Reportage à l'hôpital d'instruction des armées

L'excellence de Percy au service des grands brûlés

Par
Publié le 12/11/2018
Article réservé aux abonnés
percy 15

percy 15
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 7

PERCY WEB 7
Crédit photo : S. Toubon

percy 14

percy 14
Crédit photo : S. Toubon

percy 18

percy 18
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 4

PERCY WEB 4
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 3

PERCY WEB 3
Crédit photo : S. Toubon

Percy 2

Percy 2
Crédit photo : S. Toubon

Percy 14

Percy 14
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 5

PERCY WEB 5
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 2

PERCY WEB 2
Crédit photo : S. Toubon

percy 9

percy 9
Crédit photo : S. Toubon

percy 20

percy 20
Crédit photo : S. Toubon

percy 11

percy 11
Crédit photo : S. Toubon

PERCY WEB 6

PERCY WEB 6
Crédit photo : S. Toubon

Charlotte sur la tête, bonnettes aux pieds et blouse propre ! Prière de vous changer de pieds en cap avant de pénétrer dans le centre de traitement des brûlés (CTB) de l'hôpital d'instruction des armées de Percy, à Clamart. Les consignes de sécurité concernant le risque infectieux sont draconiennes : lavage hydroalcoolique, portes automatiques… L'omniprésence des alertes sonores peut étonner le néophyte. « On porte beaucoup de capteurs, déclenchant beaucoup d'alarmes. Il faut faire le tri entre ce qui est significatif et les fausses alertes », explique le Médecin chef des services Thomas* en nous accueillant dans la salle de détente. 

La journée commence par une réunion du staff devant chaque chambre. Ces dernières sont isolées et en surpression pour s'assurer que l'air sorte mais ne rentre pas en cas d’ouverture de la porte. Ce dispositif doit prémunir du risque infectieux des grands brûlés privés d'une part importante de leur barrière cutanée. Devant l'une des chambre, les médecins échangent autour de la possible levée de sédation d'un patient. Doit-elle être complète ou partielle ?

Les médecins doivent trouver un équilibre entre risques de douleurs et d'agitation d'une part et bénéfice du réveil sur la fonction respiratoire. Il est finalement décidé de procéder à un réveil partiel. Le patient sera maintenu dans un état de somnolence (0 à -1 sur l'échelle de sédation agitation de Richmond, ou RASS). C'est aussi à ce moment que les soins de la journée sont planifiés : changement de pansement, lavage bronchoalvéolaire en cas de suspicion d'infection pulmonaire, pose de cathéter, dialyse, etc.

Brûlures de saison

La brûlure est une pathologie saisonnière. Avec la fin de l'année, les tentatives de suicide succèdent aux accidents de barbecue de l'été. Devenus rares, on retrouve encore des cas de patients très alcoolisés endormis la cigarette à la bouche. Quatre lits sont normalement destinés aux grands irradiés dotés d'un système de récupération des flux pour éviter de contaminer l'extérieur. Les grands irradiés restent rares : « nous en recevons peut-être un tous les 5 ans », estime le Médecin principal Clément.

Dans le bloc situé au centre du bâtiment où le Médecin en chef Patrick commence la greffe d'épiderme d'une patiente brûlée par inflammation de ses vêtements sur la face intérieure des 2 jambes, de l'abdomen et du thorax. Il faudra plus de 2 heures pour greffer un peu moins de 20 % de sa surface corporelle. Le chirurgien procède à une excision des peaux brûlées au 2e degrés et une avulsion des régions brûlées au 3e degrés.

Dans le cas de brûlures au 3e degrés, les tissus sous jacents sont trop endommagés pour servir de support à la greffe d'épiderme, si bien que le chirurgien retire aussi le derme, jusqu'aux tissus graisseux voire à l'aponévrose musculaire. Entre 2 crépitements de son bistouri électrique, le médecin en chef Patrick pèse les tissus retirés dans une balance. « Cela nous permet d'estimer les masses de résection et les pertes sanguines, explique-t-il. La greffe doit avoir lieu le plus tôt possible, avant que le patient soit très inflammatoire, ce qui augmente le risque de saignement. Quoi qu'il arrive, la chirurgie de la brûlure reste délabrante et très hémorragique. »

En filet, en pastille ou en sandwich

Ce jour-là, une greffe autologue est pratiquée. Quelques millimètres d'épaisseur de peau sont prélevés sur l'extérieur de la cuisse avec un dermatome mécanique. La peau est ensuite passée entre 2 tambours d'où elle ressort sous la forme d'un filet extensible. La taille et l'écartement des trous ne sont pas choisis au hasard : « pour des régions peu fonctionnelles comme l'abdomen ou le thorax, nous pouvons pratiquer des perforations larges et étirer la taille du greffon jusqu'à 3 fois », nous explique le médecin en chef Patrick, tout en agrafant les filets préparés par une interne. « Pour des régions qui doivent garder une certaine mobilité, nous n'étirons que 2 fois », poursuit-il.

La greffe en filet n'est pas la seule procédure possible. Selon les indications, les greffes peuvent également être faites en « pastilles » ou en « sandwich ». Cette dernière technique consiste à intercaler de l'autogreffe, de l'allogreffe (peau de cadavre) ou de la xénogreffe (peau de cochon). « L'allogreffe et la xénogreffe ne sont jamais utilisées seules, mais dans l'attente d'une autogreffe », précise Anne Renée, l'infirmière de bloc opératoire.

Panser, un travail d'équipe

Pendant que le médecin en chef Patrick poursuit son travail, nous rejoignons une chambre où 7 personnes se consacrent au changement des pansements d'un très grands brûlé plongé dans un coma artificiel. L'opération devait initialement se dérouler dans un bain de javel diluée, mais les saignements provoqués par le retrait des anciennes bandes en ont dissuadé l'équipe. Délicatement, les croûtes et les résidus de tissus sont retirés à la pince, avant l'application d'un antiseptique topique et d'un pansement gras. L'opération, répétée toutes les 48 à 72 heures, est longue et délicate, dans une atmosphère à plus de 30 °C afin de prévenir l'hypothermie.

Au cœur de la nuée de médecins qui tournent autour du lit pneumatique, le masseur kinésithérapeute de classe normale Céline s'attache à réduire le risque de conséquences fonctionnelles de la brûlure : rétractions, adhérences et hypertrophies de la peau. « On mobilise ces patients le plus tôt possible, nous explique-t-elle. Je manipule les membres pour voir comment la peau réagit. Le patient étant sédaté, on en profite pour mesurer les amplitudes des mouvements sans les douleurs. »

Comorbidités en cascade

Comme tous les grands brûlés en réanimation, le patient est sous thromboprophylaxie. L'état inflammatoire systémique, propre à la brûlure, est en effet un facteur de risque majeur de thrombose. Plusieurs orteils ont nécrosé et une amputation partielle des pieds sera nécessaire. Le malade est en outre très amaigri : « on a beau les alimenter par voie entérale, les grands brûlés sont en état d'hypercatabolisme et continuent de perdre du poids, surtout à la phase initiale », précise le médecin en chef Julie qui supervise les opérations.

Au-delà de la défaillance cutanée proprement dite, les comorbidités s'accumulent à mesure que le séjour s'allonge. Les infections pulmonaires sont fréquentes, fruit de la conjonction de l'immunodépression et de l'intubation, mais il y a aussi l'insuffisance rénale, l'amyotrophie, etc. Il faut donc régulièrement faire des antibiogrammes, des lavages bronchoalvéolaires et réévaluer la sédation pour adapter la prise en charge. Les patients les plus longuement hospitalisés doivent parfois subir trachéotomie et dialyse.

Pénurie de médecins et de lits

L'après-midi, les médecins du CTB assurent des consultations de jour. Trois personnes ont fait le déplacement depuis des lieux aussi éloignés que Chartres ou la Normandie. L'un de ces cas est préoccupant : un ouvrier dont l'œil a été aspergé de plastique fondu se plaint de pertes progressives de la vision. Face à la pénurie de spécialistes près de son lieu de résidence, le Médecin Chef Clément sollicite les urgences ophtalmologiques. « Trois critères peuvent pousser à demander une hospitalisation lors d'une consultation externe, nous détaille-t-il, la taille de la surface brûlée, une brûlure profonde ou compliquée par des critères comme l'âge du patient, et la surinfection. »

Les 12 lits du CTB sont cruciaux face à une offre de lits dédiés aux grands brûlés notoirement insuffisante en France. Pour preuve, le CTB a reçu plus de 100 admissions en 2018 et en a refusé plus de 80, faute de place. En 2013, près d'un quart des grands brûlés français est passé par ce service.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9701