Cancer du sein

Le travail de nuit en question

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Publié le 27/10/2020

Alors que le cancer du sein est à l’honneur en ce mois d’octobre rose et qu’une partie du personnel soignant est particulièrement sollicité de jour comme de nuit en cette période de pandémie, une équipe française (1) a montré récemment que le dérèglement du rythme circadien augmenterait le risque de tumeurs mammaires, ainsi que de cancers plus agressifs (2).

Crédit photo : Phanie

Une étude épidémiologique menée par une équipe de Villejuif (3) a mis en évidence une augmentation du risque de développer un cancer du sein chez les femmes exposées au travail de nuit comme les infirmières. Ce surrisque concerne essentiellement les femmes préménopausées, pour des tumeurs majoritairement : récepteur œstrogène (ER) + et HER2 +. Le risque de cancer triple négatif est identique à la population témoin. Le risque est corrélé à la durée et à l’intensité de la période de travail de nuit, notamment pour des durées de plusieurs années avec au moins trois nuits par semaine. On manque encore de recul, mais il semblerait que le risque de cancer du sein redescend au niveau de la population générale lorsque le travail de nuit est arrêté depuis au moins deux ans.

« Dans un modèle murin de tumorigénèse mammaire, nous avons montré que l’altération du rythme circadien durant une longue période — 10 semaines chez la souris équivalant à plusieurs années chez la femme — favorisait non seulement la croissance tumorale mais aussi la dissémination des cellules cancéreuses dans la circulation sanguine et des organes comme la moelle osseuse, les os et les poumons », explique le Dr Hervé Aclocque (Inserm UMRS 935).

De multiples dérèglements

Le rythme circadien agit sur la production d’œstrogènes mais aussi sur diverses autres hormones. Son dérèglement altère le métabolisme global, avec des troubles du métabolisme glucidolipidique qui peuvent favoriser la croissance tumorale, avoir un impact délétère sur le système immunitaire (le micro-environnement tumoral devenant favorable au développement des cellules tumorales) et une action directe sur les cellules cancéreuses. En effet, l’altération de l’horloge circadienne active dans les cellules tumorales un programme nommé Epithelial to mesenchymal transition (EMT) qui favorise l’invasion puis leur dissémination.

Au niveau des cellules mammaires, on sait que les gènes de l’horloge circadienne codent pour des facteurs de transcription importants pour la formation et le fonctionnement de la glande mammaire, la perturbation du cycle jour/nuit induisant à la fois une dérégulation de l’horloge circadienne et de la biologie des cellules épithéliales mammaires.

« De façon plus surprenante, nous avons mis en évidence que le décalage horaire modifie l’expression des gènes impliqués dans la perception et la transduction du signal lumineux dans des tissus qui ne sont pas exposés à la lumière, ce qui suggère que ces gènes puissent avoir d’autres fonctions que la phototransduction mais nous n’avons pas actuellement d’explication claire ».

Rétablir le rythme circadien

Plusieurs projets en cours visent à resynchroniser l’horloge circadienne pour revenir à un état « basal » de cancérogenèse. Il est possible de limiter les effets de la dérégulation circadienne, avec par exemple un traitement ciblant le récepteur CXCR2, qui appartient à une voie de signalisation modifiant l’environnement immunitaire au sein de la tumeur. Le dérèglement du rythme circadien recrute au sein de la tumeur de nombreux macrophages pro tumoraux qui induisent une immunosuppression locale en diminuant l’infiltration des lymphocytes TCD8 ± et en augmentant les cellules inhibant le système immunitaire, ce qui favorise la croissance et la dissémination des cellules cancéreuses. L’inhibition de CXCR2 rééquilibre le micro-environnement tumoral induit par le dérèglement circadien.

Miser sur la mélatonine ?

« Dans la continuité de ce travail, nous allons étudier si la perturbation de l’horloge circadienne accroît la chimiorésistance des cellules cancéreuses et si le rétablissement du rythme circadien par un traitement de chronomodulation administré avant la chimiothérapie peut favoriser la réponse des cellules cancéreuses à la chimiothérapie ». Quelques essais ont été menés avec la mélatonine dans les cancers du sein, essentiellement pour limiter les effets secondaires de la chimiothérapie et de la radiothérapie sur les troubles du sommeil, le stress. Des études plus anciennes montrent une corrélation entre le taux de mélatonine et le cancer du sein. Des modèles expérimentaux permettront de savoir si l’administration de mélatonine afin de rétablir une horloge circadienne fonctionnelle à des souris développant des tumeurs mammaires les rend plus sensibles à la chimiothérapie. Dans le même objectif seront administrés des agonistes du récepteur orphelin RORγ, principalement exprimé dans les cellules immunitaires, et qui participe à la régulation de l’horloge circadienne.

(1) Université Paris-Saclay, Inserm, INRAE
(2) Hadadi E, Taylor W et al. « Chronic circadian disruption modulates breast cancer stemness and immune microenvironment to drive metastasis in mice », Nat Commun 2020(11);3193. https://doi.org/10.1038/s41467-020-16890-6
(3) Cordina-Duverger E, Menegaux F et al. Night shift work and breast cancer: a pooled analysis of population-based case-control studies with complete work history. Eur J Epidemiol. 2018 Apr;33(4):369-79. doi: 10.1007/s10654-018-0368-x. Epub 2018 Feb 20. PMID: 29464445.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr