Lorsque j’ai commencé mes travaux comme rapporteur de la mission d’information relative à l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants, j’étais empreint d’une objectivité sincère. Après plus de quarante heures d’auditions, de rendez-vous et de déplacements qui m’ont permis d’entendre des policiers, gendarmes, médecins, addictologues, éducateurs, magistrats, parents, consommateurs, associations de prévention… J’ai pu dresser un constat sans appel : il existe une dépénalisation de fait de la consommation de cannabis en France.
Aujourd’hui, plus personne ne va en prison pour un simple usage et les alternatives aux poursuites sont devenues la règle. La répression de l’usage n’existe qu’en tant que « point d’entrée » vers d’autres délits, notamment à cause d’une procédure pénale longue et fastidieuse. Concernant les autres stupéfiants, on assiste à un développement des polyconsommations et une montée en puissance de produits psychoactifs plus puissants ou de drogues « chimiques ».
L'amende forfaitaire, une évolution souhaitable à court terme
Cette mission d’information visait donc à explorer une solution potentielle : la mise en place d’un dispositif d’amende forfaitaire. À l’issue de nos travaux, j’ai rendu un avis favorable, poursuivant ainsi deux objectifs principaux : rétablir l’interdit social pour l’usage récréatif et réorienter massivement le travail des policiers vers la répression des trafics en allégeant la procédure pénale. J’ai également émis des conditions : sur le montant, qui ne devra pas dépasser 200 euros pour garantir son recouvrement et son efficience ; sur le caractère délictuel, qui permettra aux forces de police de conserver leurs capacités d’investigation et au juge d’amener l’individu vers des soins (ce que la contravention ne permet pas) ; sur la capacité à infliger plusieurs fois l’amende au même individu, la récidive étant acquise en matière d’addiction ; et enfin sur la destination des fonds issus des amendes, qui devront être affectés à un fonds MILDECA afin de financer la prévention.
J’ai enfin proposé des évolutions complémentaires qui m’ont semblé nécessaires à court terme : faire évoluer sensiblement la prévention en matière de consommations de produits psychoactifs ; développer l’accompagnement sanitaire ; réformer la justice des mineurs car les habitudes de consommation se prennent souvent avant l’âge adulte.
L’éternel affrontement entre répression et légalisation
J’ai pu constater lors de ces travaux à quel point le débat est totalement figé en France entre les partisans de la répression et de la légalisation. En réalité, si l’on prend en compte l’ensemble des problématiques – qui se divisent selon moi en trois catégories : la prévention et l’éducation, l’accompagnement sanitaire et social et la lutte contre la criminalité – chaque partie a raison de son point de vue.
D’un côté, la répression, lorsqu’elle est réellement appliquée, limite les usages sans les annihiler. De l’autre, comme nous le montre l’expérience du Portugal, de l’Uruguay ou de certains États américains, la régulation ou la dépénalisation améliorent la prise en charge sanitaire des consommateurs, mais en parallèle l’effort de prévention est souvent insuffisant. La régulation génère des recettes fiscales, mais rarement affectées à des campagnes de prévention, et qui masquent le coût social et donc l’explosion de la dépense publique qu’elle entraîne – comme nous le connaissons en France avec l’alcool.
Une construction progressive
Pour toutes ces raisons, je considère que la clé d’une évolution de notre société passe indéniablement par une approche globale, intégrant progressivement chaque aspect de la problématique en respectant chaque acteur et en favorisant la coordination.
Dans un premier temps, l’instauration de l’amende forfaitaire permettra de rétablir l’interdit social. En parallèle, il est essentiel de développer l’accompagnement sanitaire en favorisant de vrais parcours de soins qui dépassent les stages de sensibilisation et de mener des campagnes ambitieuses de prévention, notamment grâce à la mobilisation renforcée d’acteurs neutres comme les addictologues. Enfin, il faut autoriser le cannabis thérapeutique, sous forme de sprays ou médicaments (et non pas de cigarettes). Pourquoi priver certains patients des vertus thérapeutiques de celui-ci alors que d’autres substances psychoactives sont déjà autorisées ?
Dans un second temps, il nous faudra renforcer l’action de lutte contre les trafics. Rappelons que le trafiquant de drogues n’est pas un amoureux de la drogue : l’argent est sa seule motivation. Lorsque le produit devient licite ou que le marché est à saturation (comme le cannabis en France), il « trafique » un autre produit. Le développement aujourd’hui de la prostitution et du proxénétisme au sein de quartiers réputés hier pour le cannabis est connu.
Pour chacun, une réponse équilibrée
À terme, il faudra décriminaliser l’usage posant problème, après un avis d’experts, en contrepartie d’un accompagnement sanitaire et psychologique suivi. Enfin, il faudra faire des mineurs l’enjeu numéro 1 en matière de stupéfiants, car nous avons une responsabilité collective en tant qu’adultes.
Nous devons mettre fin à cette lutte stérile entre acteurs de la sécurité, de santé ou associatifs, entre ceux qui veulent fumer leur joint en paix et les victimes de drames familiaux causés par la drogue. Nos sociétés seront toujours confrontées à la drogue, licite ou non, et certains d’entre nous auront toujours besoin d’en consommer. Nous devons apporter pour chacun une réponse équilibrée.
En tant que législateur, je pense qu’il nous faut de la volonté, du temps, une confiance réciproque entre tous les acteurs et l’acceptation collective d’une approche globale. Telle est ma conviction.
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