Cancer de la prostate résistant à la castration

De nouvelles thérapeutiques innovantes

Publié le 10/02/2011
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Crédit photo : BSIP

PAR LE Dr EMMANUELLE KEMPF ET LE Pr STÉPHANE OUDARD*

L’ADÉNOCARCINOME DE prostate représente la deuxième cause de décès par cancer en France (8 790 en 2010). Chaque année, on diagnostique en France 71 000 cancers prostatiques, tandis que les stades métastatiques d’emblée diminuent en incidence (8 % des diagnostics) en raison de la généralisation du dépistage clinico-biologique (toucher rectal + dosage de PSA total).

L’histoire naturelle de la tumeur métastatique débute par une phase d’hormonosensibilité, au cours de laquelle le traitement repose sur la castration androgénique. Secondairement, après environ 18 mois, apparaît une phase de résistance à la castration, avec possible apparition d’un phénotype neuro-endocrine au sein de la tumeur. Des marqueurs de type NSE (Neuron Specific Enolase) et chromogranine A peuvent permettre le suivi de cette émergence. La médiane de survie, à ce stade, est de 18 mois sans traitement.

Le traitement de première ligne des stades résistants à la castration repose sur l’administration de docetaxel toutes les trois semaines à la dose de 75 mg/m². L’étude de phase III TAX 327 a démontré une amélioration de la survie avec le docetaxel (versus mitoxantrone) de plus de 20 % avec un allongement de la survie de 16,5 à 18,9 mois (p = 0,009) ainsi qu’une réponse biologique avec une diminution du PSA (de plus de 50 % par rapport au taux de départ) plus fréquente dans le groupe docétaxel (45 – 48 %) que dans le bras mitoxantrone (32 %, p < 0,001) (1).

Plusieurs progrès thérapeutiques ont été observés avec une nouvelle taxane, de nouvelles hormonothérapies visant à effondrer le taux de testostérone, une molécule ciblant l’os et des thérapies vaccinales dirigées contre les épitopes de cancers prostatiques :

1) Chimiothérapie conventionnelle

Le cabazitaxel appartient, tout comme le docétaxel, à la famille des taxanes qui sont des stabilisateurs du fuseau mitotique. Cette molécule semble être efficace dans les lignées résistantes au docétaxel. L’étude TROPIC de phase III a comparé le cabazitaxel à la mitoxantrone chez 755 patients résistants à la castration androgénique et au doc’taxel. Elle a mis en évidence un gain de la survie globale de 2,4 mois (15,1 versus 12,7 mois ; OR = 0,7 ; IC 95 % [0,59-0,83] p < 0,001). L’amélioration concerne également la survie sans progression : 2,8 versus 1,4 mois ; OR = 0,74 [0,64 – 0,86], p < 0,0001. La principale toxicité retrouvée est la neutropénie. Elle est de grade 3-4 dans 82 % des cas, et fébrile pour 8 % (2). La gestion proactive de ces effets secondaires est nécessaire afin d’éviter les complications infectieuses (administration de facteurs de croissance leucocytaire). Cette molécule bénéficie d’une recommandation de grade 1 par le NCCNC.

2) Hormonothérapie

Les tumeurs résistantes à la castration demeurent néanmoins sous la dépendance de leurs récepteurs aux androgènes et ce malgré une castration efficace (taux cible de testostérone plasmatique atteint < 0,5 ng/dL). Les mécanismes de résistance peuvent se traduire par une surexpression du récepteur cellulaire des androgènes, des mutations de ce même récepteur qui transmet un signal activateur lorsque l’anti-androgène périphérique s’y lie (cf. syndrome de retrait), ou de la progestérone, une activation du récepteur indépendamment de la présence d’un ligand ou une dérégulation des enzymes chargées de la synthèse des androgènes (concentration tumorale bien plus élevée que dans le sang).

Deux molécules ont été développées :

- L’acétate d’abiratérone est un inhibiteur irréversible de la 17 alpha-hydroxylase, enzyme clé de la synthèse surrénalienne des androgènes et des œstrogènes. La prise orale est de 1 000 mg par jour. Elle provoque une activation d’ACTH par rétrocontrôle, avec stimulation de production périphérique de corticostérone et desoxycorticostérone et donc un effet minéralocorticoïde-like (hypokaliémie et rétention hydrosodée). L’essai de phase III COU-AA-301 chez les patients résistant à la castration et en post-docétaxel a mis en évidence un gain de survie globale avec l’acétate d’abiratérone versus placebo (14,8 mois versus 10,9 mois ; OR = 0,646, p < 0,0001, IC 95 % [0,54-0,77]) (3).

- Le MDV 3 100 est un anti-androgène de troisième génération. Contrairement au bicalutamide (Casodex), c’est un antagoniste pur (donc sans effet agoniste sur les tumeurs surexprimant les récepteurs aux androgènes) et de huit fois plus grande affinité pour le récepteur. De plus, il inhibe la fixation du récepteur sur l’ADN et les co-activateurs. Une étude de phase II a mis en évidence chez des patients prétraités par docétaxel une réponse majeure dans 45 % des cas, après 12 semaines de traitement (4). Une étude de phase III en post-docétaxel est en cours comparant le MDV3100 versus placebo (étude AFFIRM).

3) Thérapie ciblée osseuse

Les bisphosphonates inhibent la différenciation et la maturation des ostéoclastes, à l’origine de la lyse osseuse. Une étude de phase III en phase métastatique chez des patients résistant à la castration n’a pas démontré d’amélioration statistiquement significative de la survie globale (OR = 0,8 IC [0,62 – 1,03]), mais une diminution en fréquence (- 22 % ; p = 0,003) et un retard de survenue des événements osseux (gain de 6 mois, p = 0,003) (5).

Le denosumab est un anticorps monoclonal anti-RANK ligand inhibant l’action du médiateur RANK ligand sécrété par les ostéoblastes et responsable de la différenciation des ostéoclastes. À l’ASCO 2010, une étude de phase III de non-infériorité en comparaison avec le zolédronate a démontré une diminution en fréquence (OR = 0,82 ; IC 95 % [0,71 - 0,94]) et un retard de la survenue du premier événement osseux (OR = 0,82 ; IC 95 % : [0,71-0,95] ; p = 0,0002).

En revanche, il n’existe pas de différentiel sur la survie globale (6).

4) Immunothérapie et vaccination antivirale

Le principe de la première intervention est de stimuler la réponse immunitaire du patient médiée par les lymphocytes T contre les cellules tumorales. On injecte, dans le sérum du patient, ses propres cellules présentatrices d’antigènes après les avoir activées in vitro au contact d’une protéine de fusion contenant un GM-CSF et l’antigène tumoral prostatique PSMA (SipuleucelT APC8015 Provenge). En effet, les antigènes associés aux tumeurs ou TAAs sont peu immunogènes. Le traitement dure quatre semaines, soit trois injections (à J0, puis semaines 2 et 4). L’étude IMPACT de phase III a démontré chez des patients asymptomatiques ou paucisymptomatiques résistant à la castration un gain de 4,1 mois sur la survie globale versus placebo (soit 25,8 versus 21,7 ; p =0,032). Les principaux effets secondaires sont l’hyperthermie 29,3 % et les frissons 54,1 %.(7)

La seconde intervention consiste à utiliser le Poxvirus comme agent stimulant de l’immunité cellulaire. Ce dernier est recombiné au PSA et à trois autres molécules activatrices : c’est le Prostvac. Une étude de phase II randomisée chez des patients métastatiques résistant à la castration, naïfs de chimiothérapie, a démontré une augmentation de la survie globale avec le Prostvac versus placebo, de 8,5 mois (25,1 versus 16,6 ; OR = 0,56 ; IC 95 % [0.37 - 0.85] ; p < 0,0061), avec un support par GM-CSF (8).

En conclusion.

L’année 2010 a vu dans le cancer de la prostate l’arrivée de cinq nouvelles molécules (dont les ATU sont très prochaines pour le cabazitaxel, le denosumab et l’abiratérone), à l’origine d’une amélioration significative des événements osseux, de la survie sans progression et/ou de la survie globale des patients atteints de cancers prostatiques résistant à la castration. De nouveaux essais sont planifiés pour étudier l’efficacité de ces molécules à des stades plus précoces de la maladie.

*Oncologie Médicale, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris.

Références :

(1) Tannock IF et coll. N.Engl.J.Med. 2004 Oct 7;351(15):1502-12.

(2) de Bono JS et coll. Lancet 2010 Oct 2;376(9747):1147-54.

(3) de Bono JS et coll. ESMO 2010

(4) Scher HI, Beer TM, Higano CS et al. Antitumour activity of MDV3100 in castration-resistant prostate cancer: a phase 1-2 study. Lancet 2010 Apr 2 ;375(9724):1437-46. Epub 2010 Apr 14.

(5) Saad F et coll. J Natl Cancer Inst. 2002 Oct 2;94(19):1458-68.

6) Fizazi K et coll. Cancer. ASCO 2010

(7) Kantoff PW et coll. N Engl J Med. 2010 Jul 29;363(5):411-22.

(8 )Kantoff PW et coll. J Clin Oncol. 2010 Mar 1;28(7):1099-105. Epub 2010 Jan 25.


Source : Bilan spécialistes