L’ARS de Lorraine ferme un service de chirurgie cardiaque

Mauvais cocktail au CHR Bon-Secours de Metz

Publié le 18/10/2010
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Crédit photo : AFP

LE MÉLANGE était détonnant. Il a finalement conduit lundi dernier à la fermeture provisoire du service de chirurgie cardio-vasculaire et thoracique du centre hospitalier régional (CHR) Bon Secours de Metz-Thionville, sur décision de l’agence régionale de santé (ARS) de Lorraine. Fait sans précédent, le directeur de l’ARS, Jean-Yves Grall (lui-même cardiologue de formation), a officiellement motivé son choix par les forts taux de mortalité relevés dans le service. « Mon unique souci a été la préservation de la sécurité et patients et de la qualité des soins », explique-t-il au « Quotidien ».

C’est donc parce qu’on y est mort en 2009 beaucoup plus qu’ailleurs (globalement deux fois plus que dans les autres CHU/CHR la même année ; trois fois plus pour les seuls changements de valves, fait valoir le directeur de l’ARS sur la base des chiffres du PMSI – programme médicalisé des systèmes d’information  – fournis par Bon Secours), que le service de chirurgie cardiaque du CHR (347 interventions en 2009) est suspendu (1). Pour au moins trois semaines, le temps qu’une mission d’inspection de l’ARS assistée de trois experts en chirurgie cardiaque explique pourquoi il en va ainsi.

Dans la marmite qui a conduit à cette décision expresse et radicale, il y avait plusieurs d’abord un service sous surveillance. Son patron, le Dr Pierre-Michel Roux a une personnalité qui ne laisse personne indifférent dans sa ville et au-delà ; l’homme a déjà été placé sous les feux médiatiques – puis blanchi par l’IGAS – pour dépassements d’honoraires très élevés dans le cadre de son secteur privé. C’était en 2007 et à l’époque, la question des taux de mortalité « hors norme » observés dans son service avait déjà surgi. Sans suite. L’affaire a toutefois laissé des traces et un confrère constate que de nombreux chirurgiens « en ont voulu au Dr Roux » après cette exposition sur la place publique des dépassements d’honoraires de la spécialité.

Concurrence effrénée.

La situation de concurrence locale dans laquelle est placée l’activité de chirurgie cardiaque entre également en ligne de compte. Jusqu’à la semaine dernière, le CHR et la clinique privée voisine Claude Bernard l’assuraient à Metz (ainsi que, à 60 km, le CHU « rival » de Nancy). Avec une épée de Damoclès : le dernier SIOS (schéma interrégional d’organisation sanitaire) a prévu qu’en 2013, il n’y aura plus qu’un seul site de chirurgie cardiaque dans la ville. Pour se maintenir, il faut entre autres dépasser le seuil de 400 interventions annuelles. Le patron de l’ARS se défend absolument d’avoir mélangé les genres – la suspension « n’a rien à voir avec les dispositions de l’organisation sanitaire, c’est une question de sécurité des patients », insiste-t-il. Il n’empêche, cette donnée est dans l’esprit de chacun. D’autant que dans cette course (qui peut, sur le papier, se clore par une coopération public-privé), la clinique et l’hôpital partent à peu près à armes égales, et ric-rac, en termes de volume d’activité (chacun revendique autour de 400 interventions, quand le CHU de Nancy en effectue environ 700).

Avec un soutien très mesuré de son établissement – la directrice du CHR Véronique Anatole-Touzet a indiqué à l’AFP que l’expertise complémentaire diligentée par l’ARS expliquerait les raisons des « manquements et (...) dysfonctionnements observés » –, le chef du service suspendu a contre-attaqué sur les chiffres. La surmortalité des interventions ? Elle s’explique, dit-il, par le profil particulier des patients accueillis. « L’ARS nous a reproché, à moi et à mon équipe, d’avoir opéré des malades âgés ou très âgés, porteurs de pathologies cardiaques gravissimes et de multiples autres pathologies associées, s’est justifié le Dr Roux. Les experts, mandatés par l’ARS pour effectuer un audit du service, nous ont expliqué qu’il n’aurait pas fallu opérer ces malades qui, nous ont-ils dit, allaient tous mourir de toutes façons. (...) Refuser d’opérer ces malades aurait en effet amélioré les statistiques du service. Mais nous avons fait le choix d’opérer des patients et non des statistiques. »

Tout en soulignant « l’étroitesse de la base statistique » fournie par la chirurgie cardiaque du CHR, le chirurgien calcule que « les malades à risque chirurgical très élevé représentent 52 % des patients admis (dans son service) » et interpelle les pouvoirs publics : « Veut-on faire comme en Angleterre, où des hôpitaux ont refusé d’opérer certains malades fumeurs ou obèses considérés à risque trop élevé de complications chirurgicales ? » L’argumentaire, qui s’inspire de celui souvent brandi nationalement par l’hôpital public pour expliquer ses surcoûts par rapport au secteur privé (en substance, « on ne soigne pas les mêmes malades ») et agite le spectre de la sélection des malades, n’ébranle pas le directeur de l’ARS-Lorraine. En épluchant notamment les dossiers des patients, la mission en cours l’éclairera, explique Jean-Yves Grall, sur « la pertinence des actes et des indications opératoires » mais aussi sur « l’acte opératoire lui-même » (longueur de l’intervention, durée de la circulation extra-corporelle) et « la pratique de procédures complexes » (taux de recours...). À la clinique Claude-Bernard, où l’on se dit convaincu d’accueillir « sensiblement les mêmes malades » que le service du Dr Roux, on attend ces résultats avec une certaine impatience.

(1) En 2009, sur un total de 347 interventions de chirugie cardiaques, le CHR de Metz a présenté un taux de mortalité de 11,2 % contre 6,8 % pour l’ensemble des CHU-CHR. Dans le détail, les changements de valves ont entraîné 19,1 % de décès (6,4 % en moyenne nationale), les taux de mortalité a atteint 4,8 % à Metz pour les pontages contre un résultat national de 3,4 %.

 KARINE PIGANEAU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8838