Oméga-3 et hypertriglycéridémie

Coût-efficacité de l'EPA : deux poids deux mesures entre les États-Unis et la France

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Publié le 21/02/2022

L'acide eicosapentaénoïque (EPA, famille des Oméga-3), commercialisé sous forme d'icosapent éthyl (esther éthylique de l'EPA) et sous le nom de Vazkepa en Europe (Vascepa aux États-Unis), présente-t-il un rapport coût/efficacité favorable ? La réponse est oui selon une étude américaine parue très récemment (1,2), au moment où la Haute Autorité de santé (HAS) française met en ligne un avis plus mitigé en termes de service médical rendu (SMR) [3]. Explications…

Crédit photo : phanie

En 1971, une étude menée chez les Inuits au Groenland suggère qu'un régime alimentaire riche en poissons gras (sauvage), donc en Oméga-3, soit favorable au cœur. Ces Inuits ont un taux de cholestérol bas et souffrent très rarement de maladie coronaire malgré un régime très riche en graisses. Il faudra attendre le congrès 2005 du Collège américain de cardiologie (ACC) et l'étude japonaise randomisée ouverte (sans placebo), JELIS, pour montrer sur 18 000 personnes la causalité de l'association (4). Pour la première fois, un apport en Oméga-3 (EPA 1,8 g/jour), en plus de faibles doses de statines, est associé à une réduction significative d'événements coronaires majeurs, principalement les angors instables. Ce bénéfice n'est néanmoins pas significatif en prévention primaire (analyse en sous-groupe). Du coup, les études se multiplient. Mais 11 ans durant… elles échouent. 

REDUCE-IT rebat les cartes !

En 2018, l'étude REDUCE-IT transforme l'essai. Présentée à l'ACC simultanément à sa publication dans « The New England Journal of Medecine », elle montre qu'un apport important en oméga-3 (EPA : 4 g/jour) est associé à un bénéfice cardiovasculaire significatif (5). La population cible de l'essai est constituée de sujets hyperglycéridémiques non contrôlés sous statines présentant des antécédents ou simplement un haut risque cardiovasculaire. Cette étude concerne l'hypertriglycéridémie en prévention secondaire et primaire, alors qu’il s’agissait de l’hypercholestérolémie dans tous les autres essais.

À cinq ans, les évènements cardiovasculaires majeurs sont réduits de 25 % sous EPA (17 % versus 22 % ; RR = 0,75 ; 0,7-0.8 ; p < 0.001). Et tous les items du critère primaire (décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde [IDM] et accident vasculaire cérébral [AVC]) sont significativement diminués. La mortalité cardiovasculaire a elle-même reculé de 20 % (4,3 % versus 5,2 % ; RR = 0,80 ; 0,7- 0,98 ; p = 0.03).

Néanmoins, REDUCE-IT n'emporte pas l'adhésion de toute la communauté cardiologique. En effet, d’une part, les bases physiopathologiques de ce bénéfice restent floues et, d’autre part, cet essai vient indirectement remettre en cause la place centrale du cholestérol dans la maladie coronaire. De plus, le placebo n'était pas si neutre. Le bras placebo est en effet associé à une majoration de la CRP, du LDL-cholestérol et de l’Apoprotéine B, tous trois néfastes sur le plan cardiovasculaire. Le placebo utilisé, une huile minérale de paraffine, pourrait avoir faussé les cartes…

Il y a en outre un prix à payer en termes d'effets secondaires. Cette haute dose d'EPA induit des fibrillations atriales (FA) et flutters (responsables d’un excès d'hospitalisations : 3 % versus 2 %, p = 0,004) et des hémorragies sérieuses (2,7 % versus 2,1 % ; p = 0,06). 

Une AMM européenne en 2021

En Europe, l’icosapent éthyl (esther éthylique de l'EPA) en capsules molles (laboratoire MIAS Pharma) n'a été agréé que récemment. Le feu vert de l’agence européenne du médicament date d'avril 2021, trois ans après REDUCE-IT, quand l'agrément de la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis a été octroyé en décembre 2019. En Europe, ce médicament est d'ailleurs sur la liste des produits surveillés étroitement en raison des FA induites. Cet EPA y est indiqué en plus des statines, à dose maximale tolérable, en prévention primaire et secondaire chez des adultes à haut risque, présentant un taux de triglycérides ≥ 150 mg/dl, ainsi qu’une maladie cardiovasculaire établie, un diabète ou au moins un autre facteur de risque cardiovasculaire. 

Des divergences de part et d’autre de l’atlantique

Ces jours-ci, une étude sponsorisée par le détenteur de l'AMM de Vazkepa aux États-Unis (Armarin Pharma) a estimé que, dans le contexte du système de santé américain, l'icosapent éthyl pourrait être coût-efficace (1, 2). Mais la position de la France est plus mitigée…

En effet, le comité de l'HAS vient de publier un avis favorable à son remboursement (3). Il est restreint aux sujets en prévention secondaire, assorti donc d'un avis défavorable au remboursement dans les autres populations. De leur côté, les recommandations européennes ont récemment dégradé (ce qui est plutôt rare) le niveau de préconisation de l'icosapent éthyl dans les hypertriglycéridémies associées à un haut et très haut risque (en plus des statines et de mesures hygiénodiététiques). La recommandation étant passée d'un grade IIa en 2019, où la prescription doit être envisagée, à un grade IIb en 2021, où elle peut être considérée…

Ainsi pour l'HAS, l’icosapent éthyl (traitement de seconde intention) doit être réservé uniquement à la prévention secondaire lors d'hypertriglycéridémie modérément élevée (0,5-1,5 g/l), sous statine à dose maximale tolérée. Le SMR dans cette population étant important (sous réserve de bien venir en plus d'une statine à dose maximale). Mais attention, l’icosapent éthyl ne doit pas être utilisé conjointement à un anti-PCSK9, la combinaison n'ayant jamais été évaluée, et utilisé avec prudence en association à l’ézétimibe vu le nombre limité de données disponibles.

En revanche, l’icosapent éthyl n’a pour l'HAS aucune place dans les autres indications de l’AMM. Le SMR y est insuffisant. En prévention primaire, le bénéfice est faible, y compris dans le diabète ou en cas d’autre facteur de risque (le risque d’événements cardiovasculaires étant bas). Ajouté aux incertitudes sur le bénéfice réel observé dans REDUCE-IT (le placebo n'étant manifestement pas neutre) et aux effets indésirables (FA, flutters, saignements sérieux), cela réduit encore le bénéfice potentiel escompté. Sans compter qu'à cinq ans, même sur l'ensemble de l’étude REDUCE-IT, le bénéfice en termes de mortalité cardiovasculaire est limité (baisse de 0,9 % en valeur absolue) et la mortalité totale inchangée.

(1) WS Weintraub et al. Cost-effectiveness of Icosapent Ethyl for high-risk patients with hypertriglyceridemia despite statin treatment. JAMA Network Open. 2022;5(2):e2148172.
(2) Dariush Mozaffarian. Prescription ω-3 Therapy to Reduce Triglyceride Levels. A New Horizon for Cost-effective Therapy. JAMA Netw Open. 2022; 5(2):e2148191.  doi: 10.1001/jamanetworkopen.2021.48191
(3) VAZKEPA (isocapent éthyl) : Avis sur les Médicaments -Commission de la transparence: synthèse d'avis du 15 décembre 2021, HAS, mis en ligne le 8 février 2022
(4) M Yokoyama et al. Effects of eicosapentaenoic acid on major coronary events in hypercholesterolaemic patients (JELIS): a randomised open-label, blinded endpoint analysis. Lancet 2007; doi.org/10.1016/S0140-6736(07)60527-3
(5) DL Bhatt et al. Cardiovascular Risk Reduction with Icosapent Ethyl for Hypertriglyceridemia. NEJM 2019; 380:11-22  doi:10.1001/jamanetworkopen.2021.48172

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr