SURDIAGNOSTIC, surtraitement : les Français découvrent aujourd’hui, des années après les Américains, que la médecine peut être source de gaspillage thérapeutique, financier et humain et que les moyens mis à la disposition de leur santé ne le sont pas toujours forcément pour leur bien, car trop d’information de sensibilisation et d’alertes peuvent rendre encore plus malade… d’inquiétude…
Faut-il systématiquement mettre en branle toute une batterie d’examens coûteux et souvent inutiles, plus pour se prémunir contre d’éventuels procès que pour faire un diagnostic ? Ne conviendrait-il pas de réserver les interventions les plus sophistiquées aux cas qui le méritent vraiment ? La mode du dépistage n’est-elle pas finalement contre-productive ? Entre 80 ans et 85 ans, il est habituel de souffrir d’arthrose ou de précordialgies tolérables, mais n’oublie-t-on pas trop souvent que le simple paracétamol et l’aspirine à faible dose suffisent ?
Nortin Hadler est un personnage hors du commun, bien connu aux États-Unis. Professeur de médecine éminent à l’université Chapel Hill (Caroline du Nord), rhumatologue, immunologiste, biochimiste, biostatisticien, il est le premier, fort de son statut reconnu dans l’establishment médical, à mettre en doute un certain nombre de dogmes et de modes en médecine, avec un scepticisme ravageur contre les publications en apparence irréfutables des revues médicales les plus prestigieuses. C’est ainsi que, fort de 30 ans d’expérience sur le terrain, il publie en 2008 « Worried sick. A prescription for health in overtreated America », créant un électrochoc dans l’opinion américaine.
Il s’élève notamment contre la dictature de la cardiologie interventionnelle et la prescription de coronarographie à la moindre douleur thoracique. En reprenant les calculs statistiques de différentes publications dans le sens de la médecine basée sur l’évidence, la chirurgie des coronaires n’a pas de raisons d’être. La simple dilatation coronaire avec stent devrait être réservée aux atteintes de la coronaire gauche et du tronc commun, qui ne représentent que 6 % des cas. La pression artérielle des sujets âgés, modestement augmentée, doit être respectée ou traitée prudemment pour éviter les malaises avec chute et fractures. Les seuils de normalité de la glycémie et du cholestérol ont été diminués, ce qui peut conduire à traiter inutilement certains sujets.
Après 70 ans.
Il doute surtout de l’efficacité des campagnes de dépistage des cancers, en l’absence de signes d’appel et de troubles, pour le sein, l’intestin et la prostate, surtout après 70 ans. La mammographie systématique est souvent prise en défaut, en particulier chez les femmes non ménopausées qui ont des seins denses rendant l’interprétation difficile. Une image anormale, douteuse, impose la biopsie qui montre le plus souvent une lésion bénigne ou un cancer in situ qui n’aurait peut-être jamais évolué. Pour le cancer du côlon, la recherche de sang dans les selles n’est pas toujours fiable. Les colonoscopies systématiques, du fait d’antécédents familiaux, comportent un risque non négligeable de perforation, surtout après les biopsies difficiles de certains polypes. Une simple sigmoïdoscopie, sans risques, est parfois suffisante. Les modifications des PSA ne correspondent pas toujours à des cancers de la prostate à tendance évolutive et invasive, menaçant le pronostic vital. À partir de 80 ans, on a plus de chances de mourir d’autre chose que de son cancer de la prostate…
Le dépistage et le traitement actuel de l’ostéoporose sont également mis à mal. En effet, le risque de fracture ne dépend pas uniquement de la densité minérale osseuse mesurée, souvent, sans même tenir compte des facteurs de risque. Les différents traitements proposés augmentent la densité minérale osseuse, mais sans vraiment réduire le nombre de fractures périphériques, ce qui remet en cause l’utilité de traitements aussi longs.
J’ai fait la connaissance de Nortin Hadler en 1990, lors de son stage à l’Institut de rhumatologie de l’hôpital Cochin (Paris), en année sabbatique. À l’époque, il s’intéressait déjà aux aspects sociaux de la médecine et aux différentes modalités de prise en charge des maladies et des accidents du travail de par le monde, depuis Bismarck. C’est avec plaisir que j’ai accepté d’écrire la préface de son livre, tout récemment traduit en français au Canada, par amitié pour l’auteur mais aussi parce que je pense, comme lui, que le statut social, économique et professionnel joue un rôle primordial dans le bien-être des individus. Aux professionnels de santé de ne pas jouer les apprentis sorciers en créant de nouvelles maladies entretenues par l’ignorance et la peur de la mort.
Toutefois, je ne peux éviter de penser aux patients que j’accueillais dans mon service en provenance des pays de l’Est, à l’époque soviétique. Ma connaissance du russe favorisait ces séjours. Alors, leur angoisse était surtout due à un sous-diagnostic et à un sous-traitement… en l’absence d’une industrie du médicament valable. Autres temps, autres questions…
* Presse de l’université de Laval (www.pulaval.com), 490 pages.
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