Les nouveaux anticoagulants dans la fibrillation auriculaire

La relève des antivitamines K se prépare

Publié le 19/05/2011
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PAR LES Prs JOSEPH EMMERICH et EMMANUEL MESSAS *

TRAITEMENT DE REFERENCE de la fibrillation auriculaire (FA), les antivitamines K (AVK) diminuent de 65  % le risque d’AVC par rapport à un placebo (22 % pour l’aspirine). Cette réduction se fait au prix d’une augmentation substantielle du risque hémorragique avec une incidence des hémorragies majeures de 1 à 2 % par an. Par ailleurs, on sait que plus le score CHADS2 est élevé, plus le risque hémorragique augmente, expliquant que, dans la vie courante, un nombre important de patients théoriquement éligibles pour les AVK n’en reçoivent pas. Seulement 50 % des patients ayant une FA à moyen ou haut risque embolique sont sous AVK et un pourcentage non négligeable n’en tire pas réellement avantage ayant un temps passé dans la fenêtre thérapeutique (Time in Therapeutic Range, TTR) insuffisant.

C’est pour cette raison que de nouveaux anticoagulants, actifs par voie orale et inhibant spécifiquement soit la thrombine soit le facteur X activés, sont en cours de développement afin de remplacer les AVK dans le traitement de la FA et de la thrombose veineuse ou de l’embolie pulmonaire. Leurs avantages sont une relation dose effet prédictible, l’absence de nécessité de surveillance, une zone thérapeutique large, un délai d’action court, peu d’interaction médicamenteuse ou alimentaire et une efficacité au moins comparable à celle des AVK.

Nous résumerons ici les trois études majeures de prévention des événements thromboemboliques des patients ayant une FA non valvulaire et ayant évalué ces nouveaux anticoagulants.

L’étude RE-LY avec le dabigatran.

Le dabigatran etixilate (Pradaxa, Boehringer Ingelheim) est une prodrogue orale qui est rapidement transformée par une estérase circulante en dabigatran qui est un inhibiteur compétitif direct de la thrombine. Sa biodisponibilité est de 6,5 % et son élimination se fait à 80 % par voie urinaire. Sa demi-vie est de 12 à 16 heures et sa prise ne nécessite pas de surveillance biologique à l’instar des autres nouveaux anticoagulants. Le dabigatran est commercialisé dans la prévention des événements thromboemboliques en chirurgie orthopédique.

L’étude RE-LY est une étude randomisée, ouverte, avec évaluation à l’insu des critères de jugement sur 18 113 patients ayant une FA comparant l’efficacité du dabigatran (110 mg x 2 ou 150 mg x 2 délivrés à l’aveugle) à celle de la warfarine chez les patients ayant un risque thromboembolique (score CHADS2 moyen  = 2,1 ; 32,4 % des patients avaient un score CHADS2 ≥ 3). Le suivi moyen a été de 2 ans. Vingt pour cent des patients étaient en prévention secondaire et plus de 50 % n’avaient jamais reçu d’AVK. Le critère principal évalué était la survenue d’AVC ou d’embolies systémiques. L’étude a été réalisée en intention de traiter, avec une étude initiale de non-infériorité qui, si elle était positive, devait faire rechercher une supériorité du dabigatran.

Les résultats ont montré une équivalence d’efficacité entre le dabigatran 110 mg x 2 et la warfarine (avec un TTR moyen de 64 %), associée à une diminution significative des effets secondaires hémorragiques dans le groupe dabigatran avec, dans le groupe dabigatran 110 mg x 2 :

– pas de différence significative pour les AVC et les embolies systémiques (1,5 % contre 1,69 % par an ; p = 0,34) ;

– moins d’AVC hémorragiques (0,12 % contre 0,30 % par an ; p = 0,001) ;

– moins de saignements majeurs (2,71 % contre 3,36 % par an ; p = 0,003) ;

– une réduction significative de 20 % des saignements majeurs menaçant le pronostic vital, (2,71 % contre 3,36 % par an ; p = 0,003) ;

– moins de saignements intracrâniens (0,23 % contre 0,74 % ; p < 0,001).

À la dose de 150 mg x 2 par jour contre warfarine, pour la première fois dans une étude randomisée à grande échelle avec un nouvel anticoagulant, il a été constaté une supériorité par rapport à la warfarine sur le critère primaire d’AVC ou d’embolies artérielles, sans surrisque hémorragique majeur. Les résultats ont montré :

– une réduction significative des AVC et des embolies systémiques (1,11 % contre 1,69 % par an ; RR = 0,66 ; p <  0,001) ;

– une baisse significative des AVC hémorragiques (0,10  % contre 0,30 % par an ; p = 0,001) ;

– pas de différence significative sur les saignements majeurs (3,11 % contre 3,36 % par an ; p = 0,31) ;

– une réduction significative des saignements majeurs menaçant le pronostic vital (1,45 % contre 1,8 % par an ; p = 0,003) ;

– une diminution significative des saignements intracrâniens (0,3 % contre 0,74 % ; p < 0,001)

Cependant dans les deux groupes de patients ayant reçu le dabigatran, dans la publication initiale des résultats, il y avait une augmentation significative des infarctus du myocarde (0,72 % par an pour 110 mg x 2, 0,74 % par an pour 150 mg x 2 et 0,53 % pour la warfarine. Il a également été constaté une augmentation significative des dyspepsies (11,8 % et 11,3 % contre 5,8 % par an avec la warfarine) et des sorties de traitement (20,7 % par an et 21,2 %par an contre 16,6 % pour la warfarine).

Devant ces résultats positifs, cette molécule a récemment obtenu l’agrément de la FDA à la dose de 150 mg x 2 et curieusement de 75  mg x 2 pour les patients ayant une insuffisance rénale (clairance de la créatinine entre 15 et 30 ml/min/1,73 m²). Ainsi, l’ACC/AHA a réactualisé ses recommandations sur la prise en charge de la FA en classant la recommandation de la mise sous dabigatran en classe I niveau d’évidence B.

L’étude ROCKET AF avec le rivaroxaban.

Le rivaroxaban (Xarelto, Bayer Schering Pharma) est un inhibiteur compétitif direct et spécifique du facteur Xa, dont la demi-vie est de 5 à 9 heures. Un tiers est éliminé par voie rénale directe et deux tiers sont métabolisés via le cytochrome CYP450. Il est administré en une prise par jour, sans nécessité de test de surveillance. Ce médicament est en cours de développement sur plus de 60 000 sujets à ce jour, en postopératoire, chez des patients ayant une thrombose veineuse profonde, une embolie pulmonaire ou un syndrome coronaire aigu.

L’étude ROCKET AF est une étude multicentrique randomisée en double aveugle portant sur 14 000 patients ayant une FA et au moins deux facteurs de risque emboliques (score moyen CHADS2 de 3,5) qui a comparé le rivaroxaban 20 mg/j (et 15 mg/j pour les patients ayant une clairance de la créatinine entre 30 et 49 ml/min) en une prise par jour à la warfarine.

Le critère principal évalué a été la survenue d’un AVC ou d’une embolie systémique n’intéressant pas le système nerveux central. L’étude était initialement réalisée en non-infériorité sur une population compliante au protocole et si elle était positive en recherche de supériorité sur la population en intention de traiter. Le suivi moyen a été d’un peu moins de deux ans, l’âge moyen à l’inclusion était de 73 ans et 21 % des patients avaient une clairance de la créatinine < 50 ml/min/1,73 m².

Les patients étaient à haut risque thromboembolique, plus de la moitié étaient insuffisants cardiaques, 90 % étaient hypertendus, 40 % avaient un diabète, 17 % avaient eu un infarctus du myocarde et plus de la moitié étaient en prévention cérébro-vasculaire secondaire.

Sur le critère primaire (évalué sur la population de patient compliant au protocole) le test de non-infériorité entre les deux groupes a été significatif avec un taux annuel d’événements de 1,71 % dans le groupe rivaroxaban contre 2,16 % dans le groupe warfarine (risque relatif [IC95 %] : 0,79 [0,66-0,96] ; p < 0,001).

Sur la population sous traitement, le test de supériorité entre les deux groupes sur le critère primaire d’efficacité n’a pas été significatif dans la population en intention de traiter (n = 14 171) (RR = 0,88 [0,74-1,03]).

Sur les critères secondaires, le rivaroxaban a été plus efficace sur le taux annuel combiné des décès vasculaire, d’AVC et d’embolies artérielles (3,11 % contre 3,63 % ; p = 0,034), sur les AVC hémorragiques (0,26 % contre 0,44 % ; p = 0,024) et sur les embolies artérielles non cérébrales (0,04 % contre 0,19 % ; p = 0,003). Il n’y a pas eu de différence significative entre les groupes concernant les taux d’infarctus du myocarde ou de mortalité totale.

Le critère primaire de tolérance qui était les événements hémorragiques majeurs et les événements hémorragiques cliniquement significatifs non majeurs n’a pas différé entre les deux groupes (p = 0,442). En revanche, le critère AVC hémorragique a été significativement moindre sous rivaroxaban (0,26 % contre 0,44 % ; RR = 0,58 [0,38-0,89] ; p = 0,012).

L’étude AVERROES avec l’apixaban.

L’apixaban (Pfizer et Bristol-Myers Squibb) est un inhibiteur compétitif direct du facteur Xa, dont l’élimination est à 25 % rénale et à 45 % fécale. Sa demi-vie est de 9 à 14 heures après une prise par jour et il a démontré son efficacité et son innocuité (à la dose de 2,5 mg deux fois par jour) dans la prévention des événements thromboemboliques veineux après chirurgie orthopédique.

L’étude AVERROES a été une étude multicentrique, randomisée en double aveugle, dont l’objectif était de comparer l’efficacité et la tolérance de l’apixaban à celles de l’aspirine dans la prévention des AVC et des embolies systémiques. Elle a inclus 5 600 patients en FA à risque embolique chez lesquels les AVK n’étaient pas utilisés alors qu’ils n’étaient pas contre-indiqués (CHADS2 moyen = 2,1). La raison majoritaire de non-prise des AVK était la difficulté anticipée ou avérée de conserver un INR dans la zone thérapeutique et plus d’un tiers des patients refusaient de prendre des AVK.

Les patients ont été randomisés en deux groupes, apixaban 5 mg x 2 par jour (2,5 mg x 2 en cas d’insuffisance rénale) ou aspirine 81 à 324 mg/j. La population était à risque d’AVC avec cependant plus de 30 % des patients en CHADS2 ≤ 1 ne nécessitant que de l’aspirine selon les recommandations européennes de 2006. De plus, 60 % de ces patients n’avaient jamais pris d’AVK.

Une analyse intermédiaire à 21 mois démontrait une efficacité largement supérieure (diminution de plus de 50 % du risque relatif) de l’apixaban sur la prévention des AVC ou des embolies systémiques (1,6 % contre 3,6 % par an ; RR = 0,46 ; IC 95 % = 0,33-0,64 ; p < 0,001) sans augmentation du risque d’hémorragie majeure (1,4 % contre 1,2 % ; RR = 1,14 ; IC 95 % = 0,74-1,75 ; p = 0,56) ou d’hémorragies mortelles ou intracrâniennes au prix d’une légère augmentation des hémorragies mineures (5,2 % par an contre 4,1 %; RR = 1,27 ; IC 95 % = 1,01-1,61 ; p = 0,04).

Seuls les événements considérés comme ischémiques ont été significativement plus fréquents sous aspirine, alors qu’aucune différence n’a été notée sur les AVC hémorragiques. Pour les AVC mortels, l’incidence a été comparable dans les deux groupes, cependant les AVC ont été significativement plus graves dans le groupe aspirine. Sans atteindre le seuil de significativité (3,4 % de décès contre 4,4 % ; p = 0,07), la mortalité totale a été légèrement moins importante dans le groupe sous apixaban que dans le groupe sous aspirine. De plus, il y a eu une diminution significative des hospitalisations pour causes cardio-vasculaires dans le groupe sous apixaban (11,8 % contre 14,9 % par an, soit une réduction du risque de 21 % ; p < 0,001).

D’après l’étude AVERROES, pour 1 000 patients traités, l’apixaban permet d’éviter 18 AVC, 10 décès, 31 hospitalisations pour causes cardio-vasculaires, au prix de 2 hémorragies.

L’étude ARISTOTLE qui est en cours, évalue ce nouvel anticoagulant comparativement aux AVK.

*Médecine Vasculaire–HTA, université Paris-Descartes et Inserm U765, Paris.


Source : Bilan spécialistes