’origine médicamenteuse… Il appartiendra alors au clinicien de faire la part de chacune des causes des douleurs sans ignorer la réalité de ce névrome s’il est retrouvé.

4. Traitements

Comme un névrome est lié à une anomalie d’origine neuropathique, ses traitements vont également s’y rapporter. En raison de sa physiopathologie liée à l’hypersensibilité des nocicepteurs, les anesthésiques locaux vont avoir une efficacité très marquée. Devant un diagnostic de névrome, une infiltration sous-cutanée d’anesthésique local, de 5 à 10 ml de xylocaïne à 1 ou 2 %, ou de ropivacaïne à 2 % peut être pratiquée après désinfection locale près de la zone du point gâchette. Cela permet d’authentifier le diagnostic et surtout de faire disparaître la douleur au bout de quelques minutes. En général cette infiltration doit être renouvelée deux à trois fois à quelques jours d’intervalle pour voir la disparition complète de la douleur. Actuellement, il est possible de compléter l’action de ces infiltrations par l’application locale de patch de xylocaïne - Versatis-, à laisser en place douze heures par jour ou de crème d’anesthésiques locaux Emla deux à trois heures par jour.

Toutefois, en raison de l’ancienneté du névrome, ou de contre-indication type allergie aux anesthésiques locaux, il est toujours possible de traiter cette douleur neuropathique par des antiépileptiques à des doses progressivement croissantes pour en éviter les effets indésirables : pregabalin -Lyrica- jusqu’à 300 mg par jour en 2 prises, ou la carbamazépine -Tégrétol- de 200 à 400 mg par jour ou un autre antiépileptique bien toléré du patient*.

La chirurgie pour ablation de névrome a été préconisée il y a des années mais des récidives douloureuses suivant les mêmes mécanismes de cicatrisation étaient fréquemment observées à distance. Des techniques chirurgicales se sont affinées pour éviter ces rechutes ; une étude récente ( 2009) montre qu’il est préférable de ne pas enfouir le névrome dans un muscle mais plus près d’une veine sous-cutanée adjacente pour optimiser le soulagement et la reprise des activités fonctionnelles ( 4 ) ( 8 ).

Les techniques de neurostimulation transcutanée ne semblent pas avoir fait preuve d’une efficacité quelconque dans le traitement des névromes.

Le névrome est une entité bien connue à l’heure actuelle, il peut être source de douleurs très intenses, et aussi d’une altération de la qualité de vie parfois très lourde. Aussi il est important, en fonction de l’anamnèse, de l’interrogatoire et de l’examen clinique de le reconnaître et de le traiter le plus vite possible pour éviter toute chronicisation de cette douleur.

Pas de conflit d’intérêt déclaré.

* Prescription hors AMM

Bibliographie :

1. Wall PD, Gutnik M Properties of afferent impulses originating from a neuroma. Nature 1974 ; 248 : 740-3

2. Devor M, Govrin-Lippman R, Angelides K Na+ channel immunolocalization in peripheral mammalian axons and changes following nerve injury and neuroma formation. J. Neurosci 1993; 13: 1976-92.

3. Marcol W, Kotulska K, Larysz-Bruysz M, Kowalik JL BDNF contributes to animal model neuropathic pain after peripheral nerve trisection Neurosurg Rev, 2007 Jul; 30(3): 235-43

4. Foltan R, Klima K, Spackova J, Sedy J Mechanism of traumatic neuroma development. Med Hypotheses 2008 oct; 71(4): 572-6

5. Ueno Y, Ikeda K, Maeharan M, Sakaida N, Omura N, Kurokawa H, Sawada S Traumatic neuroma of the bile duct Abdom Imaging 2008 sept-oct;33(5): 560-2.

6. Dharmarathna HM, Tripathi N, Atkinson P Painful, traumatic neuroma of episiotomy scar: a case report. J Reprod Med 2007 may;52(5): 456-7

7. Soroush M, Modirian E, Masmommi M Neuroma in bilateral upper limb amputation Orthopedics 2008 dec; 3(12): 853-7.

8. Balcin H, Erba p, Wettstein R, Schaefer DJ, Pierer G, Kalbermatten DF A comparative study of two methods of surgical treatment for painful neuroma J Bone Joint Surg Br, 2009 jun; 91(6): 803-8.

 Dr CLAIRE VULSER Unité d’évaluation et de traitement de Hôpital Européen Georges Pompidou 20 rue Leblanc 75015 Paris

Source : Le Quotidien du Médecin: 8818