Insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée

Quel est l'apport de l'imagerie multimodale ?

Publié le 16/06/2020

En complément de la clinique, de l’électrocardiogramme et des biomarqueurs, l’imagerie cardiaque est un outil indispensable dans l’exploration de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp). Mais quelle est sa place et quels sont les examens appropriés ?

Pression ventriculaire

Figure 1. Pression ventriculaire au cours du cycle cardiaque et relation pression – volume ventriculaire dans l’ICFEp
Crédit photo : DR

L’apparition nosologique de l’ICFEp nous a appris que l’efficacité du myocarde ne se limitait pas à sa seule fonction systolique mais nécessitait également un remplissage optimal. Si la quantification de la fonction systolique ventriculaire gauche est relativement aisée au travers de la mesure de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG), l’exploration de la diastole reste encore à ce jour imparfaite. Contrairement à la systole qui est relativement homogène et facilement explorable, la diastole comprend une phase de relaxation pendant laquelle le myocarde revient à un état d’équilibre présystolique et une phase de compliance où il s’étire sous l’effet du remplissage (sollicitant la relation de Frank-Starling qui relie le volume d’éjection systolique à l'étirement des fibres myocardiques en diastole). La fibrose myocardique, en ralentissant la relaxation et diminuant la compliance ventriculaire, est l’un des éléments majeurs de l’altération de la diastole (figure 1). Sa conséquence fonctionnelle est l’augmentation des pressions de remplissage du ventricule gauche, se traduisant cliniquement par de la dyspnée.

Si l’augmentation des pressions de remplissage ventriculaire est considérée comme la conséquence directe de la dysfonction myocardique (systolique ou diastolique), les peptides natriurétiques (BNP et NT-proBNP) sont logiquement l’outil de première intention pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque (IC). Cependant, ils manquent de spécificité, notamment en cas de pathologie rénale (parfois pulmonaire) associée, et de sensibilité dans les phases débutantes de la maladie. Au début, l’élévation des pressions de remplissage ne se manifeste qu’à l’effort et explique des taux normaux de peptides natriurétiques au repos.

Rôle essentiel de l’échocardiographie

L’imagerie, avec au premier rang l’échocardiographie, est donc un outil indispensable au diagnostic. D’une part, la mesure de la fraction d’éjection permet la classification de l’IC et de guider la thérapeutique. D’autre part, l’imagerie permet la recherche d’une anomalie structurelle (hypertrophie ventriculaire gauche ou dilatation de l’oreillette gauche) ou d’une dysfonction diastolique en présence d’une fraction d’éjection préservée (1). Cependant, l’hypertrophie ventriculaire gauche (ou le remodelage ventriculaire au sens large), la dilatation de l’oreillette et les critères classiques de dysfonction diastolique sont absents chez environ un tiers des patients présentant une ICFEp (2). Les phases débutantes de la maladie sont particulièrement concernées, les symptômes ne se manifestant qu’à l’effort chez des patients euvolémiques explorés au repos.

Ce défaut de performance des paramètres morphologiques et fonctionnels conventionnels a justifié la réalisation récente de recommandations de l’Association pour l’IC de la Société européenne de cardiologie pour le diagnostic de l’ICFEp (3). Elles proposent un diagnostic sur la base de critères mineurs et majeurs, associant biomarqueurs et imagerie. Elles distinguent l’échocardiographie de première intention de l’échocardiographie d’expertise. Elles prennent en compte la gradation des anomalies morphologiques (dilatation de l’oreillette, remodelage ventriculaire…), fonctionnelles (dysfonction diastolique au travers du profil mitral) et des critères de relaxation en Doppler tissulaire. De plus, elles intègrent la mesure des paramètres de déformation myocardique (strain), précocement altérés au cours du remodelage ventriculaire, indépendamment de l’hypertrophie ventriculaire et de la fraction d’éjection (4). Une valeur absolue du strain longitudinal global inférieure à 16 % constitue un critère mineur, qui viendra implémenter les autres paramètres pour constituer le score diagnostique. Bien que la technique ne soit pas encore utilisée de façon routinière, de plus en plus de travaux s’intéressent à la quantification du strain de l’oreillette gauche pour le diagnostic précoce de l’ICFEp (5).

Enfin, l’une des nouveautés de ces recommandations repose sur l’utilisation de l’échocardiographie de stress diastolique pour le diagnostic des formes précoces d’ICFEp, sans manifestation morphologique ou fonctionnelle au repos. Au cours de cet examen réalisé à faible charge, est explorée l’évolution en début d’effort des paramètres de diastole, de relaxation et du flux d’insuffisance tricuspide. Ceux-ci peuvent masquer une élévation des pressions de remplissage ventriculaire à l’effort.

Quelles places pour l’IRM et la scintigraphie ?

Tout comme dans les récentes recommandations sur l’exploration des cardiomyopathies (6), l’IRM cardiaque occupe une place centrale dans le bilan étiologique de l’ICFEp (3). Outre son intérêt pour dédouaner une ischémie myocardique, l’IRM cardiaque (figure 2) permet surtout d’explorer la fibrose myocardique, de remplacement ou interstitielle diffuse (7). Les techniques de cartographie du T1 (figure 2C) permettent de quantifier la fibrose interstitielle diffuse, qui est corrélée à la rigidité pariétale et participe à la dysfonction diastolique (8). Le rehaussement tardif (figure 2B) permet d’explorer la fibrose macroscopique, dont la sémiologie permet d’orienter vers l’étiologie (9). Nécessitant une prise en charge dédiée et une thérapeutique ciblée, l’amylose cardiaque à transthyrétine (TTR) représente 15 % des étiologies d’ICFEp. Sa forte prévalence, croissante avec l’âge, peut dépasser 50 % chez les plus de 90 ans (10) et justifie la place de la scintigraphie osseuse comme outils d’exploration étiologique dans les recommandations européennes (1). En effet, la fixation myocardique du traceur osseux permet d’affirmer la présence d’une amylose cardiaque, généralement suspectée sur la base d’indices cliniques, électrocardiographiques et échocardiographiques (11) tels que l’aspect du strain en cocarde (altération du strain basal et préservation du strain apical) [12].

Une évaluation du pronostic

Outre l’aspect diagnostique, l’imagerie permet d’évaluer le pronostic des patients présentant une ICFEp. L’échocardiographie se positionne encore comme l’examen de premier recours, avec notamment l’utilisation du strain qui s’avère mieux corréler au pronostic que la FEVG (13), particulièrement en cas d’ICFEp.

La fibrose myocardique faisant partie intégrante de la physiopathologie de l’ICFEp, sa quantification par IRM permet d’estimer le risque hémodynamique et rythmique des patients, indépendamment de la FEVG (14). 

Ainsi, l’échocardiographie transthoracique est l’examen de première intention pour le diagnostic, la classification et le suivi. Elle comprend plusieurs niveaux d’expertise qui intègrent l’exploration des paramètres de déformation, de relaxation ainsi que l’étude de l’oreillette. L’IRM cardiaque, en permettant l’étude de la fibrose myocardique, est l’examen de référence pour le diagnostic étiologique et l’évaluation du pronostic. Quant à la scintigraphie osseuse, elle a une place privilégiée dans le diagnostic de l’amylose à TTR qui représente 15 % des ICFEp, et dont la prévalence augmente avec l’âge.

CHU de Toulouse
(1) Ponikowski P et al. Eur Heart J. 2016;37:2129-200
(2) Zile MR et al. Circulation 2011;124:2491-501
(3) Pieske B et al. Eur Heart J. 2019;40:3297-3317
(4) Potter E et al. JACC. Cardiovasc Imaging 2018;11:260–74
(5) Singh A et al. JACC. Cardiovasc Imaging 2017;10:735-43
(6) Seferovic PM et al. Eur. J Heart Fail 2019;21:553-76
(7) Ambale-Venkatesh B et al. Nat Rev Cardiol 2015;12:18-29
(8) Ellims AH et al. J Am Coll Cardiol 2014;63:1112-8
(9) Karamitsos TD et al. J Am Coll Cardiol. 2009;54:1407-24
(10) Mohammed SF et al. JACC. Heart Fail. 2014;2:113–22
(11) Cariou E et al. Amyloid 2017;24.
(12) Phelan D et al. Heart 2012;98:1442–48
(13) Park JJ et al. J. Am. Coll. Cardiol. 2018;71:1947–57
(14) Halliday BP et al. Circulation 2017;135:2106–15

Pr Olivier Lairez

Source : lequotidiendumedecin.fr