Dr Suzette Delaloge, Gustave Roussy (Villejuif)

Cancer du sein : faut-il modifier les bornes du dépistage ?

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Publié le 16/12/2022

Les 42 es journées de la Société française de sénologie et pathologie mammaire (SFSPM, 9 au 11 novembre à Nice) étaient dédiées aux cancers du sein de la femme jeune (moins de 40 ans) et âgée (plus de 70 ans). À cette occasion, la Dr Suzette Delaloge a soulevé la question des bornes du dépistage organisé (DO) en France. Serait-il pertinent de l’élargir aux femmes de moins de 50 ans et/ou de plus de 74 ans ?

Crédit photo : DR

Selon les dernières données épidémiologiques de 2018, 22 % des cancers du sein concerneraient les femmes entre 40 et 50 ans et 30 % celles entre 70 et 79 ans. De plus, l’incidence dans ces tranches d’âge est clairement en augmentation. Ainsi, la question d’étendre les bornes du dépistage fait débat. En effet, la participation au DO permet de diagnostiquer les cancers à des stades moins évolués, et ainsi de permettre une prise en charge plus précoce. « Les femmes non participantes ont des stades au diagnostic plus élevés », remarque la Dr Delaloge.

En revanche, le risque de surdiagnostic effraye. S’il augmente avec l’âge, il dépendrait surtout du moment auquel le dépistage débute, ainsi que du recul. « Plus on débute tard le dépistage et moins on a de recul, plus le taux de surdiagnostic est élevé », explique la Dr Delaloge (1).

Débuter à partir de 45 ans ?

Menée sur plus de 160 000 femmes avec 22 ans de suivi, l’étude UK Age trial (2) a évalué l’intérêt d’un dépistage par mammographie entre 40 et 50 ans. Elle a montré une diminution de 12 % de la mortalité spécifique chez les femmes dépistée dès 40 ans, par rapport à celles ayant suivi le programme de DO standard en Grande Bretagne (débutant autour de 50 ans). « Le bénéfice à très long terme perdure, et il n’y a pas de surdiagnostic si on commence le dépistage plus tôt », commente la Dr Delaloge. Mais selon l’étude, il faudrait 1150 femmes dépistées entre 40 et 50 ans pour éviter un décès par cancer du sein. « En termes d’exposition de cette population, c’est beaucoup », reconnaît la Dr Delaloge. Si le risque de décès diminue de 24 % pour les cancers du sein détectés au grade 1 et 2, il n’y a pas d’effet observé sur la mortalité pour les tumeurs de grade 3. Néanmoins, l’essai ne montre pas d’augmentation du risque de surdiagnostic, sauf légèrement à court terme pour les cancers in situ.

En pratique, d’un pays à l’autre, les recommandations sont assez variables. D’après une revue internationale de 23 recommandations de DO (3), la mammographie est préconisée à partir de 40 ans dans la plupart des guidelines (45/50 ans dans d’autres pays) et jusque 69 ou 74 ans en fonction des pays. Selon une modélisation médico-économique qui a inspiré les recommandations européennes, la meilleure stratégie serait un dépistage biannuel entre 45 et 74 ans. Ainsi, une circulaire de l’Union européenne de 2022 propose, aux pays membres, de modifier les recommandations pour passer de 50-69 ans à 45-74 ans, et de considérer des mesures spécifiques pour les seins denses (IRM). En effet, selon l’étude anglaise DENSE (4) menée chez des femmes avec des seins denses (caractéristiques des patientes jeunes), l’IRM supplémentaire diminuerait de moitié le risque de cancer d’intervalle. « C’est intéressant chez les femmes jeunes », ajoute la Dr Delaloge. Elles pourraient bénéficier d’une IRM supplémentaire occasionnelle, en plus de la mammographie tous les deux ans.

« Il faudrait élargir le dépistage aux 45/50 ans, comme préconisé par les recommandations de l’Union européenne, souligne la Dr Delaloge. Mais sa mise en œuvre pourrait comporter une modalité d’aide décisionnelle individuelle sur le rapport bénéfice-risque. Quant au dépistage individuel après 74 ans, il génère actuellement des inégalités de santé, et n’est pas validé scientifiquement ».

Dépistage stratifiée : comment évaluer le risque ?

« Le dépistage stratifié, selon le risque individuel, pourrait être une modalité majeure dans le futur, au moins chez les femmes jeunes (40/50 ans), précise la Dr Delaloge. Il nécessite néanmoins d’être démontré formellement ». Il permet de diminuer les mammographies chez les femmes à faible risque, et de les augmenter en cas de haut risque. Cependant, l’évaluation du risque est un aspect crucial. Elle peut être réalisée grâce à un modèle de risque, qui inclut l’histoire familiale personnelle, la densité mammographique et un score de polymorphisme. En effet, les polymorphismes sont des variations très fréquentes d’une seule paire de base de l’ADN du génome (quatre à cinq millions sur l’ensemble de l’ADN). Si une seule variation n’a pas d’intérêt, un score de polymorphismes est pertinent pour prédire les risques.

« En France, nous sommes les coordinateurs d’une étude européenne, MyPeBS (My Personal Breast cancer Screening), qui inclut dans six pays les femmes de 40 à 70 ans, relève la Dr Delaloge. Les participantes sont randomisées entre le dépistage standard en cours dans leur pays pour les quatre années à venir, ou un dépistage en fonction du risque ». Dans ce second groupe, le nombre de mammographies et d’IRM varie en fonction du niveau de risque (évalué par un score de risque, des polymorphismes et la densité mammographique). Aujourd’hui, 40 000 femmes participent à cet essai, sur les 56 000 à inclure. L’objectif principal est d’évaluer, en fonction des groupes, l’incidence à quatre ans des cancers du sein de stade 2 ou plus.

Par ailleurs, deux équipes mondiales de radiologues, dont une suédoise, développent une méthode par analyse d’images, pour prédire le risque à court ou moyen terme. « Cela pourrait être intéressant pour définir l’intervalle de dépistage dans les années qui suivent, commente la Dr Delaloge. Cette approche est plus simple que celle de l’étude MyPeBS, mais les deux seront sûrement complémentaires ».

 

(1) Ding et al, Eur J cancer 2022.
(2) Duffy SW et al. Lancet Oncol. 2020 Sep;21(9):1165-72.
(3) Ren W et al. The Breast 2022;64:85-99.
(4) Bakker et al. NEJM 2020.

 

Karelle Goutorbe

Source : lequotidiendumedecin.fr