Pr Mohamad Mohty, hôpital Saint-Antoine (Paris)

Vers de nouvelles générations de CAR-T cells et des anticorps bispécifiques

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Publié le 21/01/2020

La mouture 2 019 du congrès de l’American Society of Hematology (ASH) s’est révélée particulièrement marquante, que ce soit par l’expérience sur les CAR-T qui se consolide, mais aussi par le développement des anticorps bispécifiques. La tendance qui voit s’effacer progressivement la chimiothérapie conventionnelle au profit des thérapies ciblées se renforce.

Crédit photo : http://iach2018.cme-congresses.com/

Les CAR-T cells ont occupé une place primordiale au cours de cet ASH 2019, avec les premiers résultats dans le myélome multiple de CARTITUDE-1 (États-Unis) et les données à plus long terme de LEGEND-2 (Chine) qui confirment les premiers résultats chez des malades en rechute lourdement prétraités. L’expérience des CAR-T cells augmente avec des séries de plus en plus larges et des données dans la vie réelle qui répliquent le plus souvent celles obtenues dans les protocoles. Mais alors qu’en réalité très peu de gens ont actuellement accès aux CAR-T cells, plusieurs communications font état des nouvelles générations, en particulier sur les CAR-T cells bispécifiques ciblant deux antigènes. Ainsi les anticorps anti-BCMA/anti-CD38 dans le myélome (1), ou anti-CD19/anti-CD22 dans le lymphome ou la LAL (2). Ce double ciblage renforce l’efficacité en augmentant le potentiel de contrôle de la tumeur. Afin de lutter contre certains mécanismes d’échappement tumoral, notamment la « down régulation » des antigènes, ces nouvelles stratégies améliorent l’expression des antigènes en ciblant certaines enzymes par exemple.

Un avenir prometteur pour les anticorps bispécifiques

Les CAR-T cells sont en train d’être challengés par l’arrivée en force des anticorps bispécifiques, une technologie très séduisante qui est à la fois capable de cibler un antigène tumoral et de diriger les lymphocytes T vers les cellules cible. L’injection de ces anticorps bispécifiques est capable d’amener le lymphocyte sur le site de la tumeur par un Tcell engager, reproduisant in vivo ce qu’on fait in vitro avec les CAR-T cells. Et c’est un véritable défi car les CAR-T cells nécessitent plusieurs semaines de préparation, d’attente et doivent être personnalisés, tandis que les anticorps bispécifiques sont immédiatement disponibles. Parmi les deux communications majeures, l’une a été présentée en session présidentielle dans le lymphome B, avec plus de 200 malades dont certains avaient reçu et échappé aux CAR-T cells, situation qui ne connaît actuellement aucune alternative thérapeutique. Ils ont été traités par un anticorps bispécifique anti-CD20/anti-CD3, avec des résultats remarquables même si l’essai n’était pas randomisé (3). Dans le myélome multiple, on a évalué un Anti-BCMA/Anti-CD3 chez 30 malades ayant déjà reçu de 5 à 13 lignes de traitement, avec une réponse de plus de 90 % chez des patients multiréfractaires qui leur permet d’atteindre des maladies résiduelles négatives (4).

« On voit donc arriver en force cette nouvelle famille thérapeutique qui avait déjà fait ses preuves avec le blinatumomab, anticorps bispécifique anti-CD19/CD3 dans la LAL, mais qui s’adresse cette fois à des hémopathies bien plus fréquentes comme le myélome ou les lymphomes », se félicite le Pr Mohamad Mohty, hématologue à l'hôpital Saint-Antoine.

Une nouvelle philosophie, traiter très en amont

Le trait dominant des derniers ASH, c’est l’effacement de la chimiothérapie conventionnelle pour passer à des traitements ciblés. « C’est un mouvement très vraisemblablement irréversible où on est passé de l’ère de la pharmacologie qui détruit les cellules tumorales vers une immunothérapie qu’elle soit médicamenteuse ou cellulaire qui vise non seulement à détruire la tumeur mais aussi à réparer l’environnement immunitaire autour du cancer », poursuit l’hématologue.

Un changement de paradigme se fait jour, non seulement dans le recours à ces nouvelles classes mais aussi dans la philosophie même du traitement, qui tend à traiter de plus en plus tôt puisque grâce aux progrès du séquençage nouvelle génération (NGS), on peut détecter des anomalies très précoces. Certaines mutations ont été identifiées comme étant initiatrices du développement d’hémopathies malignes. Toute la question est de savoir, lorsqu’on détecte ces anomalies, s’il est possible d’enrayer la survenue d’une hémopathie en la traitant précocement. De nombreuses communications sur le sujet ont été présentées à l’ASH concernant le myélome multiple indolent (ou SMM, smoldering multiple myeloma), qui a priori ne nécessite qu’une surveillance mais dont on sait que certains malades sont à haut risque et vont dans 50 % des cas développer des myélomes et des complications sérieuses. Même chose dans les LLC de stade A. Divers protocoles sont à l’étude pour les traiter précocement en fonction de certains facteurs pronostiques péjoratifs, mais on manque encore d’essais randomisés. De plus, il est nécessaire de prouver que cette stratégie rallonge la survie globale des malades, qui reste le meilleur indicateur pour juger de l’efficacité d’une intervention.

(1) Chenggong Li, Heng Mei et al. A Bispecific CAR-T Cell Therapy Targeting Bcma and CD38 for Relapsed/Refractory Multiple Myeloma: Updated Results from a Phase 1 Dose-Climbing Trial. ASH Session: 653,
(2) Junfang Yang et al. Anti-CD19/CD22 Dual CAR-T Therapy for Refractory and Relapsed B-Cell Acute Lymphoblastic Leukemia. Blood 2019;134(1):284. https://doi.org/10.1182/blood-2019-126429
(3) Bannerji et al. Clinical Activity of REGN1979, a Bispecific Human, Anti-CD20 x Anti-CD3 Antibody, in Patients with Relapsed/Refractory (R/R) B-Cell Non-Hodgkin Lymphoma (B-NHL). Blood 2019;134 (1): 762. https://doi.org/10.1182/blood-2019-122451
(4) Dennis Cooper et al. Safety and Preliminary Clinical Activity of REGN5458, an Anti-Bcma x Anti-CD3 Bispecific Antibody, in Patients with Relapsed/Refractory Multiple Myeloma. Blood 2019;134(1):3176. https://doi.org/10.1182/blood-2019-126818

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr