Pr Atul Pathak, Centre hospitalier Princesse Grace (Monaco)

« Il faut s'approprier les objets connectés, impossible de faire l'impasse face aux patients »

Par
Publié le 15/10/2020
Les objets connectés se multiplient avec à la clé de nombreuses applications cliniques, dans différents domaines de la cardiologie. Pour pouvoir répondre aux demandes des patients, il devient aujourd'hui essentiel d'essayer et d'adopter ces outils.

Crédit photo : DR

« La cardiologie a toujours été une discipline dans laquelle on a proposé à nos patients de mesurer des paramètres à distance. Par exemple, tous les dispositifs implantables sont interrogeables à distance depuis plus de 15 ans. Mais au-delà de l'électrophysiologie, on a aujourd'hui accès à des champs très variés de la cardiologie (mesure de pression artérielle, poids, fréquence cardiaque, paramètres complexes du rythme ..) et l’on a diversifié les outils connectés tout en mettant au service du signal des outils mathématiques  complexes (cloud, serveurs, algorithmes, intelligence artificielle..) », explique le Pr Atul Pathak.

De multiples technologies et applications cliniques

Un exemple typique est la Société française de cardiologie qui a développé un réseau de neurones entraînés à analyser des centaines de milliers d'ECG, via un algorithme à même de détecter rapidement des « empreintes » cardiologiques. Cette technologie permet de dépister des arythmies, comme un expert humain, avec une sensibilité de 97 % et une spécificité de 91 % dans le dépistage de FA. Au-delà de la partie plateforme, ce type d'approche peut donner une information à partir de n'importe quel signal (ECG, Holter ECG, montre connectée, patch ECG, tee-shirt connecté) pour identifier des épisodes d'arythmie. Autre exemple plus ludique, c'est l'utilisation de consoles de jeux type Nintendo Wii pour prendre en charge l'activité physique des insuffisants cardiaques âgés ayant du mal à sortir de chez eux. L'utilisation d'un logiciel dédié permet d'augmenter de manière significative et rapidement le périmètre de marche. Un autre exemple est un outil de suivi de l'hypertension artérielle (HTA). Via l'appareil photographique du téléphone portable, cette petite application a la particularité d'utiliser les valeurs de suivi tensionnel et d'en déduire en pratique clinique ce qu'il faut faire : remesurer la PA, appeler le cardiologue ou ne rien faire et être rassuré (Suivi HTA, téléchargeable sur Google play Apple store). En somme, elle permet d'aider l'hypertendu à gérer son automesure.

« À Monaco, nous avons implanté dans l'artère pulmonaire un dispositif de capteur de pression, une sorte de petit papillon qui télétransmet en temps réel de façon quotidienne la pression artérielle pulmonaire. C'est très intéressant car 17 jours avant la décompensation, la pression artérielle pulmonaire monte. On peut traiter, augmenter les diurétiques, éviter la décompensation et l'hospitalisation. Seul bémol actuellement ces objets sont très chers mais leurs prix vont chuter. Et selon moi, l'avenir c'est la possibilité d'avoir accès à des data en temps réel, avec des objets miniatures implantés, et à des data biologiques, par exemple la troponine. Ce serait ainsi judicieux, chez des patients stentés, d'implanter un stent intelligent permettant le suivi du taux de la troponine », confie le Pr Pathak.

Essayer et adopter les outils des patients

« Si d'un côté il y a tout ce que le médecin a envie de proposer aux patients pour améliorer le suivi de sa prise en charge, d'un autre côté il y a aussi tout ce que nous apportent les patients. Nos patients connectés ont des montres qui mesurent leur nombre de pas, des calculateurs de calories, des traceurs d'activité, de sommeil, des mesures de fréquence cardiaque, de pression artérielle (PA), de poids, d'impédancemétrie… De plus en plus de paramètres qu'ils nous montrent en consultation. Pour pouvoir répondre à leurs demandes, le mieux est d'essayer et d'adopter ces outils. Mais au-delà de la mesure singulière d'un seul signal, il me semble qu'à l'avenir c'est la possibilité de combiner ces paramètres, encore plus que ce qu'on fait habituellement en pratique clinique, qui est intéressante », reconnaît le Pr Pathak. Par exemple, la météo ou le taux de pollution impactent le risque d'infarctus. Dans un autre ordre d'idée, le timbre de la voix est un outil non seulement pour dépister la dépression, mais aussi une décompensation d'insuffisance cardiaque car l'œdème modifie la vibration des cordes vocales. L'analyse multiparamétrique des signaux est une note d'espoir, mais elle nécessite un intégrateur de signaux, comme les cartes de marqueurs génétiques en cancérologie.

« Actuellement dans le diagnostic ou le dépistage, on ne cherche que ce que l'on connaît comme la montée de PA pour le risque d'accident vasculaire cérébral (AVC). Or, peut-être que la température pourrait être un marqueur d'AVC par exemple…, relève le Pr Pathak. C'est aussi toute la problématique de la vente des data de la plateforme française Health Data Hub gérée par Microsoft, sous législation de la loi américaine… donc non protégées même si anonymisées ».

Quant à la détection de fibrillation atriale (FA) silencieuse via Apple Watch, elle a fait ses preuves. C'est un outil relativement précis. Une étude met en évidence un taux de réussite de 40 à 50 %. Une autre étude récente sur la détection des infarctus du myocarde (IDM) en cours par dépistage des segments ST (2,3) pose la même question. Celle de la pertinence et puissance des outils dans le dépistage/ diagnostic de pathologies cardiaques, y compris majeures comme la FA et l'IDM.

D'après un entretien avec le Pr Atul PATHAK (Hôpital Grace de Monaco, Monte Carlo) Vice Président de la Société Française d'Hypertension (SFHTA) et Président de la Société  Européenne pour le soin des patients (SETE)
(1) DR Seshadri et al. Accuracy of Apple Watch for Detection of Atrial Fibrillation. Circulation. 2020;141:702–703
(2) CAM Spaccarotella et al. Multichannel Electrocardiograms Obtained by a Smartwatch for the Diagnosis of ST-Segment Changes. JAMA Cardiol 2020; doi:10.1001/jamacardio.2020.3994
(3) MP Turakhia. Addressing the NewLast-Mile Problem in Health Care With Home-Based Complex Diagnostics. JAMA Cardiol 2020; doi:10.1001/jamacardio.2020.4379

Pascale Solere

Source : lequotidiendumedecin.fr