Cornées artificielles

Les alternatives en 2011

Publié le 03/02/2011
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PAR LE Dr LOUIS HOFFART*

LES CÉCITES cornéennes sont une des principales étiologies de déficience visuelle après la cataracte, le glaucome et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Dans les pays développés, elles sont liées essentiellement aux échecs de greffe de cornée. En France, la cécité cornéenne serait responsable de 6,7 % des cécités, soit 8 300 cas environ. L’allogreffe de cornée a bénéficié des améliorations apportées par le développement de la microchirurgie moderne. Cependant, le pronostic à moyen et long terme est toujours conditionné à la survenue d’un rejet immunologique ou aux altérations inéluctables des fonctions cellulaires du greffon conduisant le patient à nouveau vers la cécité. Une modalité de prise en charge de ces patients ne pouvant plus relever des procédures de greffe humaine est alors envisageable : l’utilisation d’une cornée artificielle ou kératoprothèse. Remplacer une cornée opaque par une lentille de verre fut évoqué initialement par un Français, Guillaume Pellier de Quengsy, il y a plus de 200 ans (1). La meilleure connaissance des biomatériaux a relancé l’intérêt de ces dispositifs et diverses solutions sont disponibles actuellement. Ces prothèses peuvent être totalement synthétiques (Boston Kpro, Alphacor), combiner une optique synthétique et un support biologique (ostéo-odonto-kératoprothèse) et, enfin, intégralement biologiques par synthèse tissulaire.

Les dispositifs disponibles.

La Boston Keratoprosthesis (Dohlman-Doane) a été développée depuis les années 1960, elle ne reçu l’agrément de la Food and Drug Administration (FDA) qu’en 1992. De nombreuses études ont rapporté les résultats obtenus avec ce dispositif et plus de 3 000 prothèses ont été implantées à ce jour. Une étude multicentrique (2) a analysé les résultats de 141 procédures. À 1 an, l’acuité visuelle postopératoire était de 1/10e chez 56 % des patients et de 5/10e chez 27 %, avec un taux de rétention de la prothèse de 95 %. Les complications les plus fréquentes sont le développement de membranes rétroprothétiques et l’apparition d’un glaucome. Le succès d’une telle intervention est assuré par une sélection stricte des patients, en excluant les atteintes de la surface oculaire par syndrome de Stevens-Johnson ou les cas de pemphigoïde oculaire cicatricielle. L’osteo-odonto-kératoprothèse (OOKP) a été décrite en 1963 par Strampelli (3). Elle utilise la propre canine et l’os alvéolaire du patient afin de supporter un cylindre optique, la surface oculaire étant recouverte d’une greffe de muqueuse buccale. L’intérêt principal de ce type de prothèse est d’offrir une jupe biologique qui peut facilement être intégrée aux tissus avoisinants assurant ainsi un faible taux d’extrusion du dispositif. Les résultats obtenus avec l’OOKP présentent le recul le plus important dans le domaine des kératoprothèses. En 2005, Falcinelli a rapporté sa cohorte de 181 patients avec un suivi médian de 12 ans (de 1 à 25 ans). La probabilité de rétention est de 85 % à 18 ans. Le taux de complications postopératoires est faible (< 10 %) et l’acuité visuelle postopératoire se situe entre 4 et 8/10e. L’OOKP est la technique indiquée préférentiellement en présence d’une atteinte sévère de la surface oculaire (pemphigoïde oculaire cicatricielle, syndrome de Stevens-Johnson, syndrome sec majeur).

Enfin, l’alphacor (Addition Technology) est une kératoprothèse biocolonisable constituée d’un polymère biocompatible (pHEMA). Nous avons l’expérience au CHU de Marseille de cette kératoprothèse depuis avril 2009 et, à ce jour, nous avons réalisé 13 implantations. Les résultats rapportés dans la littérature portent plus de 400 implantations avec un recul dépassant 7 ans chez certains patients. Les complications postopératoires à type de nécrose stromale pouvant nécessiter le retrait de la prothèse sont relativement fréquentes (de l’ordre de 30 % des cas). La meilleure indication de cette kératoprothèse concerne les patients présentant plusieurs antécédents de rejet de greffe (› 3) avec une surface oculaire préservée.

Les prochaines évolutions.

De nombreux groupes de recherche, motivés par la nécessité de trouver des substituts cornéens efficients, évaluent de nouvelles approches avec l’objectif de développer la cornée artificielle idéale.

La cornée synthétique supra-descemétique (Kéralia) est une de ces solutions développée depuis le début des années 1990 par Parel, Lacombe et Alfonso (4). Il s’agit d’une prothèse biocompatible implantée directement sur la membrane de Descemet à nue, réduisant théoriquement le risque de complication associé aux kératoprothèses transfixiantes. Une équipe de l’université de Standford (États-Unis) développe un nouvel hydrogel, dénommé Duoptix, afin de réaliser un nouveau modèle de kératoprothèse biocolonisable. Une autre voie de recherche concerne le développement de cornées artificielles à partir de collagène humain recombinant (5). Les résultats chez l’animal montrent une bonne intégration tissulaire, avec une recolonisation par les kératocytes et une régénération des nerfs cornéens. Ces substituts, en cours d’évaluation chez l’homme, semblent prometteurs.

Au cours des dernières décennies, des avancées importantes dans le domaine des kératoprothèses ont été réalisées mais il persiste de nombreuses interrogations concernant les mécanismes biologiques d’intégration et de cicatrisation tissulaire. De nombreux dispositifs ont été proposés mais peu restent disponibles pour les applications cliniques. L’OOKP en présence d’un syndrome sec sévère ou la Boston Kpro et l’Alphacor sont les principaux dispositifs disponibles et s’adressent à des indications bien distinctes. Des substituts cornéens développés par génie tissulaire seront certainement disponibles dans un futur proche afin de palier au déficit mondial de greffons cornéens, mais en attendant cette éventualité des patients nécessiteront encore une implantation de kératoprothèse.

*Service d’ophtalmologie, hôpital de la Timone, Marseille.

(1) Pellier de Quengsy, G. Précis ou cours d’opérations sur la chirurgie des yeux. D. Mequignon, Editor. 1789. p. 91.

(2) Zerbe BL, Belin MW, CiolinoJB. Results from the multicenter Boston Type 1 Keratoprosthesis Study. Ophthalmology 2006;113(10):1779e1-7.

(3) Strampelli B, Valvo A, Tusa E. Osteo-odonto-keratoprosthesis in a case treated for anchylobepharon and total simbleraphon. Ann Ottalmol Clin Ocul 1965;91(6):462-79.

(4) Espana EM, et al. Long-term follow-up of a supradescemetic keratoprosthesis in rabbits: an immunofluorescence study. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2010 Sep 3. [Epub ahead of print].

(5) Fagerholm P, et al. A biosynthetic alternative to human donor tissue for inducing corneal regeneration: 24-month follow-up of a phase 1 clinical study. Sci Transl Med 2010 Aug 25;2(46):46ra61.


Source : Bilan spécialistes