Douleurs pelvi-périnéales chroniques

Une approche plurifocale individualisée

Publié le 10/02/2011
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REGROUPER les douleurs pelvi-périnéales chroniques sous une entité nosographique commune est une approche assez récente de ces pathologies à la physiopathologie complexe. Autrefois considérées comme des pathologies d’organes, infectieuses ou inflammatoires, et prises en charge par les différentes spécialités concernées, elles regroupent les cystites interstitielles, les syndromes du colon irritable et les vestibulodynies, ainsi que nombre de douleurs pelviennes inexpliquées par les investigations d’organe. Ces pathologies ont comme caractéristiques communes de toucher préférentiellement des patientes de sexe féminin, d’évoluer depuis plus de six mois, et de s’exprimer par une plainte fonctionnelle douloureuse, importante et invalidante, mais discordante avec le peu d’éléments lésionnels observés lors des examens complémentaires.

Elles s’expriment aussi bien au niveau muqueux, viscéral, que pariétal, musculaire ou même parfois osseux. Une notion de facteurs déclenchant est souvent retrouvée. Une infection, un traumatisme ou une intervention chirurgicale sont considérés par le patient comme le point de départ de ses douleurs, mais apparaît ensuite une pérennisation de la plainte douloureuse, se prolongeant bien après la disparition de l’élément initial.

Les observations épidémiologiques retrouvent une forte fréquence d’associations de ces pathologies entre elles, mais aussi avec d’autres pathologies fonctionnelles plus générales, comme la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC, ex-algodystrophie), les douleurs myofasciales, ou encore le syndrome de stress post-traumatique. Ces corrélations peuvent s’expliquer par un terrain commun favorable à l’expression de la douleur et par des hypothèses physiopathologiques communes.

Importance des mécanismes de dysrégulation de la douleur.

Le schéma physiopathologique actuellement proposé met en jeu une dysrégulation des systèmes de contrôle de la douleur. Une surstimulation des fibres afférentes nociceptives au niveau local serait à l’origine de l’apparition d’une inflammation neurogène et d’une diminution des seuils de la douleur, puis d’une diffusion progressive des messages douloureux au niveau régional, vers les structures cutanées, musculaires et vers les organes de voisinage. Le facteur de croissance neuronal (NGF) serait également impliqué dans l’apparition d’une hypersensibilité centrale et de modifications chroniques des processus corticaux d’inhibition de la douleur. Tous ces phénomènes aboutiraient à la pérennisation de boucles d’autoentretien de la douleur.

La diversité des mécanismes conduisant à la chronicisation de la douleur se retrouve dans le syndrome douloureux régional complexe, avec lequel des douleurs pelvi-périnéales présentent un certain nombre de points communs : événement ou traumatisme initial, allodynie, hypersensibilité profonde musculaire ou osseuse, dysfonctionnement sympathique, troubles locaux vasomoteurs, inflammations neurogènes… Ces similitudes justifient la terminologie de « syndrome douloureux pelvien complexe » employée par certains auteurs. On peut également parler de douleur pelvienne dysfonctionnelle.

De même, des analogies avec la fibromyalgie existent. Dans le cas de la fibromyalgie, il existe un déficit du freinage de la douleur par défaillance du système de contrôle inhibiteur diffus de la nociception (DNIC), lui-même sous influence corticale. Cette altération du DNIC, également fréquemment retrouvée dans les douleurs pelvi-périnéales chroniques, semble être liée à un certain nombre de facteurs de risques qui composent le terrain favorable à l’apparition de ces pathologies : âge, prédisposition génétique, histoire familiale, traumatismes survenus dans la petite enfance, facteurs hormonaux, éléments dépressifs…

Une prise en charge plurifocale individualisée.

S’il ne faut pas associer de façon systématique douleurs pelvi-périnéales chroniques et syndrome dépressif, il existe cependant une composante émotionnelle manifeste dans ces pathologies, avec une plus grande fréquence des états anxieux ou dépressifs que dans la population générale. De même, un antécédent de syndrome de stress post-traumatique est plus souvent observé chez les patientes souffrant de douleurs pelvi-périnéales chroniques, particulièrement lorsque celui-ci est lié à des abus physiques ou sexuels. Selon certaines études 48 à 56 % des femmes consultant pour des douleurs pelvi-périnéales auraient subi des abus sexuels.

Les modèles de pathologies douloureuses extra-pelviennes, tels que la fibromyalgie ou le SDRC, permettent d’aborder ces pathologies complexes sous un aspect plus pragmatique, en en étudiant les caractéristiques communes et les approches thérapeutiques déjà expérimentées.

La meilleure compréhension de tous ces mécanismes oriente la prise en charge des douleurs pelvi-périnéales chroniques vers une approche thérapeutique globale, multidisciplinaire, et non plus vers une approche purement d’organe, tel que cela était fait auparavant. Reconnaissance de la souffrance, dialogue, prise en charge de la composante émotionnelle, mais aussi traitement médicamenteux (kétamine, antiépileptiques, antidépresseurs), blocs sympathiques, techniques kinésithérapiques, réadaptation à l’effort, neurostimulation, ou encore hypnose, thérapies brèves, sont autant d’approches thérapeutiques pouvant être proposées aux patients, en fonction des caractéristiques de leur plainte douloureuse.

D’après un entretien avec le Dr Jean-Jacques Labat, neuro-urologue, CHU de Nantes.

 Dr CAMILLE CORTINOVIS

Source : Bilan spécialistes