La maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer

Vers une prise en charge unifiée et concertée

Publié le 20/11/2020
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Rapportée chez 15 à 20 % des patients atteints de cancer solide ou hémopathie maligne, la survenue d’une maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est fréquente et parfois grave. Si des traitements ont démontré leur intérêt, l’uniformisation des pratiques et les échanges pluridisciplinaires restent essentiels pour l’amélioration de la prise en charge.
Une diminution de 50 % des récidives de MTEV grâce aux HBPM

Une diminution de 50 % des récidives de MTEV grâce aux HBPM
Crédit photo : phanie

L’incidence de la MTEV, définie par l’existence d’une thrombose veineuse (TV) et/ou d’une embolie pulmonaire (EP) au cours du cancer est multipliée par quatre voire six par rapport au reste de la population. Ce chiffre augmente avec l’utilisation croissante des chimiothérapies, des biothérapies et des cathéters veineux centraux. L’amélioration du diagnostic des MTEV asymptomatiques et l’augmentation de la survie des patients atteints de cancer liée aux progrès thérapeutiques, jouent également un rôle.

La MTEV est un facteur de risque indépendant de décès au cours du cancer. Sur 382 000 nouveaux patients atteints de cancer en 2018 (dont 45 000 cas d’hémopathies malignes) [1], un tiers est concerné par la MTEV au cours de l’évolution de leur maladie et un patient hospitalisé sur sept en meurt. 

Les HBPM supérieures aux AVK

Au cours du cancer, le traitement de la MTEV est délicat car les patients sont à haut risque de récidive de MTEV et d’hémorragies sous traitement anticoagulant. En 2002, les équipes françaises ont publié le premier essai clinique au monde sur 150 patients (CANTHANOX) démontrant la supériorité des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) pendant trois mois sur les antivitamines K (AVK), utilisées jusqu’alors pour traiter la MTEV au cours du cancer. Ces travaux, confirmés par deux essais nord-américains, ont constitué une avancée thérapeutique majeure pour les patients avec METV et cancer, permettant une diminution de 50 % des récidives de MTEV sans augmentation du risque hémorragique. 

Remédier à l’hétérogénéité des pratiques

En France en 2020, on constate encore une très grande hétérogénéité dans les pratiques cliniques et une fréquente méconnaissance de l’importance et des modalités de la prise en charge spécifique de la MTEV au cours du cancer. Pour autant, les premières recommandations nationales françaises de Bonnes pratiques cliniques (BPC) ont été publiées dès 2008. Elles sont régulièrement mises à jour, avec le support méthodologique de l’INCa, et diffusées à l’échelon international.

Les membres du Groupe francophone thrombose et cancer (GFTC) fondé en 2008 et sa section internationale (International Initiative on Thrombosis and Cancer Continuous Medical Education, ITAC-CME) créée en 2014, travaillent depuis lors à partager leurs expertises et à favoriser l’appropriation des connaissances et des BPC par le développement d’outils de formation, de réunions scientifiques et la publication d’articles. 

Les anticoagulants oraux bénéfiques

Plusieurs études comparant les anticoagulants oraux directs (AOD) aux HBPM ont montré l’intérêt et la sécurité des AOD pour le traitement de la MTEV associée au cancer, sous réserve du respect des contre-indications (tumeurs digestives, urinaires ou gynécologiques) et en l’absence de risque hémorragique. En 2016, l’ITAC, sous l’égide de la Société internationale de thrombose et d’hémostase (ISTH), a suggéré cette option thérapeutique, suivie par d’autres sociétés savantes nord-américaines (ASCO, ASH) et a déployé une première application mobile pour faciliter l’accès aux connaissances et aux BPC.

En 2019, l’ITAC a émis les premières recommandations internationales intégrant les AOD dans les traitements de première ligne de la MTEV au cours du cancer ou en relais après HBPM, en cas de mauvaise tolérance des injections quotidiennes et des hématomes des points de ponction, ainsi qu’en l’absence de risque hémorragique et d’interaction médicamenteuse. 

Favoriser les échanges pluridisciplinaires

Prescrire le bon médicament anticoagulant pour un patient donné avec MTEV et cancer doit faire l’objet d’une réflexion approfondie et d’une discussion éclairée avec le patient. La complexité croissante des situations, des thérapies anticancéreuses et la diversification des traitements anticoagulants ont conduit à la création de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) impliquant des oncologues, hématologues, internistes, spécialistes des maladies vasculaires et infirmières. Cette approche facilite une prise en charge intégrée et centrée sur le patient, conformément au plan cancer. Plusieurs grandes institutions hospitalières mettent en place ces RCP pour les cas complexes. La télémédecine permet de faciliter les réunions d’experts entre différents hôpitaux et de développer des bases de données communes utiles à la prise en charge et au suivi spécifique de ces patients. 

Améliorer l'observance des BPC passe également par l’implication des patients. Ainsi, des programmes d’éducation thérapeutique, validés par les Agences régionales de santé, sont développés pour informer les patients, améliorer leur autonomie et favoriser l’autogestion du traitement et des risques associés aux anticoagulants. 

Le GFTC, en lien avec sa section internationale ITAC-CME, partage en ligne l’expertise de ses membres et a développé une application spécifique pour smartphones. Téléchargeable gratuitement, elle modélise la prise en charge clinique de la MTEV au cours du cancer, selon les recommandations internationales. Régulièrement mise à jour, elle est désormais consultable en Français, Anglais, Espagnol, prochainement en Russe et Portugais.

Hôpital Saint-Louis, université de Paris, McGill University, Groupe francophone thrombose et cancer (GFCT), www.thrombose-cancer.com.

International Thrombosis and Cancer Initiative (ITAC), www.itaccme.com
(1) https://www.e-cancer.fr/

Pr Dominique Farge

Source : lequotidiendumedecin.fr