« UN SEUL COUP précis, même avec un trou noir d'un millième de seconde, est bien moins dangereux que de recevoir des impacts de toutes parts », affirme Xavier Senegas, qui place le football, le rugby et surtout l'équitation bien plus haut que la boxe dans l'échelle des risques. Médecin de l'équipe de France de boxe depuis six ans, ce généraliste bordelais suit, au jour le jour, les petits bobos et les KO. « Le doc », comme le surnomment boxeurs et entraîneurs, est de tous les combats. « C'est celui que l’on écoute. » En compétition, il peut demander l'arrêt de la rencontre. « En général, en quatre rounds, ce n'est pas un KO lourd, ils sont simplement piqués », explique-t-il. Dans ces circonstances, confient les deux entraîneurs des juniors, Aldo Cosentino et Philippe Denis, « la seule méthode de réanimation qui vaille reste, le seau d'eau ! » Un traitement de choc du genre rustique, qui ne doit pas faire oublier la mise au point de protocoles élaborés pour prévenir les impacts et guérir les lésions.
Dans ce domaine, la discipline semble bien avoir un coup d'avance, comme le confirme le médecin lorrain Humbert Furgoni, président de la FFB. « Les lésions de l'il et du cerveau restent exceptionnelles et souvent graves, mais la boxe est à l’avant-poste pour faire évoluer la traumatologie au niveau du nez et de la main. » Il salue l’initiative de la commission médicale du comité d'Île-de-France de réunir ceux qui préparent, protègent et réparent la main, « seul moyen d'expression du pugiliste ».
Les boxeurs rencontrent aussi des problèmes chroniques. « En tapant toujours au même endroit, le ciment se délite, se creuse et les mécanismes sont touchés. Bien sûr le corps s'adapte, mais chez les professionnels qui tapent lourd, j'observe des remaniements osseux sur la tête des premiers et deuxièmes métacarpes, des déformations et durcissements de cartilages qui touchent désormais de très jeunes boxeurs », explique Xavier Senegas. « L'an dernier, l'un des olympiques a été opéré pour retirer le cartilage tombé dans l'articulation. »
Avant d'en arriver là, de multiples précautions sont prises et l’entraîneur Aldo Cosentino insiste sur le rôle capital du bandage « pour serrer et frapper ». Pas moins de 2,50 m de tissus pour ficeler le poignet jusqu'à la main et limiter les entorses. « Le pouce doit rester libre et disponible pour fermer le poing. » L'entraîneur met en avant « cette souplesse indispensable dans le geste pour éviter la fracture de la colonne du pouce, dramatique pour le boxeur ». Xavier Senegas, qui n'en déplore aucune, sait qu'il doit ce résultat au bandage réalisé 40 minutes avant le combat. Une étape toujours critique. « Dernièrement lors de la rencontre France-Roumanie, des adversaires avaient des doigts tout blancs. » Impensable pour Aldo Cosentino, qui se bat pour que « ses » boxeurs n'utilisent jamais de gants neufs avant de casser le cuir, de s'asseoir dessus pour les assouplir.
Rester en garde.
Au-delà de l'équipement, l'échauffement, d'abord individuel, puis la leçon avec l'entraîneur pour faire monter la fréquence cardiaque feront la différence au moment de franchir les cordes. Pendant le combat, le médecin de la rencontre n'est jamais loin et celui de l'équipe quelques mètres derrière. « Parfois on ne sert à rien, on se tient prêt, car lorsqu'il faut intervenir il faut tout faire vite et bien », explique le médecin, habitué à scruter les arcades ouvertes et les hémorragies. Des accidents pas si fréquents pour l'équipe de France, qui a rapporté de Pékin l’an dernier, « sans fracture ni ouverture », deux médailles olympiques d'argent ( Daouda Sow 60 kg et Khedafi Djelkhir 57 kg) et une de bronze ( Alexis Vastine 64 kg). Le Dr Jean-Louis Llouquet, aujourd’hui médecin international, qui a longtemps présidé la commission médicale nationale de la fédération, ne cache pas sa satisfaction, mais reste sur ses gardes. « On rencontre de nouvelles blessures. À l'avant-dernier championnat du monde, en Inde, une boxeuse de l'équipe de France, sacrée championne du monde, a fini son combat le jour de la finale avec une fracture du rachis cervical. On n'avait jamais vu cela et, sur place, nous ne disposions pas des radios qui permettaient de connaître l'origine de sa douleur. À l'annonce du diagnostic, quelques heures après, à Paris, le médecin et le kiné qui l’accompagnaient ont simplement pris conscience qu’en multipliant les précautions lors du retour, ils lui avaient simplement sauvé la vie. »
Sa riche carrière de médecin, boxeur à ses heures, porte d'autres marques indélébiles. Ce souvenir d'impuissance au moment où le boxeur ivoirien de 22 ans David Thio, après un dernier uppercut, s'écroule sur le ring du palais des sports de Gerland à Lyon. C'était il y a vingt ans, il a fait un hématome sous-dural et n'a jamais repris connaissance. Des accidents très exceptionnels, dans cette discipline qui permet à tous de s'exprimer et de partager des valeurs. Une école de respect, de courage et d'humilité fréquentée par de très nombreux médecins, qui boxent à tous les niveaux.
Un sport qui n’est plus exclusivement masculin. Xavier Senegas, stupéfait par l'évolution des boxeuses depuis dix ans, a simplement ajouté un suivi gynécologique. Les phases tactiques et techniques sont identiques, les préparations limitées à huit rounds. Aldo Cosentino, qui les entraîne depuis un an, s'étonne tout de même d'une différence. Il affirme « ne jamais en avoir vu une se plaindre ».
Jeudi 26 mars, 19 h 30, Saint-Mandé, 3 avenue de Liège, entrée gratuite. Renseignements : tél. 01.42.80.35.40, ffb-crlO@wanadoo.fr.
** Institut national du sport et de l’éducation physique, centre d’expertise et de recours pour la préparation des sportifs de haut niveau.
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