La chirurgie robotique

Une technique utile ou futile ?

Publié le 06/10/2010
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PAR LE Dr PIETRO ADDEO ET LE Pr PATRICK PESSAUX *

EN DEHORS des applications industrielles et militaires, le concept de l’aide d’un système robotique adapté à la chirurgie est né à la fin des années quatre-vingt avec comme objectif principal d’améliorer la capacité humaine pour des interventions techniquement difficiles et minutieuses. Le système Zeus en 1998 puis le système Da Vinci en 2000 ont été les premiers outils robotiques disponibles en chirurgie. Cette technologie dérive en fait directement de projets menés par l’armée américaine dont le but était de réaliser des interventions à distance des théâtres de conflits, évitant ainsi la nécessité d’une équipe chirurgicale sur place. En effet, il s’agit de « télémanipulation » plutôt que de « robotique » : il ne s’agit pas de faire réaliser certains gestes préprogrammés par une machine, mais de transmettre des mouvements réalisés par le chirurgien.

La chirurgie robotique a exploité les champs ouverts par la chirurgie mini-invasive représentée par l’avènement de l’abord cœlioscopique. L’école chirurgicale française a joué un rôle important dans le développement et la promotion de cette nouvelle voie d’abord. Pratiquement toutes les interventions en chirurgie abdominale ont été rapportées comme faisables par cœlioscopie, de la simple cholécystectomie jusqu’à des résections coliques, rectales, ou pancréatiques. L’approche cœlioscopique a permis une diminution des douleurs postopératoires, une réhabilitation plus précoce, une réduction de la durée d’hospitalisation et, bien sûr, un moindre préjudice pariétal et donc esthétique. Il est aussi attendu un bénéfice en terme de réduction des coûts. Ces avantages ont, pour certains auteurs, un intérêt aussi en pathologie cancéreuse où une réhabilitation précoce peut signifier un plus court délai entre l’intervention et l’administration d’une thérapie adjuvante complémentaire (chimiothérapie-radiothérapie).

Cependant, les interventions cœlioscopiques requièrent une expertise et une courbe d’apprentissage. De ce fait, son indication pour certaines interventions complexes reste limitée et réservée à certaines équipes expertes. La cœlioscopie a des contraintes techniques. Le chirurgien a une vision du champ opératoire restreinte à deux dimensions avec une perte du sens de la profondeur. Les instruments utilisés sont rigides avec des mouvements limités à cinq degrés de liberté. L’ergonomie est précaire, pouvant être responsable d’une plus grande fatigabilité et d’une perte de la précision du geste chirurgical. Le concept de la robotique naît de la nécessité d’outrepasser les contraintes techniques de la cœlioscopie tout en conservant ses avantages permettant ainsi d’en augmenter les indications.

Le système chirurgical.

Le système chirurgical Da Vinci (Intuitive, Sunnyvale, California) (figure) est composé de deux modules : la console et le cadre robotique. La console robotique représente le vrai centre de commande du système où le chirurgien est assis pour réaliser l’intervention, assurant un confort à l’opérateur. Les mouvements de ses mains sont transmis aux instruments placés au sein du champ opératoire à l’aide de deux « joysticks ». Le système permet au chirurgien de moduler l’amplitude de ses gestes avec une réduction de l’échelle des mouvements (de 1 pour 1, 1 pour 3, à 1 pour 5), fonctionnalité adaptée aux procédures les plus fines et précises. Le tremblement naturel de la main humaine est éliminé totalement par un système de « tremor filtering ». La vision du champ opératoire est obtenue par l’intégration de deux différents systèmes optiques assurant ainsi une vision tridimensionnelle et magnifiée par l’utilisation d’un « zoom ». Le cadre robotique est constitué par un squelette mécanique avec quatre bras, aux extrémités desquelles sont connectés les instruments chirurgicaux. Ces instruments sont introduits à travers la cavité abdominale par l’intermédiaire de trocarts similaires à ceux utilisés en cœlioscopie, mais d’un diamètre de 8 mm. Ces instruments assurent les mêmes degrés de liberté que la main humaine c’est-à-dire sept degrés de liberté.

L’exemple de la prostatectomie.

Les avantages techniques du système robotique ont permis la diffusion de l’abord mini-invasif aux interventions les plus difficiles. L’exemple classique est représenté en urologie par la prostatectomie radicale. En environ 5 ans, le nombre de prostatectomies robotiques aux États-Unis est passé de 10 à 80 %. Les applications de la chirurgie robotique abdominale sont en continuelle augmentation (1). Les premières indications étaient représentées par la chirurgie bariatrique avec la réalisation des by-pass où l’existence de plus amples degrés de liberté de mouvements des instruments permet la réalisation des anastomoses digestives avec une grande précision et sécurité. La voie robotique a ouvert de nouvelles voies telle la réalisation de thyroïdectomies sans incision cervicale, mais par abord transaxillaire, comme rapporté par nos collègues de Nancy (2). En chirurgie digestive, les derniers sanctuaires de la cœlioscopie sont représentés par la chirurgie hépatique et pancréatique. Les avantages de l’approche robotique peuvent probablement permettre de franchir ces réticences et ainsi permettre de vulgariser l’accès mini-invasif à ces procédures chirurgicales. Au sein de notre équipe à Strasbourg (Hôpital Hautepierre), nous réalisons ces résections pancréatiques, hépatiques, ainsi que l’exérèse de certaines tumeurs duodénales par voie robotique (3).

Cette technologie présente tout de même certaines limites : l’absence de retour de force des instruments, la difficulté de changer de zone opératoire, l’encombrement spatial, et le coût. La chirurgie robotique deviendra sûrement incontournable comme l’est devenue la cœlioscopie, sous réserve d’améliorations techniques et de réduction des coûts.

*Pôle des pathologies digestives, hépatiques et de la transplantation, hôpital de Hautepierre, hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Université de Strasbourg.

Références :

(1) Giulianotti PC et al. Surg Endosc 2010 ; 24 :1646-57.

(2) Brunaud L. Quotidien du médecin n°8686 ; 14/01/10

(3) Ntourakis D et al. J Gastrointest Surg. 2010;14(8):1326-30.


Source : Bilan spécialistes