Dr Coralie Gandré, Irdes et CHU Robert Debré (Paris)

Cancer du sein : une prise en charge sous-optimale en cas de troubles psychiques sévères

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Publié le 28/02/2023

Selon une étude récente (1), la prise en charge en France des cancers du sein chez des personnes présentant un trouble sévère psychiatrique préexistant est suboptimale, aussi bien concernant le diagnostic que les délais et les traitements.

Crédit photo : DR

« Nous avions précédemment fait une étude nationale sur la mortalité en France des personnes souffrant de troubles psychiques. Par rapport à la population générale, ce travail mettait en évidence une surmortalité prématurée élevée, ainsi qu’une importante mortalité précoce par cancer et d’origine cardiovasculaire (2). Ceci nous a amenées à explorer, dans ce second travail, la prise en charge des cancers dans cette population, d’après l'exemple du cancer du sein », explique la Dr Coralie Gandré, Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et CHU Robert Debré (Paris).

Plus de 1 300 cancers du sein analysés

L'étude porte sur 1 346 cas de cancers du sein invasifs non métastatiques, diagnostiqués en 2013 et 2014, chez des femmes (61 ans d'âge moyen) ayant des antécédents de troubles psychiatriques sévères. Parmi elles, 80 % ont une tumeur invasive sans extension ganglionnaire, 20 % avec extension ganglionnaire. Elles ont été appariées chacune à trois cas contrôles de même âge, résidant dans le même département et présentant des tumeurs de même type (prises en charge la même année). Leurs parcours de soins ont été comparés, après ajustement sur des facteurs additionnels (précarité, comorbidités somatiques, type d’établissement pour la prise en charge initiale).

Un moins bon diagnostic

« Mené à partir d'une étude cas témoin sur l'ensemble des cancers du sein survenus durant deux années, ce second travail montre aujourd'hui que la prise en charge est suboptimale à plusieurs niveaux. Même après ajustement sur de nombreux critères (dont la précarité), souffrir d'un trouble psychique sévère retentit sur les parcours de soins pour cancer. À sous-type de cancer du sein équivalent, nous observons déjà un important problème au niveau du diagnostic (souvent réalisé en ville). Ces femmes bénéficient notamment moins souvent d'une biopsie combinée à la mammographie », souligne la Dr Gandré. En effet, selon l’analyse, moins d’examens diagnostiques sont réalisés chez ces femmes. Même la combinaison la plus recommandée (mammographie/biopsie) est moins pratiquée. Les délais avant biopsie dépassent plus souvent les deux semaines post-mammographie.

Des différences de traitements

« Après le diagnostic, le délai avant la mise en route des traitements est plus long », constate la Dr Gandré. En effet, on observe fréquemment un délai de six semaines entre la mammographie et le début des traitements. « Par la suite, le traitement lui-même diffère. Pour des tumeurs comparables, la chirurgie est plus souvent invasive : les mastectomies totales sont plus fréquentes, ajoute Coralie Gandré. D'autre part, les traitements visant à limiter les pertes de chance et les récidives sont moins souvent mis en place ». Ainsi, il a été moins fréquemment réalisé de radiothérapie, chimiothérapie et hormonothérapie adjuvantes. Globalement, ces femmes sont plus souvent traitées par chirurgie seule (OR = 1,5). Elles ont moins fréquemment accès à une association chirurgie/radiothérapie/chimio ou hormonothérapie (OR = 0,84 ). Elles ont aussi moins de chances d'avoir une excision du ganglion sentinelle, sans dissection axillaire complète. Enfin, elles bénéficient moins souvent de mammographies de contrôle.

« Par ailleurs, une mortalité précoce, spécifiquement par cancer du sein, serait augmentée chez ces femmes avec un trouble psychique. Ceci corroborerait les résultats de notre précédente étude », évoque prudemment la Dr Gandré.

Des raisons à explorer

L'ampleur de ces différences interroge. Porté par l’École des hautes études en santé publique, un volet qualitatif complémentaire est en cours d’analyse. Il s'attache à explorer, via divers entretiens (avec les soignants, les patients et leurs proches), les raisons pouvant motiver ces différences. « Plusieurs mécanismes sont en cause, reconnaît Coralie Gandré. Les identifier pourrait permettre de mettre en place des interventions adaptées. La fragmentation des soins, psychiatriques d'un côté, somatiques de l'autre, constitue sûrement l'un des écueils. Des infirmières de pratique avancées pourraient par exemple aider à mieux coordonner ces prises en charge ».

D'après un entretien avec la Dr Coralie Gandré (Irdes et CHU Robert Debré, Paris)  
(1) Seppänen AV et al. Breast Cancer Care Pathways for Women with Preexisting Severe Mental Disorders: Evidence of Disparities in France? J Clin Med 2023;12:412. doi: 10.3390/jcm12020412.
(2) Coldefy M, Gandré C. Personnes suivies pour des troubles psychiques sévères : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée. IDRES, QES 2028; n°237.

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr