Dr Caroline Cuvier, sénologue à l'hôpital Saint-Louis (AP-HP)

« L'activité physique est proposée dans le cancer du sein dès le diagnostic »

Publié le 31/03/2020

Précurseure en sport et santé, la Dr Caroline Cuvier, oncologue à l'hôpital Saint-Louis et joueuse de tennis, a mis en place, dès 2012, plusieurs ateliers d'activité physique dans le cancer du sein.

Une heure et demie par semaine d'activité physique d'intensité modérée diminue le risque d'environ 15 %

Une heure et demie par semaine d'activité physique d'intensité modérée diminue le risque d'environ 15 %
Crédit photo : Phanie

Vous êtes la première à avoir mis en place en 2012 au sein de l'hôpital Saint-Louis un cours de tennis pour les femmes ayant un cancer du sein. Comment l'idée vous est-elle venue ?

Dans cet hôpital, il y a un court de tennis et l'un des enseignants du Tennis club 12 Bercy que je préside m'avait dit que si, un jour, j'avais besoin d'un professeur à Saint-Louis, il était partant. C'était vraiment nouveau dans le cancer du sein.

Pour lui comme pour les patientes, c'était rassurant que cela se fasse en milieu hospitalier protégé avec l'hôpital Saint-Louis à proximité. Je lui ai expliqué le cancer du sein et lui ai conseillé de faire un cours le plus normal possible chez ces patientes non métastatiques. Des formations officielles existent depuis avec la Fédération française de tennis.

Je me souviens du premier cours. Je me demandais comment cela allait se passer, si c'était une bonne idée et j'y suis allée faire un tour. Vers la fin, j'ai aperçu une Algérienne qui n'avait jamais fait de sport pleurer de joie tellement elle était contente. Quant au professeur de tennis, lui aussi il pleurait, très ému par la réaction de cette femme. C'est un moment inoubliable…

Au sein de l'hôpital Saint-Louis il y a plusieurs ateliers d'activité physique dans le cancer du sein : escrime, marche nordique, tennis et yoga. À quelles patientes sont-elles destinées ?

Ces ateliers, mis en place à l'automne 2012, s'adressent aux patientes qui, dans les six mois, ont eu un diagnostic de cancer du sein localisé. Le sport prévient la récidive en diminuant le taux d'insuline, les pics de glycémie, l'inflammation, ainsi que les taux d'œstrogène. Il existe un effet dose réponse. Il est recommandé de pratiquer au moins une heure et demie par semaine d'activité physique d'intensité modérée ce qui équivaut à une marche assez rapide. Cela diminue le risque d'environ 15 %. Par ailleurs, il est important de lutter contre la sédentarité car on peut avoir une activité physique quatre fois par semaine et être sédentaire le reste du temps. Il est recommandé de bouger toutes les deux heures, par exemple de monter trois escaliers…

Pour les patientes ayant des métastases, un cours de gymnastique et de renforcement musculaire leur est destiné. La pratique du sport est plus délicate en raison des risques osseux. Le sport pourrait allonger leur survie, et leur permet, en tout cas, d'améliorer leur qualité de vie, de reprendre confiance en leur corps et de regagner un peu de muscle.

Pourquoi ces sports-là ?

Ce sont des activités physiques un peu diverses, adaptées aux moyens du bord et aux équipements. Côté yoga, c'est une activité accessible à tout le monde. Pour l'escrime, ce sport me paraissait particulièrement intéressant pour la mobilité des deux bras. C'est de l'escrime plutôt artistique, qui leur permet de stimuler la mémoire en apprenant des enchaînements. Ce sport de combat illustre « le combat contre la maladie ». La marche nordique permet de prendre l'air et de s'adapter à tous les âges et à tous les antécédents sportifs.

Quels sont les avantages du tennis ?

La dépense énergétique est correcte avec un côté ludique et convivial. Je ressens une solidarité qui n'existe pas dans les autres cours. À la fin, elles aiment bien s'affronter. C'est le sport de la vraie vie, elles le pratiquent comme tout le monde. Beaucoup d'entre elles d'ailleurs continuent à jouer après. Le fait de se servir d'une raquette participe à la rééducation du bras opéré. Au début, il y a des adhérences, la cicatrice tire puis ce phénomène s'estompe.

De quelle manière préconisez-vous ce sport ?

Le plus tôt possible, dès le diagnostic de cancer effectué. Beaucoup de personnes, même les sportifs, diminuent leur activité physique une fois le diagnostic posé. Or plus l'activité physique est commencée tôt et poursuivie pendant et après le traitement, plus elle est efficace pour diminuer la douleur et améliorer la qualité de vie. 

Le sport permet d'amoindrir les effets secondaires en particulier de la chimiothérapie, ainsi que la fatigue per- et post-traitement. Il y a moins de toxicité digestive, et cela joue sur le psychisme. Les arthralgies associées à l'hormonothérapie sont également amoindries. L'activité physique diminue l'anxiété, améliore le sommeil, diminue les bouffées de chaleur.

Comment se passe un cours ?

Les patientes s'inscrivent dès le diagnostic à n'importe quel moment de l'année. Les cours déroulent de façon à peu près classique avec des groupes limités à huit participantes. Il s'agit de patientes non métastatiques, sans problèmes osseux.

Mais elles sont fatiguées, anxieuses, parfois nauséeuses ou encore récemment ménopausées à la suite de la chimiothérapie. Il est recommandé au professeur d'être vigilant, de toujours les observer. Certaines peuvent avoir des coups de blues et de fatigue. Les raquettes sont légères, et les balles intermédiaires. Le cours se termine souvent par des petits matchs et elles adorent.

Avez-vous envisagé de proposer des sports à l'extérieur de l'établissement ?

Une fois que les patientes reprennent leur travail, j'ai essayé de les aider à trouver du sport avec la ville de Paris. Depuis trois ans, nous avons des places réservées avec des enseignants pour de l'aviron au bassin de la Villette et, depuis peu, des créneaux pour des cours de badminton, de gym adaptée et du karaté pour les plus de 60 ans.

En 2018, l'équipe est partie trois jours à Venise avec neuf patientes à la Vogalonga pour une randonnée en aviron : 39 km de courses plus huit kilomètres pour ranger le bateau dans la lagune. Le fait de côtoyer ces patientes autrement et d'observer leurs émotions ajoute au bonheur de faire ce métier. Ce fut un moment fantastique pour tout le monde.

Agnès Figueras-Lenattier

Source : Le Quotidien du médecin