Allergène du mois

Faire barrière au latex

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Publié le 23/09/2019

L'allergie au latex peut apparaître dans des circonstances variées ; elle est responsable de 20 % des anaphylaxies peropératoires. Le dosage des allergènes recombinants apporte des informations précieuses pour la prise en charge. Dans certaines situations cliniques (spina bifida, opérations multiples…), l’éviction doit être réalisée sans même rechercher une éventuelle sensibilisation.

Crédit photo : Phanie

Le latex est un suc végétal d'aspect laiteux que l'on trouve dans plusieurs types de plantes de familles très diverses, surtout les Euphorbiacées (Hevea brasiliensis), les Moracées (figuiers, ficus), les Apocynacées (nombreuses plantes herbacées ligneuses, subtropicales ou tropicales), les Campanulacées (nombreuses plantes herbacées pérennes), les Papavéracées (pavots, coquelicot), les Sapotacées (nombreux arbustes et arbres comme le Sapotillier, le Palaquium gutta qui donne le gutta-percha).

Le latex d'Hevea brasiliensis est un allergène de contact pour la peau et les muqueuses, mais c'est aussi un aéro-allergène car sa structure lamellaire facilite sa dispersion dans l'air.


20 % des anaphylaxies peropératoires

Il faut penser à une allergie au latex de l'Hévéa dans les circonstances cliniques suivantes : urticaire locorégionale de contact ; rhinite et/ou asthme en manipulant des gants ou objets en latex ; œdème laryngé, angio-œdème, urticaire généralisée, choc anaphylactique ; anaphylaxie peropératoire : 20 % des anaphylaxies peropératoires sont dues au latex, les curares étant les premiers responsables (22,3 %). Le contact de la peau, des muqueuses et des viscères abdominaux avec les gants du chirurgien est surtout en cause, d'où le délai d'apparition des symptômes, qui surviennent 20 à 30 minutes après l'induction de l'anesthésie, voire au réveil, à la différence des accidents dus aux anesthésiques qui apparaissent d'emblée. Enfin, il faut y penser face à des symptômes survenant chez des professionnels exposés (personnel soignant, techniciens de surface).


Un lien avec les fruits

Le « syndrome fruits-latex » est un cas particulier où l'allergie alimentaire aux fruits est un facteur de risque d'allergie au latex. Les sensibilisations aux latex, mises en évidence par la positivité du dosage des IgE sériques spécifiques (IgEs) et/ou par celle des prick tests (PT) sont significativement plus fréquentes chez les allergiques aux fruits (85,9 %) que chez les témoins (4 %) [p < 0,001]. L'allergie aux fruits précède l'allergie au latex dans 10 à 20 % des cas. L'avocat, la châtaigne, le sarrasin, la figue, le kiwi sont les fruits le plus souvent concernés, de même que le melon, le raisin, la pêche et la banane (1,2). D'autres fruits et légumes peuvent être impliqués en raison de leur contenu en panallergènes tels que les profilines, les LTP (pour Lipid Protein Transfer ou protéines de transfert lipidique), les chitinases ou estérases.

Des circonstances variées

Les circonstances de survenue de l'allergie au latex sont nombreuses selon les matériels employés ou touchés : port de gants ménagers ou chirurgicaux ;
sondages vésicaux ;
lavements ;
rapports sexuels protégés ; extraction par césarienne ;
petite ou grande chirurgie ; soins dentaires ;
visites de cliniques ou d'hôpitaux par des personnes connaissant, ou non, leur allergie au latex ; activités sportives ou de loisirs nécessitant un contact avec le latex ; utilisation de solutions médicamenteuses contaminées par le latex au cours de la chaîne de fabrication (bouchons de fermeture contenant du latex) ou pendant le stockage dans des récipients, avant leur conditionnement en flacons.


À travers le gant…

Le diagnostic repose sur l'interrogatoire (profession exposée, port fréquent de gants, etc.), les PT, le dosage des IgEs et, éventuellement, les tests de provocation. L'atopie est un facteur associé.

Les PT sont très contributifs, effectués à l'aide de solutions commerciales, standardisées et homogènes (un seul extrait actuellement disponible) ou à travers un petit morceau de gant préalablement lavé, et avec le liquide surnageant. Avec les extraits standardisés de latex purifié, la sensibilité des PT est excellente (90 % à 100 %), meilleure que celle des PT à travers le gant (75 % à 86 %) ou avec le liquide surnageant. Les tests cutanés (TC) à travers un morceau de gant doivent être réalisés avec prudence car ils peuvent entraîner des réactions adverses pouvant aller jusqu'au choc anaphylactique (8,82 %) [3-5].

Les dosages d'IgEs sont devenus très fiables, positifs dans 90 % des cas. La gravité des symptômes est corrélée avec la positivité des dosages d'IgEs sériques (6,7)

Utilisation des allergènes recombinants

Devant une suspicion d'allergie au latex, il est recommandé de doser les IgEs pour le latex entier (k82) et pour les recombinants rHev 5 (k218) et rHev b6.01 (k219) :

• si ces trois dosages sont négatifs, des examens complémentaires sont nécessaires ;

• si, au contraire, ces trois dosages sont positifs, le risque d'allergie au latex est élevé. On peut évaluer le risque de réaction sévère par dosage des IgEs contre rHev b1 (k215) et rHev b3 (k217) ;

• si le dosage est positif pour le latex entier et que les IgEs sont négatives pour rHev b5 et rHev b6.01, une réaction croisée est possible et on peut rechercher les anticorps pour la profiline par rHev b8 ou de la LTP par rHev b12.

Il ne faut pas ignorer les faux positifs des TC et des Rasts (dosages IgE) au latex dus à la présence d'épitopes carbohydrates (CCD), dont la pertinence vis-à-vis des symptômes cliniques n'a pas été documentée (en cas de doute devant un Rast positif au latex, on peut demander un dosage des IgEs pour un autre allergène riche en CCD et à faible pouvoir allergisant, par exemple le raifort ou la broméline, la positivité de ce dosage étant en faveur d'un Rast latex faussement positif (ou, tout au moins, sans pertinence clinique) [8-10].

En prévention

La société française d'anesthésie et réanimation a établi des recommandations préventives (11). En dehors des patients ayant eu des signes cliniques évocateurs d'allergie lors d'une précédente anesthésie, un bilan allergologique est recommandé avant une nouvelle anesthésie chez :

• Les individus ayant eu des signes possibles d'allergie au latex quelles que soient les circonstances d'exposition ;


• Les enfants multi-opérés ou porteurs de malformations urogénitales ou de spina-bifida chez lesquels il faut assurer systématiquement une éviction du latex, un cadre « latex free » lors des soins médicochirurgicaux et ce, même sans avoir besoin de rechercher une sensibilisation ;

• Les patients ayant présenté des symptômes cliniques à l'ingestion de fruits (avocat, kiwi, banane, châtaigne, sarrasin, etc.).

Ces recommandations ont permis de réduire la fréquence des accidents allergiques au latex sans toutefois les faire disparaître (12).

Pour la protection des mains, les chirurgiens et les personnels médicaux allergiques doivent utiliser des mousses protectrices ou des gants de textile interposés sous leurs gants habituels ou, mieux, des gants « hypoallergéniques » ou « non-allergéniques ». Les services des urgences possèdent des véhicules dépourvus de latex pour les patients allergiques au latex. Les allergiques au latex doivent être identifiés par une carte d'allergique et/ou porter un bracelet indiquant leur risque, et porter avec eux un stylo auto-injecteur d'adrénaline.

Toulouse
(1) Garcia-Ortiz JC, Moyano JC, Alvarez M, et al. Latex allergy in fruit-allergic patients. Allergy 1998;53(5):532-6.
(2) Crespo JF, Rodríguez J, James JM, et al. Reactivity to potential cross-reactive foods in fruit-allergic patients: implications for prescribing food avoidance. Allergy 2002; 57(10):946-9.

(3) Kelly KJ, Kurup VP, Reijula KE, et al. The diagnosis of natural rubber latex allergy. J Allergy Clin Immunol 1994;93(5):813-6.
(
4) Kelly KJ, Kurup V, Zacharisen M, et al. Skin and serologic testing in the diagnosis of latex allergy. J Allergy Clin Immunol 1993;91(6):1140-5.
(
5) Hamilton RG, Peterson EL, Ownby DR. Clinical and laboratory-based methods in the diagnosis of natural rubber latex allergy. J Allergy Clin Immunol 2002;110(2 Suppl):s47-s56.
(
6) Kim KT, Safadi GS. Relation of latex-specific IgE titer and symptoms in patients allergic to latex. J Allergy Clin Immunol 1999;103(4):671-7.
(
7) Kurup VP, Sussman GL, Yeang HY, et al. Specific IgE response to purified and recombinant allergens in latex allergy. Clin Mol Allergy 2005;3:11.
(
8) Raulf-Heimsoth M, Bruning T, Rihs HP. Les allergènes recombinants du latex. Rev Fr Allergol 2007;47(2):123-5.
(9) Schuler S, Ferrari G, Schmid-Grendelmeier et al. Microarray-based component-resolved diagnosis of latex allergy: isolated IgE-mediated sensitization to latexprofilin Hev b8 may act as confounder. Clin Transl Allergy 2013;283(1):11.

(10) Bode CP, Füllers U, Röseler S, et al. Risk factors for latex hypersensitivity in childhood. Pediatr Allergy Immunol 1996;7(4):157-63.

(11) Prévention du risque allergique peranesthésique, recommandations pour la pratique clinique. Rev Fr Allergol 2002;42:464-532.

(12) Lavaud F, Deschamps F, Mertes PM, et al.Allergie au latex : pertinence des mesures d’éviction. Rev Fr Allergol 2001; 41(3) : 262-8

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr