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Dossier

Pied diabétique

Des ulcères à part

Publié le 01/03/2018
Des ulcères à part

Pied diabetique
JIM VARNEY/SPL/PHANIE

Volontiers récidivant, le plus souvent infecté, survenant fréquemment sur un terrain d’artériopathie, l’ulcère du pied diabétique n’est pas un ulcère comme les autres, comme l’ont souligné les experts réunis lors des Journées Cicatrisations 2018. L’occasion de rappeler les différentes composantes de la prise en charge, qui ne doit pas se résumer au seul pansement.

Concernant 15 à 25 % des diabétiques, les ulcères du pied diabétique (UPD) sont responsables de 85 % des amputations dans cette population et d’une mortalité supérieure à celle de bien des cancers. Leur découverte doit normalement conduire à une démarche stéréotypée : identifier et supprimer la cause de la plaie, éviter son aggravation en mettant le pied en décharge et orienter le patient vers une équipe spécialisée dans les 24/48 heures, et même en urgence devant une infection localement étendue ou un sepsis.

Mais dans les faits, 50 % des UPD sont méconnus par le praticien et 10 % surviennent alors que le diabète n’est pas connu. Comme le constate l’étude Educare, le diagnostic n’est fait dans les huit jours que pour 8 % des UPD, et dans 28 % il n’est porté qu’après trois semaines d’évolution. Le délai de prise en charge par un centre spécialisé n’est pratiquement jamais respecté : 10 % sont adressés dans les 48 heures mais 30 % seulement après plus d’un mois.

Penser au-delà du pansement

L’UPD ne se résume pas à un ulcère de jambe survenant chez un diabétique. Il est bien particulier, car il faut tenir compte non seulement du diabète, mais aussi de ses multiples comorbidités, des fréquentes surinfections, de l’atteinte neurologique et vasculaire périphérique. « La prise en charge des ulcères du pied diabétique ne se limite pas à penser uniquement en termes de pansements », souligne le Dr Jacques Martini (centre de cicatrisation des plaies du pied diabétique, Toulouse) qui insiste sur les éléments clés, l’évaluation de l’état artériel et infectieux, et les incontournables détersions et mise en décharge.

Selon l’étude Eurodiale, l’AOMI (artériopathie oblitérante des membres inférieurs) touche la moitié des diabétiques de type 2. Or, elle peut être méconnue par la seule mesure de l’IPS (index de pression systolique), puisque 25 % des DT2 chez qui cette valeur est normale ont en fait une AOMI. Aussi l’IPS doit-il être complété par la palpation des pouls et la mesure de l’index orteil/bras, avant d’en référer à un spécialiste vasculaire en cas de doute. « C’est essentiel, car même une amélioration minime du flux sanguin améliore significativement la cicatrisation », explique le Pr José Luis Lázaro Martínez (Madrid).

L’infection est présente chez 60 % des UPD, dont 5 à 25 % sont sévères, et constitue avec l’ischémie la cause majeure d’amputation, surtout en cas de nécrose ou d’ostéite. L’antibiothérapie et les écouvillonnages superficiels systématiques sont à bannir. En fonction du contexte, on pratique soit un prélèvement en profondeur s’il existe une collection, soit un curetage/écouvillonage de la plaie après détersion et nettoyage pour distinguer les germes réellement pathogènes d’une simple colonisation. La plupart de ces infections sont polymicrobiennes et impliquent souvent des bactéries résistantes. Les seuls signes cliniques sont généralement insuffisants dans un contexte de neuropathie pour diagnostiquer une ostéite, aussi, un sondage à la curette de l’UPD associé à la radiographie doit être systématique chez les patients à haut risque. « Le meilleur antibiotique est le bistouri lame 10 », continue le chirurgien vasculaire, « et le débridement chirurgical doit être effectué dans les 24/48 heures. On tend actuellement vers une chirurgie plus conservatrice, qui retire l’os infecté et les tissus mous non viables mais sans amputation. »

La décharge est indispensable dans le traitement de l’UPD, mais seulement 6 % des patients l’utiliseraient réellement, vu ses contraintes, et se contentent de chaussures modifiées. Il existe pourtant une alternative intéressante : les bottes de marche, amovibles ou non, mieux tolérées, moins onéreuses et aussi efficaces.

Une entité à plusieurs faces« On se focalise trop souvent sur la neuropathie, alors que les UPD sont en fait à 50/60 % des ulcères neuro-ischémiques ; les ulcères neuropathiques purs ne représentant que 30 % et les ischémiques purs 10 à 15 % », explique le Dr Jan Apelqvist (centre spécialisé du pied diabétique, Suède). Les ulcères neuro-ischémiques posent de grands problèmes thérapeutiques : la détersion et le débridement sont limités par la mauvaise vascularisation, et aucun argument fort ne se dégage jusqu’ici en faveur du type de soins ou de pansements à privilégier. De plus, dans 60 % des ulcères neuro-ischémiques, la sécrétion et l’activité des métalloprotéases (MMPs) sont excessives. Ces MMPs provoquent une altération de la matrice extracellulaire et compromettent la cicatrisation des plaies.
 

Cicatrisation n’est pas guérison

Même quand il y a cicatrisation, « on ne doit pas parler de guérison mais de rémission », affirme le Dr Martini, « car l’UPD récidive dans 50 % des cas à deux ans et 70 % à cinq ans. Du fait du risque élevé d’infection, d’hospitalisations, d’amputation et de mortalité, la prévention de la récidive des ulcères de jambe est l’un des plus importants challenges dans la prise en charge du pied diabétique ».

Les lésions du pied diabétique ont été stratifiées en 4 grades : 0 (pas de neuropathie sensitive), 1 (neuropathie sensitive isolée), 2 (neuropathie sensitive associée à une AOMI et/ou à une déformation du pied), 3 (antécédent d’ulcération ayant évolué pendant plus de 4 semaines et/ou d’amputation). Cette classification détermine la stratégie préventive déterminée par la HAS en 2014 pour le parcours de soins du diabétique, mais son application reste limitée. Le médecin traitant doit examiner les pieds (et les chaussures !) à chaque consultation dès le grade 1. Les soins de pédicure doivent être réguliers, et ceux en podologie à prescrire tous les trois mois au grade 2, tous les deux mois à partir du grade 3. La consultation dans un centre spécialisé est annuelle dès le grade 3 en l’absence de lésions. « L’approche multidisciplinaire permet de réduire de 78 % les amputations majeures en 10 ans, un résultat qui se maintient sur 20 ans », rappelle le spécialiste.

 

Des innovations au service de la cicatrisation

Les ulcères neuro-ischémiques qui répondent mal aux traitements usuels des UPD pourraient particulièrement bénéficier de nouvelles techniques. Le Dr Sylvie Meaume (dermatologue, hôpital Rothschild) se félicite que les plaies chroniques aient enfin les honneurs des revues médicales de référence, avec la publication dans le Lancet Diabetes & Endocrinology de l’étude Explorer. Dans cet essai mené dans les UPD neuro-ischémiques, un nouveau pansement (Urgostart®) comprenant une matrice à base de NOSF (Nano-OligoSaccharide-Factor) inhibant les métalloprotéases (MMPs) permet, par rapport au pansement standard, d’améliorer le nombre d’UPD fermés à 20 semaines (30 % vs 48 %), tout en raccourcissant le délai de cicatrisation qui passe de 6 à 4 mois.

Substitut dermique D’autres technologies utilisées dans les plaies chroniques bénéficient particulièrement aux UPD neuro-ischémiques. Ainsi, l’utilisation d’ultra-sons à basse fréquence constituerait une bonne alternative au débridement chirurgical en réduisant le biofilm et la taille de la plaie. Pour améliorer la cicatrisation, un dispositif original (LumiHeal®) consiste à appliquer sur une plaie ouverte un gel réagissant à une lumière LED, permettant ainsi de contrôler le biofilm et de réduire la douleur. En cas de gangrène, la protection des plaies profondes mettant à nu les tissus profonds, l’os ou les tendons est difficile et les greffes de peau décevantes. « Un substitut dermique (Nevalia®) assure la reconstruction immédiate, ce qui pourrait permettre de limiter l’amputation aux seuls tissus non viables », se félicite Luigi Uccioli (centre expert, Rome). Fabriqué en France, il est constitué d’une couche de collagène guidant la régénération protégée par une lame de silicone renforcée agissant comme un pseudo-épiderme qui peut être cousu à la peau saine. 

Dr Maia Bovard-Gouffrant

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