AVEC UNE INCIDENCE de 4 à 5 cas par million d’habitants et par an, les tumeurs neuroendocrines (TNE) du pancréas font partie des tumeurs rares, pour la plupart bien différenciées (90 % des cas). En 2010, une nouvelle classification anatomopathologique a été publiée par l’OMS permettant de distinguer trois grades en fonction de l’activité de prolifération cellulaire mesurée soit en comptant les mitoses, soit en calculant l’index de prolifération KI67 par une technique d’immunohistochimie : KI67 de 0 à 2 % : grade 1 ; de 2 à 20 % : grade 2 et› 20 % : grade 3. Par ailleurs, l’ENETS (European Neuroendocrine Tumor Society), a proposé en 2006 une stadification TNM, dont une étude récente a montré l’excellente corrélation avec le pronostic.
De plus, « pour bien caractériser une TNE pancréatique, il est aujourd’hui important, en plus de l’établissement du grade OMS, du caractère différencié ou non de la tumeur, de la stadification TNM, de savoir si la tumeur est ou non fonctionnelle. Dans la première situation, elle est alors à l’origine de symptômes spécifiques liés à une sécrétion hormonale : hypoglycémie en cas d’insulinome, maladie ulcéreuse en cas de syndrome de Zollinger-Ellison, diarrhée cholériforme liée à un VIPome… Il faut à cet égard, souligne le Pr Philippe Ruszniewski, past-président de l’ENETS et actuel vice-président de cette société savante, préciser qu’une élévation hormonale isolée, c’est-à-dire en l’absence de symptômes, doit faire considérer la tumeur comme non fonctionnelle. Si jusqu’à peu les tumeurs fonctionnelles apparaissaient les plus fréquentes, les récents progrès de l’imagerie ont permis de montrer que, en réalité, environ les deux tiers des TNE sont non fonctionnelles ».
Enfin, un autre élément à rechercher est une prédisposition génétique, le plus souvent dans le cadre d’une néoplasie endocrine multiple de type 1 (NEM1) comportant également une participation parathyroïdienne et hypophysaire. Le bilan minimal comprend un dosage de la calcémie, de la phosphorémie et du taux sanguin de la parathormone, la recherche d’antécédents familiaux et in fine un typage génétique, sachant que, même si cette éventualité est rare, la transmission est de type autosomique dominant. Encore plus rarement, la TNE pancréatique peut s’intégrer dans un syndrome de von Hippel Lindau, voire une sclérose tubéreuse de Bourneville. Il faut encore savoir que certaines TNE sont plus volontiers d’origine génétique que d’autres. Ainsi les gastrinomes duodénopancréatiques font partie d’une NEM1 dans environ un quart des cas, alors que cela est beaucoup plus rare avec les insulinomes (5 % des cas), qui sont aussi les TNE pancréatiques fonctionnelles les plus fréquentes.
Les circonstances de découverte sont désormais le plus souvent fortuites en raison des progrès de l’imagerie. Dans les autres cas, des symptômes peuvent donner l’alerte, spécifiques (hypoglycémie, ulcère, diarrhée…) ou non (douleurs, masse abdominale, occlusion, ictère…). Enfin, le diagnostic peut être fait à l’occasion d’une enquête génétique.
Les progrès de l’imagerie.
Selon le Pr Ruszniewski, « le diagnostic de TNE pancréatique a beaucoup bénéficié des avancées de l’imagerie. Le scanner hélicoïdal, très sensible, permet de mettre en évidence ces tumeurs hypervascularisées. L’échoendoscopie est aussi un examen clé offrant de plus la possibilité d’obtenir une preuve anatomopathologique. L’Octreoscan et, plus récemment, la TEP-TDM utilisant les analogues de la somatostatine (Ga 68, DOTATOC) est un examen très sensible et spécifique. Ces techniques sont en outre capables d’assurer dans le même temps la détection des métastases, essentiellement ganglionnaires et hépatiques, ces dernières faisant toute la gravité de la maladie ». Quant aux examens biologiques, ils sont fonction des symptômes spécifiques éventuels : insulinémie en cas d’hypoglycémie, gastrinémie devant une maladie ulcéreuse et une diarrhée, glucagonémie en cas de diabète et d’érythème nécrolytique, VIPémie en cas de diarrhée massive. Il faut également toujours effectuer un dosage de la chromogranine A, même si sa sensibilité n’est pas excellente pour les petites tumeurs et si sa faible spécificité est responsable de nombreux faux positifs (notamment en raison de la prise concomitante d’inhibiteurs de la pompe à protons).
Le traitement idéal reste la chirurgie.
Le chapitre thérapeutique s’ouvre sur deux notions essentielles. Dans les tumeurs fonctionnelles, il est capital d’apporter une réponse thérapeutique en urgence car le pronostic vital peut être menacé. L’hypoglycémie doit conduire à la prescription de diazoxide ou d’évérolimus, le syndrome de Zollinger-Ellison à celle d’IPP à fortes doses, les VIPomes et les glucagonomes à la prise d’analogues de la somatostatine.
Deuxièmement, lorsqu’il n’existe pas de métastases et que l’âge le permet, le traitement idéal reste la chirurgie, en dehors d’une forme génétique où cette approche est très discutée. Mais même lorsqu’il existe une, voire plusieurs métastases hépatiques, cette option peut être envisagée.
Il reste que la majorité des malades avec métastases ne sont pas opérables. Dans certains cas - métastases inopérables, absence de symptômes spécifiques, moins de 50 % du foie atteint, maladie non évolutive -, une simple surveillance est proposée, au moyen d’une première scanographie à 3 mois puis tous les six mois. Et ce n’est que devant la constatation d’une augmentation de la taille de la tumeur et/ou l’apparition de symptômes spécifiques, qu’une prise en charge médicale pourra être décidée.
« Presque paradoxalement pour une tumeur rare, souligne, le Pr Ruszniewski, nous disposons aujourd’hui d’une palette thérapeutique assez large. Tout d’abord, les analogues de la somatostatine peuvent permettre une stabilisation de la maladie et, selon les recommandations européennes, être utilisés dans les tumeurs de grade 1 relativement peu évolutives. Certes leur efficacité n’a pas encore été prouvée dans les TNE pancréatiques de façon prospective (on attend prochainement les résultats d’une étude prospective menée avec le lanréotide (CLARINET)), mais celle-ci a été démontrée dans les TNE de l’intestin grêle (octréotide, étude PROMID) et de nombreux essais rétrospectifs sont en faveur d’un bénéfice dans les TNE pancréatiques. »
La chimiothérapie associe classiquement la streptozotocine au 5FU ou à la doxorubicine. Il s’agit d’un traitement qui date des années 1960-1970 et qui reste une option de première ligne en cas de métastases progressives inopérables. Elle permet de 30 à 35 % de réponses objectives au prix d’une certaine toxicité (rénale, cardiaque).
Un nouveau schéma d’administration per os associant le témozolomide à la capécitabine (TEMCAP) semble très prometteur puisqu’à l’origine d’un taux de réponses objectives d’environ 70 % dans le cadre d’une étude rétrospective. En 2011, deux essais prospectifs de grande envergure ont également montré l’intérêt de thérapies ciblées avec, globalement, un taux de survie sans progression doublé : de 5,5 mois dans le groupe placebo et de 11 mois dans le groupe traitement actif, qu’il s’agisse du sunitinib, antiangiogénique ciblant plusieurs tyrosines kinases ou de l’évérolimus, inhibiteur de mTOR. La surveillance des effets secondaires doit alors être attentive.
Les traitements locorégionaux sont aussi très efficaces. L’embolisation et la chimioembolisation des métastases hépatiques donnent le plus de réponses objectives (50 %). Il faut encore citer les traitements à l’aide de sphères radiomarquées et, dernièrement, la radiothérapie métabolique (analogues de la somatostatine marqués au lutétium 177 administrés en IV), encore non autorisée en France, qui permet un traitement de toutes les métastases.
Enfin, dans les tumeurs peu différenciées, très agressives, le traitement repose, en urgence, sur la chimiothérapie associant cisplatine et étoposide, dont l’efficacité (50-60 %) est néanmoins très transitoire.
Pour finir, le Pr Ruszniewski insiste sur le fait qu’un avis spécialisé est indispensable. « À cet égard, les équipes françaises se sont beaucoup structurées au travers du réseau national RENATEN (www.renaten.org ), avec des centres de recours maillant le territoire national. On dispose aussi d’un thésaurus français de cancérologie digestive qui consacre un chapitre aux TNE du pancréas ainsi que de recommandations européennes (1) ».
D’après un entretien avec le Pr Philippe Ruszniewski, hôpital Beaujon, Clichy, centre d’excellence de l’ENETS.
(1) Neuroendocrinology 2012;95(2):67-178.
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