Des traitements anticancéreux coûteux bientôt sortis de la liste en sus ?

Accès aux soins : le cri d'alarme des oncologues

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Publié le 08/02/2016
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CANCERO

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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Devant l'envolée des dépenses des médicaments contre le cancer pris en charge à 100 % par l'assurance-maladie via la liste en sus, le gouvernement envisage une réforme drastique de leur financement.

Ce projet de décret prévoit de revoir les critères d'entrée et de sortie de la liste en sus de nouveaux anticancéreux injectables. Aujourd'hui, lorsqu'ils sont dispensés lors de séjours hospitaliers, ces traitements sont facturables et remboursables à l'euro près en plus des prestations d'hospitalisation. Or, les molécules dont l'amélioration du service médical rendu (ASMR) est de niveau IV ou V (niveau mineur ou absence de progrès) pourraient sortir du champ de cette liste en sus.

Les cancérologues redoutent que ces médicaments très utilisés contre les cancers colorectal, du poumon, de l'ovaire ou du sein, réintègrent les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS). Cinq molécules sont particulièrement ciblées : le pemetrexed (Alimta), la doxorubicine liposomale (Caelyx), le cétuximab (Erbitux), le bévacizumab (Avastin) et le panitumumab (Vectibix).

Rupture d'égalité ?

Dans un courrier au ministère de la Santé dont « le Quotidien » a eu copie, une trentaine de cancérologues s'alarment des risques qu'une réforme non concertée du financement des anticancéreux entraînerait sur les comptes des hôpitaux et cliniques mais aussi sur l'accès aux soins des patients.

« En cas de sortie de telle ou telle molécule de la liste en sus, ces établissements seront amenés à décider de financer ou non les traitements correspondants, ce qui créera immanquablement des situations d'inégalités de fait entre patients, entre établissements, entre territoires de santé », affirment les médecins signataires issus des CHU, CHG, centres de lutte contre le cancer, sociétés savantes, ou centres privés…

Ces oncologues réclament que les procédures d'inscription et de sortie de la liste en sus soient révisées et « précisément régulées et transparentes pour tous ». Ils invitent la Haute autorité de santé à s'appuyer sur des experts cliniciens (pharmacologues, économistes de la santé...) reconnus par l'INCa. 

« Des radiations de médicaments avaient déjà eu lieu mais elles étaient intervenues au moment de l'apparition de génériques, là ce n'est pas le cas », observe l'un des signataires, le Pr Michel Marty, oncologue à l'hôpital parisien de Saint-Louis.

Un éventuel impact de 3 millions pour l'Institut Curie

L'Institut Curie a évalué à 3 millions d'euros par an la perte financière que pourrait occasionner la sortie des cinq anticancéreux de la liste en sus. Son président Thierry Philip, a annoncé qu'il passerait une note de service avec interdiction absolue de prescrire ces médicaments si le déremboursement entrait en vigueur.

Le Dr Paul Cottu, oncologue médical qui dirige l'hôpital de jour à l'Institut Curie, précise au « Quotidien » qu'une « décision unilatérale » du ministère serait « lourde de conséquences » et « ôterait des options thérapeutiques » aux patients. « Il s'agit d'une première salve, estime-t-il. Cela ne concerne aujourd'hui que des traitements injectables mais on peut imaginer que des dispositifs médicaux ne soient bientôt plus pris en charge non plus

.

 »

Médecins et établissements espèrent infléchir la décision du gouvernement avant la nouvelle campagne tarifaire des établissements attendue le 1er mars.

Contre le rationnement des soins

En décembre, la Ligue contre le Cancer avait dénoncé l'explosion des prix des traitements anticancéreux qui représenteront un marché mondial de 144 milliards d'euros en 2020, « soit un doublement en six ans » de leur coût.

Les entreprises du médicament (LEEM) font valoir que les laboratoires ne fixent pas leurs prix de manière libre, cette prérogative relevant du Comité économique des produits de santé (CEPS). Les industriels appellent de leurs voeux un débat sur le prix de l'innovation et l'accès à ces traitements.  

Les associations d'usagers redoutent que des patients atteints de cancer partent se soigner à l'étranger – voire renoncent aux soins – si des molécules innovantes ne sont prises en charge en France. « Ce sujet nous préoccupe au plus haut point, affirme Christian Saout, secrétaire général délégué du Collectif interassociatif sur la santé (CISS, usagers). Avant de rationner les soins, il faut trouver comment réguler le prix du médicament et améliorer l'organisation des soins en réduisant les soins non pertinents. »  

Christophe Gattuso
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Source : Le Quotidien du médecin: 9469