Pr Côme Lepage, CHU de Dijon

Après résection chirurgicale d’une tumeur colorectale, le taux d’ACE et le scanner systématiques sont inutiles au suivi !

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Publié le 30/03/2023

Présentée aux Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive (JFHOD, 16-19 mars) pour le sous-groupe des tumeurs du côlon, l’étude Prodige 13 met un point d’arrêt à l’utilisation du taux d’antigène carcino-embryonnaire (ACE) et/ou du scanner systématique, pour la surveillance post-chirurgie curative des cancers colorectaux (1). Ainsi, les recommandations du Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) sur les modalités de la surveillance oncologique sont maintenant fondées sur l’examen clinique, l’échographie abdominale et la radiographie pulmonaire.

Crédit photo : DR

Au-delà de la surveillance endoscopique, diverses sociétés scientifiques (ESMO, ASCO, TNCD) recommandent la surveillance des potentielles récidives après une chirurgie curative pour un cancer colorectal. Cependant, le choix des modalités s’appuie essentiellement sur des avis d’experts. Les nombreux essais publiés sont hétérogènes dans les modalités testées et les résultats obtenus. C’est pourquoi l’essai Prodige 13 a été réalisé, afin de définir des modalités de surveillance à visée curative des patients ayant eu un cancer colorectal (CCR) réséqué (stades II ou III réséqués R0). Il évalue d’une part l’intérêt d’une mesure régulière du taux d’ACE et, d’autre part, une surveillance radiologique intensifiée par l’utilisation du scanner abdominopelvien (CT) versus échographie abdominale/radiographie pulmonaire. L’objectif principal de l’étude était la survie globale à cinq ans.

Vers un changement des pratiques

Les résultats présentés concernaient les 1 678 patients (sur 2 009 CCR) opérés à visée curative d’un adénocarcinome colique inclus dans PRODIGE 13 (2), essai prospectif multicentrique randomisé contrôlé de phase III. Avec un suivi médian de 7,8 ans, une récidive a été observée dans 21,7 % des cas (métastatique : 74,7 %, locale : 8,8 %) survenue en moyenne 21 mois après la prise en charge initiale (comme attendu dans la littérature). Les récidives métastatiques étaient majoritairement hépatiques (53,3 %), ganglionnaires (12,9 %) et pulmonaires (28,3 %).

Aucune des quatre modalités de suivi n’a donné lieu à une différence de survie globale. L’analyse multivariée ne retrouvait pas non plus de sous-groupe d’intérêt tirant bénéfice d’une surveillance par scanner ou ACE. Aucune modalité n’apportait d’avance significative au diagnostic. « Cette étude doit changer les pratiques, avertit le Pr Côme Lepage, hépato-gastroentérologue et oncologue digestif (Inserm, CHU de Dijon) et investigateur principal de Prodige 13. Elle justifie la révision des recommandations de l’Institut national du cancer (Inca), qui sera en ligne dans les prochains jours. Souvent réalisé, le dosage de l’ACE rassure beaucoup les médecins, parfois à tort, mais à l’inverse inquiète les patients en raison de sa grande variabilité au cours du temps. Prodige 13 entérine de manière définitive ce que les études précédentes avaient suggéré : le suivi de l’ACE est totalement inutile dans la surveillance des cancers colorectaux opérés à visée curative. Pire, dans notre étude, cela conduit à plus de réinterventions chirurgicales « à visée curative », sans qu’aucun bénéfice de survie globale ne soit apporté. Les patients sont donc plus souvent réopérés, mais cela ne sert à rien ! ».

Intérêt du scanner thoraco abdominopelvien ?

La seconde modalité de surveillance testée dans Prodige 13, le scanner thoraco abdominopelvien (CT) est, elle aussi, battue en brèche. Aucune réduction du délai de détection de la récidive n’est constatée comparé au binôme échographie hépatique-abdominale et radiographie pulmonaire. « On pense souvent que la finesse de l’examen densitométrique va apporter un bénéfice aux patients, commente le Pr Lepage. Prodige 13 démontre qu’il n’en est rien. Il s’agit d’un examen plus coûteux et irradiant, pour lequel les délais de rendez-vous s’allongent en France. Or, libérer des plages d’imagerie pour d’autres indications est indispensable ». Suite à ces résultats, le TNCD a revu sa copie.

De nouvelles modalités de surveillance

En cas de tumeur colorectale primitive réséquée, la surveillance oncologique s’appuie donc sur la clinique au cours de consultations régulières (fatigue et perte pondérale parmi les premiers signes d’alerte), l’échographie abdominale (le foie étant le premier site de rechute à distance du cancer colique) et la radiographie pulmonaire (seconde topographie des récidives). Le rythme de surveillance actuellement recommandé est tous les trois à quatre mois pendant les trois premières années, période à fort risque de récidive (70 à 80 % des rechutes), puis tous les six mois jusqu’à cinq ans. Le risque devient faible au-delà de cinq ans et ne permet plus de recommander une surveillance systématique (taux cumulé de récidive : 2,9 % localement, 4,3 % au niveau métastatique entre cinq et dix ans après chirurgie à visée curative). Ainsi, « la surveillance ne s’adresse qu’aux patients qui pourront bénéficier d’une prise en charge active (chirurgie, chimiothérapie, radiofréquence…) de la récidive, ajoute le Pr Lepage. Les études montrent que le suivi n’est pas réalisé de manière optimale. Le médecin généraliste a une place centrale à jouer, dans le suivi du dépistage des récidives, au cours des cinq ans qui suivent le diagnostic ».

Aujourd’hui, il ne reste donc plus que deux indications pour la mesure de l’ACE : le suivi des patients métastatiques sous traitement et chez les sujets ayant un taux préopératoire élevé (dosage unique de l’ACE dans les trois mois suivant l’opération). Dans ce cas, un résultat toujours supérieur à la normale doit faire rechercher une persistance de la maladie.

Quant au scanner, la seule indication systématique dans le contexte du suivi post-chirurgical est une échographie non contributive, du fait d’un surpoids obésité (patients peu échogènes).

Dans un avenir proche, ces stratégies de surveillance post-chirurgie seront certainement renforcées par de nouveaux marqueurs : l’ADN tumoral circulant, la signature transcriptomique de la tumeur primitive ou encore les exosomes. Ces techniques sont actuellement à l’étude dans des essais dérivés de PRODIGE 13.

(1) Lepage C et al. Intérêt sur la survie globale à 5 ans de l'ajout dans le suivi d’une mesure du taux d'ACE et/ou d’une imagerie par scanner pour la surveillance des cancers du côlon opérés à visée curative. JFHOD 2023, abstract C.025
(2) www.ffcd.fr

Hélène Joubert

Source : lequotidiendumedecin.fr