Salles de shoot

Les élus locaux se saisissent du débat

Publié le 28/09/2010
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Crédit photo : BSIP

OLIVIER JOUGLA, adjoint au maire (UMP) du Havre en charge de la santé le clame haut et fort : « Ce débat n’est pas un débat hors la loi, nous ne sommes pas un groupe d’élus illuminés. » Lors de la journée de restitution du séminaire organisée par l’association ESPT avec le soutien de la Ville de Paris et de la Région Île-de-France, l’avocat havrais entend rappeler que la légitimité des élus ne peut être remise en cause. « Représentants de municipalité de droite et de gauche », ils sont même, selon lui, les mieux placés pour s’emparer du sujet. En effet, soulignent ces élus, « si la politique en matière de lutte contre les drogues est de la responsabilité de l’État, les collectivités sont comptables de la tranquillité publique et, plus largement, du bien-être de leurs habitants et de l’attention portée à chacun, notamment les plus vulnérables ». Le débat a l’avantage de « replacer l’élu territorial au cœur du débat. La MILDT ne peut plus être le Saint-Siège de la politique dans ce domaine », explique encore Olivier Jougla.

Pendant un an, l’ESPT, qui compte, parmi ses membres, des représentants de villes comme Paris, Lille, Marseille ou Nantes, ont donc procédé à des auditions d’experts et visité deux centres de consommation de drogues à moindres risques, à Bilbao et à Genève. L’objectif était d’éclairer le débat et la prise de décision politique dans une perspective « pragmatique et non polémique », soulignent-ils.

C’est avant tout une « question de santé publique », rappelle Patrick Padovani, adjoint au maire de Marseille, en charge de la toxicomanie et du sida. « Chez nous, la réduction des risques est une thématique que nous connaissons depuis 1995 et la mise en place de la mission toxicomanie par Jean-François Mattei », rappelle-t-il. Marseille compte environ « 1 000 à 1 200 toxicomanes, des SDF en grande précarité qui effectuent leur consommation dans les lieux publics, dans les parcs, la gare, les halls d’immeuble » et, chaque semaine, « entre 400 et 500 seringues doivent être ramassées sur la voie publique », explique l’élu marseillais. Selon lui, les salles de consommation à moindres risques sont une réponse au problème de l’accompagnement de cette population.

La toxicomanie est une maladie.

En Seine-Saint-Denis, le problème n’est pas tant celui de la présence d’usagers consommant sur la voie publique que celui des usagers de crack, mais il est « emblématique de la situation des usagers les plus précarisés », expliqueVirginie le Torrec, adjointe au maire (PC) chargée de la santé. La politique sécuritaire actuelle, observe-t-elle, a des « effets aggravants et mène à l’exclusion des usagers de drogues ». Selon elle, « la loi de 1970, qui a maintenant 40 ans, est usée et dépassée ».

Olivier Jougla partage ce constat en rappelant en particulier les 9 000 à 10 000 morts par an chez les consommateurs de drogues. Si le débat préoccupe les élus, « c’est parce que, aujourd’hui, cette politique marque le pas aussi bien au niveau de la santé publique qu’au niveau du traitement pénal de la toxicomanie », souligne-t-il.

« La toxicomanie est une maladie et on n’interdit pas une maladie. Si tel était le cas, la Sécurité sociale ferait des bénéfices », résume le Dr Laurent El Ghozi, président de l’association ESPT et adjoint au maire (PS) de Nanterre. « C’est au ministre de la Santé de définir la politique de santé, et pas à la MILDT et à Étienne Apaire », insiste-t-il. Les salles de consommation supervisées permettent, avec des « protocoles très stricts », une « prise en charge sanitaire et sociale adaptée des personnes en difficulté ». Les élus soulignent d’ailleurs que ces centres « doivent être intégrés dans une palette complète de prise en charge de la toxicomanie, au côté des autres dispositifs de réduction de risque » et qu’ils constituent, dans ce cas,« un outil d’amélioration de l’état sanitaire et social des usagers les plus désocialisés et les plus précaires, qui, souvent, n’accèdent pas aux soins (baisse des contaminations, des infections et des overdoses, accès aux soins somatiques et psychiques et accroissement du nombre de sevrages) ». De plus, ils sont, affirment-ils « incontestablement un vecteur de diminution des atteintes à l’ordre public » et nulle part n’a été notée « une augmentation de la consommation ou du trafic alentour ».

Nathalie Magnin, adjointe au maire de Gaillard, commune de Haute-Savoie frontalière de la Suisse, située entre Annemasse et Genève, en témoigne. « Notre agglomération est confrontée à la précarité en raison de l’afflux de personnes désireuses de travailler en Suisse. Notre service chargé de la toxicomanie a établi des liens avec la salle de consommation Qui 9 de Genève, qui compte parmi ses consommateurs 25 % de Français », explique-t-elle. Quai 9 est l’un des centres visités par les Élus et l’un des 14 lieux d’accueil de ce type en Suisse. En charge du suivi des actions de santé, elle insiste sur la notion « de réversibilité de la toxicomanie ».

Le débat progresse.

En dépit des conclusions favorables et du soutien de Bertrand Delanoë, qui s’est prononcé, à titre personnel, pour l’ouverture expérimentale d’un centre parisien, aucun élu ne souhaite passer en force. « Nous n’allons pas engager une telle politique sans l’aval de l’État et le soutien de la police », précise aussi Patrick Padovani. « C’est un sujet de société extrêmement difficile, il n’y a pas consensus », reconnaît Laure Lechatellier, vice-présidente du Conseil régional d’Île-de-France, chargée de la santé. Toutefois, « le débat progresse, une prise de conscience est en train d’émerger », souligne Jean-Marie Le Guen, spécialiste des questions de santé au PS. Il note que l’opinion publique a évolué depuis que cette question est mise en débat. Un sondage IFOP publié à la mi-août indiquait que 53 % des Français étaient favorables à l’ouverture de salles de consommation supervisées contre 47 % d’opinions défavorables.

« Nous espérons maintenant que la mission parlementaire qui est en train de s’installer va s’appuyer sur nous conclusions », conclut le Dr El Ghozi. Le message est clair : encourager l’État à adopter les mesures permettant aux collectivités qui le souhaitent de créer, à titre expérimental, de tels centres.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8824