LE QUOTIDIEN – Comment le nouveau guide de pratique a-t-il été élaboré ?
Dr LUDOVIC MARTIN – Voici plus de 10 ans que la Société française de dermatologie (SFD) est engagée dans la promotion de guides de pratique. Signalons pour mémoire, le guide réalisé en 2004 sur la prise en charge du carcinome baso-cellulaire, et l'actualisation, en 2005, du guide consacré au mélanome.
Pour réaliser ce guide, nous avons choisi une approche méthodologique nouvelle, consistant à adapter des guides déjà existants, ou rédigés à l'étranger, à la pratique médicale française actuelle (méthode ADAPTE). En pratique, cinq guides ont été retenus, d'origine américaine, britannique et australienne. Un certain nombre de sociétés savantes (ORL, chirurgies maxillo-faciale et plastique, pathologie, médecine générale, gériatrie, radiothérapie) ont par ailleurs été sollicitées, de manière à ce que toutes les spécialités concernées soient représentées.
Le résultat est un guide, rédigé sous formes de recommandations pour la pratique clinique (RPC), qui s'adresse aux dermatologues, et à tous les médecins impliqués dans le dépistage, le diagnostic et le traitement des CEC. Ces médecins sont nombreux, les CEC et leurs précurseurs figurant parmi les plus fréquents des cancers cutanés et des cancers en général.
Quels étaient les objectifs poursuivis par le groupe de travail ?
Notre premier objectif était de clarifier des descriptions cliniques et histologiques parfois confuses dans la littérature, et de préciser la nosologie, notamment en ce qui concerne les précurseurs des CEC, comme la kératose actinique, ou la maladie de Bowen. Dans le même ordre d'idée, il a aussi fallu définir une place pour le kératoacanthome. Ensuite, notre principale préoccupation a été d'optimiser la prise en charge des patients atteints d'un CEC de mauvais pronostic. En l'absence de données épidémiologiques, leur proportion est difficile à estimer, mais on peut avancer le chiffre de 10 %. Nous avons également fait le point sur les traitements des précurseurs, en particulier la kératose actinique. En revanche, nous avons laissé de côté la question des CEC chez les sujets immunodéprimés, comme les transplantés, qui font l'objet de récentes recommandations de la HAS.
Quels aspects vous paraissent essentiels dans ce guide ?
Du point de vue nosologique, nous avons choisi de ne pas classer les kératoses actiniques parmi les CEC. Ce classement est en fait controversé. Mais notre choix se justifie par la résolution spontanée très fréquente de ces lésions et par l'impact psychologique et social (crédit, assurance-vie,...) associé au diagnostic de cancer. Les kératoacanthomes ont également été exclus des carcinomes épidermoïdes, pour les mêmes motifs. En ce qui concerne le pronostic, nous avons défini deux groupes de CEC sur la base de cinq critères cliniques et de quatre critères histologiques (voir encadré). Les lésions du groupe 1, qui présentent tous les critères de bon pronostic, peuvent être prises en charge en ville ou à l'hôpital, mais ne requièrent pas de passage en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). En ce qui concerne le groupe 2, qui réunit toutes les lésions ne présentant pas la totalité des critères de bon pronostic, l'évaluation en RCP est indispensable, à un moment ou à un autre de la prise en charge. Notons encore que le groupe 2, contrairement au groupe 1, associe des CEC de pronostics sans doute différents, qu'il n'est pas possible de préciser en l'état actuel des données. Il serait donc souhaitable que la SFD promeuve des études pour approfondir cette question.
Et concernant les traitements ?
La chirurgie reste indiscutablement le traitement de première intention des CEC, même si la radiothérapie a quelques indications en deuxième intention. Le guide de pratique recommande une marge chirurgicale de 4 à 6 mm pour les lésions du groupe 1, et de 6 à 10 mm pour les lésions du groupe 2. La chirurgie micrographique, couplée à une analyse histologique complète, plus économe en termes de volume tissulaire retiré, devrait rendre d'importants services dans le groupe 2. Elle accuse malheureusement un retard considérable en France, pour partie lié à l'inadaptation de la cotation. En ce qui concerne les formes métastatiques, aucune chimiothérapie n'a fait la preuve de son intérêt. Il est probable que l'avenir soit aux thérapies ciblées.
Chirurgie aussi pour le kératoacanthome. Cette lésion disparaît certes en quelques mois. Mais, d'une part, le diagnostic différentiel avec un CEC peut être délicat, d'autre part, la lésion laisse place à une cicatrice importante, et d'autant plus disgracieuse qu'elle est souvent localisée au visage. Au moindre doute diagnostique, donc, il paraît légitime de procéder à une exérèse, calquée sur la chirurgie réalisée pour les CEC du groupe 1.
Enfin, s'agissant des kératoses actiniques, un certain nombre de traitements sont efficaces (cryothérapie, crème au 5-FU, imiquimod, diclofénac,..), mais la littérature ne permet pas de les hiérarchiser. Nous avons donc simplement élaboré un tableau proposant de choisir le traitement en fonction des caractéristiques de la (ou des) kératose(s) et de celles du patient.
› PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT BARGOIN
*CHU d'Angers, président de l'association Recommandations en dermatologie de la Société française de dermatologie.
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