LE QUOTIDIEN : Pourquoi l'Académie organise-t-elle cette séance publique de débat, sur la santé mentale ?
JEAN-PIERRE OLIÉ : L'Académie de médecine a la volonté de contribuer à une meilleure intelligence du grand public sur les problèmes de santé qui font débat dans notre société, voire dans la communauté médicale.
Nous avons choisi trois thèmes qui demandent une information complète : la prise en charge des enfants « agités », l'addiction au cannabis et le serpent de mer qu'est la consommation de psychotropes. Des choix discutés, par rapport à d'autres, comme l'autisme - mais nous y avons déjà consacré une journée en 2016 - et le burn-out et la santé au travail - nous avons commis un rapport en février 2016.
Quels sont les enjeux scientifiques de ces thèmes ?
La compréhension du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) a beaucoup évolué : autrefois, les médecins se concentraient sur l'agitation et l'hyperactivité, l'on parlait d'instabilité psychomotrice des enfants. Puis l'on s'est aperçu qu'il s'agit d'une difficulté de concentration intellectuelle. Aujourd'hui, l'utilisation de la Ritaline est discutée : aux États-Unis, elle serait d'accès aisé, tandis qu'en France, les médecins en prescriraient très peu. Grâce à trois pédopsychiatres (l'académicien Bruno Falissard, le Dr Patrick Landman, et le Pr David Cohen), nous mettrons à plat ces questions : quel est le seuil pathologique à retenir ? Qu'attendre d'une thérapeutique médicamenteuse psychostimulante ? Quels sont les avantages et inconvénients de la prescription et de la non-prescription ?
Même approche pour l'addiction au cannabis. L'Académie ne se prononcera pas pour ou contre la légalisation, mais montrera en quoi le cannabis est un sujet médical à travers l'intervention de l'académicien Jean Adès, quels en sont les effets neuronaux (décrits par le Pr Jean Costentin), quel accompagnement sanitaire faudrait-il envisager en cas de légalisation (Dr Alain Dervaux, Paris), et quelles sont les stratégies thérapeutiques à disposition des médecins (Pr Olivier Cottencin, de Lille).
Enfin, la consommation des psychotropes (dépeinte par le Pr Jean-François Allilaire, secrétaire adjoint de l'ANM), leurs limites, inconvénients, voire risques (étudiés par le Dr Patrick Hardy du Kremlin Bicêtre) et les bonnes indications (posées par le Pr David Gourion), seront aussi exposés au public.
Ces débats intéressent les médecins, d'autant qu'une table ronde sera organisée avec des associations d'usagers qu'ils ne connaissent pas forcément.
La société est-elle pathogène, comme le questionne le sous-titre de la journée ? Ou bien le mal-être est-il trop psychiatrisé ?
Il n'y a pas de données épidémiologiques montrant une plus grande prévalence aujourd'hui des maladies psychiatriques, comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, dépressifs, ou anxieux. Mais nous sommes davantage capables de reconnaître des situations génératrices de souffrance psychique. Et notre rapport à la elle, comme à la douleur physique ou la pénibilité, a changé : plus exigeante, la société cherche des réponses et demande davantage à la médecine, et donc à la psychiatrie.
En arrière-plan, affleurent d'autres questions : ces souffrances sont-elles des maladies comme les autres ? La psychiatrie est-elle une discipline médicale comme une autre ? Oui et non. Ces maladies ont des supports biologiques, une physiopathologie, qu'il faut comprendre toujours mieux pour mettre au point des stratégies préventives et thérapeutiques. Mais elles diffèrent car elles touchent ce qu'il y a de plus humain en nous, nos capacités à aimer, vouloir, décider. Jean Delay disait en substance : la neurologie étudie la mémoire, la psychiatrie, une mémoire.
*séance organisée en partenariat avec « Le quotidien du médecin ». Retrouvez sur notre site un questionnaire à destination des médecins.
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