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Dossier

Cinq médicaments d'anesthésie essentiels contingentés

La reprise de l'activité chirurgicale à l'heure des tensions d'approvisionnement

Par Damien Coulomb - Publié le 05/06/2020
La reprise de l'activité chirurgicale à l'heure des tensions d'approvisionnement

Sur les cinq médicaments préemptés, le propofol cristallise les craintes
SEBASTIEN TOUBON

Depuis le déconfinement, les hôpitaux ne reçoivent qu'une partie des médicaments d'anesthésie-réanimation nécessaires à leur activité chirurgicale normale, alors même qu'il leur faut rattraper le retard des opérations décalées. En attendant que le ministère augmente les stocks disponibles sur lesquels il a désormais la main pour cinq molécules, les médecins s'organisent.

Avec la baisse progressive des admissions pour Covid-19, les médecins des secteurs interventionnels reprennent le chemin des blocs opératoires après plus de deux mois d'activité très fortement ralentie, voire à l'arrêt.

« Aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), pourtant très ébranlés par l'épidémie, « les lits de réanimation éphémères ont tous été désarmés et on devrait atteindre 70 % de notre activité pré-Covid d'ici à 15 jours », estime le Pr Julien Pottecher, responsable des unités de réanimation chirurgicale et de surveillance continue des HUS. Le CHU de Grenoble est quant à lui « à 40 % d'activité normale, centrés sur les gestes qu'on ne peut pas retarder comme les urgences et la chirurgie des cancers », indique le Pr Pierre Albaladejo, anesthésiste-réanimateur au CHU Grenoble-Alpes et vice-président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR).

Mais spécialistes de plateaux techniques du public et du privé doivent composer avec le contexte particulier de l'épidémie de Covid-19 et des tensions d'approvisionnement en médicaments d'anesthésie-réanimation. Propofol, midazolam, atracurium, cisatracurium et rocuronium, ces cinq molécules font l'objet d'une préemption de l'État pour les achats et la redistribution entre les différents établissements, via les agences régionales de santé (ARS).

Stocks de sécurité

Pour l'heure, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) joue la prudence et les quantités rendues disponibles restent limitées. À titre d'exemple, dans un état de situation communiqué aux établissements par l'ARS Occitanie, il est précisé que « la dotation de l’hypnotique le plus largement utilisé en anesthésie, le propofol, pour la semaine 21 (du 18 au 24 mai) ne s'élève qu’à 800 000 mg et à environ 1 million de mg pour la semaine 22, alors que la consommation hebdomadaire moyenne de ce produit en 2019 était de 8 millions de mg, soit une dotation hebdomadaire d’environ 10 % de celle-ci ». Au niveau national, « les chiffres évoluent rapidement, mais la DGOS attribue pour le moment 25 % des approvisionnements habituels », ajoute le Pr Albaladejo.

Au début du dispositif, les règles d'attribution des stocks avaient pour seul indicateur les taux d'occupation des lits de réanimation. « Mais au fur et à mesure que les stocks de sécurité ont été pourvus, des quantités ont été allouées à une reprise de l'activité chirurgicale, qui fait l'objet d'une politique régionale à l'échelle des groupements hospitaliers de territoire (GHT) », explique le Dr Bénédicte Gourieux, pharmacienne, cheffe du service pharmacie-stérilisation des HUS. « Ce pilotage permet désormais de distribuer les stocks d'État à des établissements qui n'ont pas de lits de réanimation, et notamment les cliniques privées », précise-t-elle. 

S'il partage le constat sur la pertinence du système de répartition, le Pr Albaladejo reste critique sur l'« absence de transparence sur la manière exacte dont les tutelles font la répartition entre les établissements ». « On est dans l'incertitude pour l'avenir et les règles de reprogrammation sont floues », insiste-t-il.

À ce stade, les chirurgiens et anesthésistes-réanimateurs du secteur public contactés par « Le Quotidien » affirment que la disponibilité des molécules ne constitue pas un facteur limitant à la reprise de l'activité chirurgicale. En effet, « même si l'on disposait de médicaments en quantités suffisantes, de personnel et de salles, le contexte épidémique, et les nouvelles contraintes qu’il impose, ne devraient pas permettre de dépasser 80 % de l'activité normale d'ici à la fin de l'été », estime le Pr Pottecher. 

Les exigences de la mise en place de filières Covid-free sont détaillées dans les recommandations de la SFAR : pré-test basé sur les symptômes, algorithme de décision pour la réalisation de PCR, intubation et extubation en salle d'intervention et recours aux chambres individuelles.

À l'appui du terrain

Sur les cinq médicaments préemptés, le propofol cristallise toutes les craintes. Régulièrement en tension depuis 2011, il est utilisé pour l'induction : interventions chirurgicales, actes interventionnels, endoscopiques, radiologie interventionnelle. Cette molécule est difficilement substituable car elle agit plus vite et permet un réveil plus rapide et de meilleure qualité que ses alternatives. « Le thiopental et le midazolam ont des effets résiduels chez la personne âgée et peuvent engendrer des réactions paradoxales, détaille le Pr Pottecher. Des molécules comme la dexmédétomidine peuvent être utilisées leur indication est celle de la sédation vigile. Enfin, l'étomidate inhibe la synthèse du cortisol et la kétamine peut induire des effets psychodysleptiques. Aucune alternative n'est satisfaisante pour l'activité ambulatoire, les actes d'endoscopie interventionnelle, ou de radiologies interventionnelles. »

Pour sa part, le Dr Gourieux note les progrès faits par les médecins intensivistes et anesthésistes-réanimateurs. « On a absorbé l'onde de choc parce que l’on a réussi à communiquer avec les médecins, surtout dans les services qui ont été transformés en unités de soins Covid, explique-t-elle. La pharmacie a pu travailler quotidiennement les approvisionnements en lien avec les médecins. C'est un grand retour d'expérience que l'on doit capitaliser, d’autant plus que l'on voit se profiler d'autres tensions sur l'habillage stérile, les casaques. »

Et le Pr Pottecher de conclure : « le fonctionnement habituel d'un hôpital est émaillé de multiples crises comme la pollution du stock d'un fournisseur ou un accident dans une usine chinoise qui paralysent toute une chaîne de production et d’approvisionnement. L'épisode du Covid-19 va nous rendre plus réactifs, plus agiles si nous nous en donnons les moyens ».

Damien Coulomb