Polyarthrite rhumatoïde : un surrisque de cancer à prendre en compte

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Publié le 13/09/2024
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Une vaste cohorte chiffre à 50 % le surrisque de cancer pulmonaire en cas de polyarthrite rhumatoïde, un risque qui est même triplé lorsqu’une maladie interstitielle pulmonaire est associée. Des résultats qui plaident pour la mise en place d’un dépistage spécifique dans cette population.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La polyarthrite rhumatoïde (PR) est une maladie auto-immune systémique qui, au-delà des articulations, peut affecter divers organes, dont les poumons. Dans près de 10 % des cas, elle est associée à une maladie interstitielle pulmonaire ; elle expose aussi au développement d’autres maladies pulmonaires chroniques, telles la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des bronchectasies.

Plusieurs méta-analyses ont par ailleurs évoqué un surrisque de cancer pulmonaire, qui serait augmenté de 40 à 60 %. C’est ce que vient confirmer l’analyse d’une vaste cohorte récemment publiée (1). Ce travail met en effet en évidence un surrisque relatif de 50 % de cancer pulmonaire associé à la PR. Le risque est même multiplié par trois lors de maladie interstitielle pulmonaire associée à la PR. Ce qui pose la question à l’avenir d’un éventuel dépistage du cancer pulmonaire chez ces sujets à haut risque.

Étude rétrospective au sein de la cohorte des vétérans

Les auteurs sont partis des données de la cohorte américaine des vétérans, au sein de laquelle les sujets souffrant de PR ont été identifiés. Ils ont été appariés à 10 sujets contrôles indemnes de PR nés la même année, de même sexe et enrôlés dans la cohorte des vétérans la même année. Les sujets ayant un antécédent de cancer pulmonaire étaient exclus. Le critère primaire est la survenue d’un cancer pulmonaire au cours du suivi.

Au total, les auteurs ont identifié 72 795 personnes souffrant de PR et les ont appariés avec 633 937 sujets indemnes. Ces personnes sont essentiellement de sexe masculin (87 %), Blancs (82 %) et ont un âge moyen à l’entrée de 63 ans.

Parmi les patients porteurs de PR, 84 % avaient un antécédent de tabagisme et 15 % avaient été exposés à l’agent orange.

757 patients souffraient en outre de maladie interstitielle pulmonaire : ils étaient en moyenne un peu plus âgés (67 vs 63 ans), avaient encore plus souvent fumé (88 %) et souffrent de davantage de comorbidités, même non pulmonaires, que les patients atteints de PR mais indemnes de maladie interstitielle pulmonaire. Ce sous-groupe a été apparié à 6 000 sujets sans PR ni maladie interstitielle pulmonaire.

+ 50 % de cancers pulmonaires

Au terme d’un suivi moyen de 6,3 ans, 2 974 cas de cancers pulmonaires se sont déclarés parmi les patients PR et 14 125 chez les sujets non-PR appariés. En présence de PR, les cancers pulmonaires les plus fréquents sont des carcinomes pulmonaires squameux (36 %) tandis que chez les sujets indemnes, ce sont les adénocarcinomes pulmonaires qui prédominent (34 %).

En analyse multivariée après ajustements, le risque de cancer pulmonaire associé à une PR est augmenté de plus de 50 % (RR=1,58 [1,52-1,64]). Et cette association significative persiste même quand on se restreint aux sujets n’ayant jamais fumé.
En parallèle, on a une augmentation relative de plus de 50 % du risque de décès par cancer pulmonaire lors de PR (RR=1,58 [1,51-1,66]). Cependant, les durées moyennes de survie après diagnostic sont comparables (7 vs 6,3 ans).

Un surrisque encore plus important en cas de maladie interstitielle

Chez les patients souffrant de maladie interstitielle pulmonaire associée à leur PR, 130 cancers pulmonaires se sont déclarés au cours des 5 ans de suivi moyen. Encore une fois, ceux-ci sont majoritairement des carcinomes squameux (29 %) ou des adénocarcinomes (29 %) quand, en l’absence de PR, ces cancers sont largement dominés par les adénocarcinomes (43 %).

La comparaison avec le groupe apparié met en évidence un surrisque important. Après ajustements, ce surrisque de cancer pulmonaire est multiplié par plus de 3 (RR=3,25 [2,13-4,95]), soit bien plus que lors de PR sans maladie interstitielle pulmonaire associée.

En parallèle, la mortalité elle aussi triplée dans ce cas, avec, à nouveau, des survies du même ordre (4,2 vs 5,1 ans en absence de PR et maladie interstitielle pulmonaire).

Implications cliniques : quid du dépistage ?

Les maladies interstitielles pulmonaires constituent une manifestation extra-articulaire de la PR qui pèse lourdement sur le pronostic. Dans quelle mesure cela est-il lié à l’important surrisque de cancer pulmonaire ? Cela reste à préciser.

Néanmoins, ce travail pose d’ores et déjà la question d’un dépistage du cancer pulmonaire chez les patients atteints de PR, et encore plus chez ceux atteints conjointement de maladie interstitielle pulmonaire. Le surrisque étant retrouvé aussi chez les non-fumeurs, il semble bien que le facteur tabagisme ne puisse pas totalement l’expliquer.

(1) RT Brooks et al. The risk of lung cancer in rheumatoid arthritis and rheumatoid arthritis-associated interstitial lung disease. Arthritis & Rheumatology 2024. 2024 Jul 28

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr