Cancer du foie

Un vent d'innovation en chirurgie hépatique

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Publié le 19/11/2021
Opération de patients avec une hypertension portale, réduction du risque de décompensation postopératoire grâce à la cœlioscopie, chirurgie guidée par la fluorescence : ces trois avancées majeures permettent aujourd'hui à la prise en charge chirurgicale des carcinomes hépatocellulaires (CHC) de se renouveller.
Chez un patient cirrhotique, la décompensation hépatique représente le risque principal après chirurgie du foie

Chez un patient cirrhotique, la décompensation hépatique représente le risque principal après chirurgie du foie
Crédit photo : phanie

« Chez un patient cirrhotique, la décompensation hépatique représente le risque principal après chirurgie du foie : elle associe une insuffisance hépatique à une ascite plus de trois mois après l'intervention. Ce risque est de l'ordre de 30 % quand on opère des malades avec une hypertension portale. C'est la raison pour laquelle il y a encore quelques années, la présence d'une hypertension portale (avec un gradient de pression hépatique supérieur à 10 mmHg) était considérée comme une contre-indication formelle à l'opération. Aujourd'hui, on commence à opérer ces malades à partir du moment où ils vont subir une résection limitée (hépatectomie mineure) et que leur fonction hépatique est en partie conservée », explique le Pr Éric Vibert (Centre hépatobiliaire, hôpital Paul Brousse, Villejuif).

La cœlioscopie préférable ?

« Nous n'avons pas encore les éléments absolument formels démontrant que la cœlioscopie est préférable dans la chirurgie du cancer du foie, mais c'est presque certain », ajoute le Pr Vibert. Avec ou sans hypertension portale avant la chirurgie, le risque de décompensation hépatique après résection tumorale serait ainsi divisé par deux. « Il n'y a pas d'études prospectives randomisées pour l'affirmer, mais de nombreux éléments rétrospectifs assez satisfaisants vont dans ce sens (1). De plus, l'étude Lap CHC, en cours et portée par le Pr François Cauchy, étudie les conséquences à trois mois et à plus long terme de la chirurgie du foie dans le CHC, avec des malades randomisés dans chaque bras (sous cœlioscopie ou sous laparotomie). Quand les résultats de l'étude seront connus, on aura enfin une réponse claire. Ce n'est plus qu'une question de mois », note le Pr Vibert. 

Repérer les nodules par fluorescence 

La chirurgie guidée par fluorescence nécessite d'injecter, en préopératoire, un colorant dans la veine du pli du coude : le vert d'indocyanine, qui est absorbé par le foie et excrété dans la bile. « On l'utilise depuis très longtemps pour mesurer la fonction hépatique : plus le produit disparaît rapidement de la circulation sanguine (puisqu'il est évacué dans la bile) et mieux le foie fonctionne », rappelle le Pr Vibert. La nouveauté, c'est d'utiliser une caméra avec une lumière infrarouge chez un malade ayant reçu du vert d'indocyanine, pour repérer à la surface du foie, de petits nodules cancéreux autrement invisibles à l'œil nu. En effet, le vert d'indocyanine est un colorant qui rentre dans le cancer primitif du foie, mais qui n'en sort pas (contrairement au tissu hépatique sain). Sans ce colorant, ces petits nodules passeraient donc inaperçus. « C'est une réelle avancée dans la façon dont nous pouvons explorer la surface du foie sous cœlioscopie : cela nous permet de découvrir dans environ 8 à 10 % des cas, de nouveaux nodules cancéreux qui vont être retirés dans la foulée (2). De plus, cette innovation va nous servir à mieux déterminer la taille de notre chirurgie. En effet, un nodule très fluorescent correspond à un cancer bien différencié et ne nécessite pas une hépatectomie très large. Au contraire, un nodule prenant le colorant de manière périphérique est mal différencié et requiert donc une chirurgie plus large », insiste le Pr Vibert. 

Une stratégie thérapeutique en évolution

Nous avons des traitements néoadjuvants de plus en plus efficaces pour traiter les grosses tumeurs, comme l'Yttrium-90 (90Y) et les immunothérapies (atézolizumab, bevacizumab). Celles-ci permettent de faire fondre suffisamment la tumeur pour opérer des malades autrefois inopérables. « En sélectionnant mieux nos patients pour la chirurgie (notamment grâce à l'élastomètrie), on a aussi la possibilité de réserver la transplantation aux seuls malades qui ne peuvent pas être opérés et sont multi-nodulaires », remarque le Pr Vibert. Mais de nouveaux changements pourraient encore intervenir : « une nouvelle étude (Surf-Trial), prochainement publiée, a comparé la destruction locale par radiofréquence à la résection par cœlioscopie dans le CHC unique de moins de trois centimètres : elle ne retrouve pas de différence entre les deux stratégies concernant les résultats à trois ans. On se dirige donc probablement vers un traitement du CHC encore plus personnalisé, faisant intervenir la nature du cancer (très invasif ou pas), sa position (proche du pédicule du foie ou pas) … Pour savoir qui opérer ou pas ! », conclut le Pr Vibert.

D'après un entretien avec le Pr Éric Vibert (hôpital Paul Brousse, Villejuif)
(1) Prodeau M et al. J Hepatol. 2019 Nov;71(5):920-9.
(2) Purich K. et al. Surg Endosc. 2020;34:2891–903.

Dr Nathalie Szapiro

Source : lequotidiendumedecin.fr