Pr Solange Peters (Lausanne), présidente de l’ESMO

« Le lien entre pollution atmosphérique et cancer du poumon mis en évidence »

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Publié le 18/11/2022
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L’étude présentée en session présidentielle au congrès de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) par le Pr Charles Swanton (Londres) a fait grand bruit en prouvant le lien entre la pollution de l’air et le cancer du poumon (CP), en particulier chez les non-fumeurs. Décryptage avec la Pr Solange Peters (CHUV de Lausanne), présidente de la séance et de l’ESMO 2020-22.

Crédit photo : DR

Comment a-t-on pu confirmer la relation entre pollution et cancer du poumon (CP) chez le non-fumeur ?

La pollution de l’air a toujours été suspectée dans la survenue d’un certain nombre de cancers, en particulier au niveau du système digestif, des voies aériennes supérieures, de la plèvre et des poumons. Intuitivement, on constatait plus de CP dans les régions polluées, et pas uniquement chez les fumeurs. Avec son étude (1), le Pr Swanson a donc répondu à une question fondamentale sur la relation entre la pollution de l’air et le CP chez les non-fumeurs, dont l’incidence augmente. Il a d’abord mené une grande revue épidémiologique sur plus de 450 000 personnes, qui a confirmé que l’exposition aux particules fines (PM2,5) favorisait la survenue de divers cancers. Dans certaines zones géographiques, la concentration dans l’air des PM2,5 était directement corrélée à la prévalence et l’incidence du CP chez le non-fumeur.

Le chercheur a ensuite montré que des modèles de souris, ayant une susceptibilité génétique à la survenue de CP, développaient davantage de tumeurs, plus rapidement, en cas d’exposition aux PM2,5. Au sein du micro-environnement tumoral, il a mis en évidence une réaction inflammatoire non spécifique liée à l’interleukine-1β (IL-1β) en réponse à la pollution. Ce qui provoquerait un affaiblissement de l’immunité et favoriserait la prolifération des cellules anormales, puis du cancer. Même observation chez l’homme : un bref contact des PM2,5 avec des cellules bronchopulmonaires provoque la sécrétion de ces mêmes cytokines IL-1β.

Quelle nouvelle voie de carcinogenèse a été mise en évidence ?

De nombreux carcinogènes, comme le tabac, provoquent des mutations aboutissant à la prolifération de cellules tumorales, l’inflammation n’intervenant qu’ensuite. Ce modèle classique ne pouvait expliquer l’effet carcinologique de facteurs, n’entraînant pas ou peu de mutations comme les PM2,5.

Les cellules tumorales du CP chez le non-fumeur présentent fréquemment des mutations EGFR, en particulier chez les Asiatiques, ou KRAS. L’étude a analysé, en population générale, le lien entre la pollution, ces mutations et les cancers. Ainsi, elle a montré l’existence de mutations EGFR et KRAS dans, respectivement, 15 % et 53 % des cellules alvéolaires de sujets sains. Dans les conditions habituelles, les cellules mutées, contrôlées par le système immunitaire, ne prolifèrent pas. Mais, elles pourraient le faire, en raison des mécanismes d’affaiblissement de l’immunité spécifique générés par l’exposition à la pollution.

Quelles conclusions peut-on tirer de cette étude ?

Cette théorie ne rend probablement pas compte de tous les CP chez les non-fumeurs. Néanmoins, elle explique comment et pourquoi la pollution constitue un risque. Or, à la différence du tabac, l’individu ne choisit pas l’air qu’il respire. Et les populations les plus défavorisées sont aussi les plus exposées aux plus hauts niveaux de pollution. C’est un argument de plus pour attirer l’attention sur le réel danger que constitue la pollution pour la santé publique. Au-delà du CP, un surrisque existe aussi pour des pathologies non cancéreuses, et d’autres localisations tumorales.

À la limite de la provocation, le Pr Swanton souhaiterait aussi qu’on s’interroge sur le vapotage : il constitue une forme de pollution, au moins au niveau des bronches exposées plusieurs fois par jour.

Pourrait-on envisager une prévention par les anti-IL-1β ?

On dispose déjà d’un anti-IL-1β, le canakinumab. Dans des études à visée cardiologique, il avait montré un effet anti-inflammatoire limitant non seulement les récidives d’infarctus, mais aussi la survenue de CP et leur mortalité. Néanmoins, les grandes études lancées par le laboratoire pharmaceutique, pour tester son efficacité anticancéreuse à divers stades de la maladie, se sont révélées négatives. En réalité, l’IL-1β n’intervient que précocement à la phase d’oncogenèse et n’aurait plus d’effet face à un cancer constitué. L’utiliser en prévention serait totalement déraisonnable face aux connaissances actuelles. Cela supposerait une étude prospective contrôlée préalable, et la recherche de mutations chez les personnes exposées à la pollution. Il faudrait aussi définir l’intensité et la durée de l’exposition susceptible de provoquer un cancer qui serait vraisemblablement de l’ordre d’un ou deux ans, mais cela n’a pas été prouvé.

D’autres questions restent en suspens : ce mécanisme lié aux IL-1β se retrouve-t-il dans d’autres cancers ? Et à quels autres facteurs est-il associé ? Par exemple, il est connu que la génétique joue un rôle dans le CP du non-fumeur. En effet, des populations asiatiques gardent une susceptibilité au CP, même si elles déménagent ou sont nées dans des endroits non exposés à la pollution.

(1)   Swanton C et al. ESMO 2022, abstract LBA 1

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Bilan Spécialiste