Installée à Suresnes, en attendant son aménagement sur le site de Saint-Cloud de l’Institut Curie, la nouvelle plateforme CellAction vise à améliorer les performances des différentes formes de thérapies cellulaires et géniques : autologues, allogéniques et même « in vivo delivery » (une approche qui consiste à transformer les cellules immunitaires directement à l’intérieur du patient). Elle bénéficie d’un financement de 13,7 millions d’euros, dont 11,7 millions fournis par le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC) et 2 millions par l’Institut Curie.
Confrontés aux tumeurs solides, les lymphocytes T autologues génétiquement modifiés pour exprimer un récepteur antigène chimérique, ces cellules dites CAR-T, rencontrent plusieurs difficultés. « Il y a d’abord un problème de cible, explique la Dr Marion Alcantara, hématologue à l’Institut Curie et directrice médicale de CellAction. En hématologie, un antigène comme le CD19 est idéal car il ne s'exprime que sur les lymphocytes B. Dans les tumeurs solides, il faut trouver une cible présente de façon homogène dans des tumeurs qui sont, elles, très hétérogènes ».
D’autres problématiques expliquent les difficultés à appliquer cette thérapie cellulaire aux tumeurs solides : le micro-environnement immunosuppresseur et le risque d'interception de la cellule CAR-T avant qu’elle n’arrive dans la tumeur. « Il y a aussi le fait que pendant longtemps, on n'a pas voulu faire de lymphodéplétion avant l'infusion des cellules CAR-T dans les tumeurs solides », poursuit-elle.
Dans les tumeurs solides, il faut trouver une cible présente de façon homogène dans des tumeurs qui sont, elles, très hétérogènes
Dr Marion Alcantara, hématologue à l’Institut Curie et directrice médicale de CellAction
Le gène SUV39H1, une clé de la longévité fonctionnelle
Le premier projet, et le plus avancé, est une méthode pour augmenter la durée de vie fonctionnelle des cellules CAR-T injectées au patient. « Il existe une sorte de mécanisme de sécurité, qui s’active lors de l’épuisement du lymphocyte T effecteur et sa transformation en lymphocyte T mémoire », explique la Dr Alcantara. Les chercheurs de l’Institut Curie ont identifié un gène clé dans ce processus : le SUV39H1, dont l’inhibition entraîne des modifications épigénétiques dans les lymphocytes T prolongeant l’effet des thérapies CAR-T.
Dans deux études in vitro, les chercheurs ont démontré l’amélioration des fonctions à long terme des cellules CAR-T dans un modèle de leucémie aiguë et dans un modèle de tumeur solide (cancer du poumon). Début 2024, une nouvelle étude publiée dans Cancer Discovery menée chez la souris a confirmé in vivo l’intérêt des cellules CAR-T améliorées par l'inactivation de SUV39H1. À faible dose, la réponse initiale de tumeurs du poumon humanisées était similaire, que la cellule CAR-T soit classique ou modifiée pour ne pas exprimer SUV39H1. Mais 60 à 72 jours après le traitement, les souris témoins rechutaient, tandis que celles traitées par cellules CAR-T modifiées sans expression de SUV39H1 restaient en rémission. Cette observation était confirmée par la mesure de la croissance cellulaire. Avec de plus fortes doses de cellules CAR-T, toutes les souris étaient guéries, quel que soit le type de cellules injectées, mais aucune de celles qui ont reçu une thérapie cellulaire classique ne survivait après une nouvelle greffe de cellules tumorales. A contrario, les souris avec des cellules CAR-T inhibées restaient en vie. Une start-up, Mnemo Therapeutics, a été fondée pour exploiter le brevet lié à cette découverte.
Des cellules CAR-T anti-mésothéline
Pour franchir le gouffre entre étape préclinique et premières études chez l’homme, la plateforme CellAction a acquis des compétences pour respecter les bonnes pratiques de fabrication. « Le process de développement est encore très méconnu des chercheurs, explique la Dr Alcantara. On doit vraiment se professionnaliser sur ces questions-là ». La plateforme n’a pas vocation à être une unité de production de thérapie cellulaire, aussi un accord a-t-il été signé avec le centre Meary de l’AP-HP.
Une étude clinique de phase 1-2 portera ainsi sur une nouvelle cellule CAR-T ciblant la mésothéline et exploitant SUV39H1. Le gène codant pour le récepteur antigénique chimérique sera introduit par un vecteur lentiviral et SUV39HA sera inhibé à l’aide des ciseaux moléculaires Crispr/Cas9. La mésothéline est une cible identifiée dans plusieurs tumeurs solides (ovaire, endomètre, sein, mésothéliome, pancréas ou foie).
Un autre projet est en cours pour utiliser l’inhibition de SUV39H1 dans une cellule CAR-T anti-CD19 dans une indication encore non couverte par les thérapies cellulaires : le lymphome cérébral primitif. Une discussion avec la start-up singapourienne Medisix Therapeutics est également engagée pour cibler les lymphomes T. « Le challenge de cette pathologie est que le lymphocyte que l’on cible est le même que celui que l’on modifie pour le détruire. Il faut donc trouver une cible exprimée par le lymphocyte tumoral mais pas par le lymphocyte CAR-T », prévient la Dr Alcantara.
Les lymphocytes TILs testés en thérapie cellulaire
La TIL-ACT (pour tumor-infiltrating lymphocytes -adoptive cellular therapy) est une nouvelle approche de thérapie cellulaire. Encore expérimentale, elle a pour objectif de renforcer l’action des lymphocytes infiltrant la tumeur (dits TILs). En laboratoire, ces TILs sont extraits de la biopsie, sélectionnés, puis multipliés à l’aide d’une cytokine, l’interleukine 2 (IL-2), avant d’être réinjectés en hospitalisation après une chimiothérapie intensive préalable. Puis, durant trois à cinq jours, le patient va recevoir de l’IL-2 à haute dose, pour stimuler leur prolifération. PragmaTIL est un essai clinique randomisé de phase 2 mené en Europe autour de Gustave-Roussy et du Vall d’Hebron (Barcelone) , qui va évaluer un analogue de l’IL-2, moins toxique, l’ANV419 en accordant une place de premier plan au vécu des patients à côté des critères évalués par les médecins.
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