Polémique autour de Tabac info service

Recalé, l’OFT dénonce des abus

Publié le 04/06/2012
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Crédit photo : AFP

DEPUIS 2003, l’OFT assure le niveau 2 de la ligne Tabac info service (39.89) où des tabacologues proposent sur rendez-vous un suivi et des conseils personnalisés. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 30 056 appels ont été traités l’année dernière par des tabacologues, soit 48,5 % de plus qu’en 2010. Le marché pour le niveau 2 de Tabac Info service arrivant à son terme, l’INPES a lancé un appel d’offres en janvier dernier auquel trois candidats ont répondu. L’institut a alors jeté son dévolu sur l’offre de la société Direct Medica, jugée « meilleure que celle de l’OFT » au regard de l’analyse des quatre critères de l’appel d’offres de marché public. Analyse que conteste point par point par l’association. « Sur le critère de compétence pour le métier, on arrive en tête », indique Joseph Osman, directeur de l’OFT. « Mais après 10 ans de travail sur la ligne et de relation permanente avec l’INPES, on obtient la note de 2,2 (sur 2,5) contre 2 pour Direct Medica alors qu’ils n’ont jamais fait leur preuve en matière de sevrage tabagique », souligne-t-il. Sur le critère financier, Direct Medica devance nettement l’OFT (2,4 contre 1,7) mais le coût prévu sur quatre ans pour l’INPES reste strictement le même entre les deux concurrents, assure Joseph Osman. « Pour expliquer cette différence de notation, nous pensons que tout se joue sur le temps des appels téléphoniques », poursuit-il. « On consacre près de 30 minutes pour un bilan et 15 minutes pour un suivi. Eux vont proposer 15 minutes pour un bilan et 7 minutes pour un suivi, ce qui nous paraît impossible car ça relève de la mauvaise pratique », considère le directeur de l’OFT. Sur le critère pertinence des propositions techniques en matière de gestion des appels, l’association arrive encore derrière Direct Medica (1,5 contre 1,7) mais c’est surtout le critère « contrôle de la qualité du service » qui pose problème à l’OFT.

Double écoute.

« Cela fait 10 ans que nous travaillons avec l’INPES qui n’a jamais eu de reproche à nous faire et l’on se retrouve avec une note de 0,8 contre 1,4 pour Direct Medica », déplore Joseph Osman. Pour le directeur de l’association, l’INPES n’a pas apprécié la posture de l’OFT qui ne souhaite pas intégrer l’institut dans la réalisation des entretiens en double écoute. « Nous considérons que l’entretien du tabacologue avec un appelant doit rester confidentiel car les choses qui sont dites se racontent à un médecin et non à un administratif. C’est comme si le directeur de l’hôpital voulait enregistrer mes consultations et les écouter ensuite », estime le Pr Bertrand Dautzenberg, président de l’OFT. En réponse à l’appel d’offres de l’INPES, l’association a joint une lettre du Conseil national de l’Ordre des médecins exigeant le respect du code de déontologie et de la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et à la qualité du système de santé. « L’INPES à travers certains de ses agents veut avoir accès aux fichiers nominatifs des patients, ce que nous refusons totalement », déclare Joseph Osman. « Que la double écoute soit en direct ou sous la forme d’enregistrement, tout est entièrement anonymisé », affirme au contraire Thanh Le Luong, directrice générale de l’INPES. Au-delà de ces critères de sélection, l’OFT pointe un « conflit d’intérêts manifeste » au sein même de Direct Medica. « Comment peut-on accepter que l’État puisse attribuer un marché public - la ligne nationale Tabac info service à une société privée spécialisée dans la vente directe aux officines pharmaceutiques des produits d’arrêt du tabac de 80 % des laboratoires ? », interroge l’OFT dans un communiqué. Se présentant sur son site Internet comme « l’expert de la relation client dans la santé », Direct Medica proposent plusieurs services : télévente directe aux officines de produits de l’industrie pharmaceutique, visite médicale à distance, marketing relationnel avec les professionnels de santé, réalisation de programmes d’accompagnement de patients pour des acteurs publics et privés, prestations en gestion de crise pour l’industrie pharmaceutique, etc. « Le fait d’avoir parmi nos clients des laboratoires pharmaceutiques n’entrave en rien notre déontologie », a réagi Direct Medica auprès de l’AFP qui pointe des accusations « scandaleuses » relevant de la « calomnie ». « Nous avons toutes les garanties demandées au prestataire par le biais du cahier des charges. (…) Ses prestations feront l’objet de contrôles de conformité internes et externes », indique Thanh Le Luong. Saisi par l’OFT, le tribunal administratif de Montreuil a confirmé le 25 mai la décision de l’INPES de choisir l’offre de la société Direct Medica au détriment de celle de l’association qui va néanmoins porter l’affaire devant le Conseil d’État.

Conflit d’intérêts.

Mais les suites de ce différent pourraient bien se jouer ailleurs. « Ce qui me gène dans l’histoire, c’est surtout que l’État donne ce service public à une société dont la patronne nous a fait clairement des entourloupes », dénonce le Pr Dautzenberg. Directrice générale de Direct Medica, Sophie Kerob-Schonborn fut parallèlement de septembre 2009 à octobre 2010, trésorière de l’OFT. « Elle a eu accès à toutes nos données. Une fois qu’elle a obtenu ce qu’elle voulait, elle a démissionné de ses fonctions. Comme le contrat avec l’INPES courait jusqu’en 2012, rien n’allait changer », raconte Joseph Osman. Par ailleurs, Sophie Kerob-Schonborn est actuellement toujours membre de l’association. « On pense qu’il y a ici un autre conflit d’intérêts doublé d’un abus de confiance qui justifie pour nous d’aller au pénal », confie le directeur de l’OFT qui a déjà alerté l’INPES et ses tutelles à ce sujet. Sans suite pour le moment. Du côté de l’INPES, on considère que cette situation de concurrence ne concerne uniquement que Direct Medica et l’OFT. « Pour nous, il n’y a absolument aucune irrégularité dans la passation de ce marché public », conclut Thanh Le Luong.

 DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 9135