Infections sexuellement transmissibles

Évolution et prise en charge

Publié le 10/03/2010
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Par le Pr NICOLAS DUPIN (*)

LES INFECTIONS sexuellement transmissibles (IST) ou maladies sexuellement transmissibles (MST) regroupent des infections historiques comme la syphilis, la gonoccocie, la lymphogranulomatose vénérienne (LGV) ou maladie de Nicolas Favre et le chancre mou et des infections de connaissance plus récente comme l’herpès, les infections urogénitales basses à Chlamydia trachomatis et les verrues génitales ou condylomes. Depuis 2000, les quatre IST historiques ne sont plus à déclaration obligatoire et le recueil épidémiologique les concernant repose sur une collaboration entre un réseau de cliniciens volontaires baptisé RésIST et l’institut de veille sanitaire (Invs). Pour les infections gonococciques et les infections à Chlamydia trachomatis, il existe également deux réseaux de laboratoire qui participent à la déclaration des cas à l’Invs, le réseau RENAGO pour les gonococcies et le réseau RENACHLA pour les infections à Chlamydia trachomatis. Si ces données ne sont pas exhaustives et reposent sur le volontariat, elles ont au moins le mérite d’exister et de permettre à l’Invs de dresser chaque année, en parallèle des données concernant le VIH ou l’hépatite C, un état des lieux concernant les principales IST. Les faits marquants ces 10 dernières années en matière d’IST ont été successivement la réapparition de la syphilis dans les années 2000, puis l’émergence de la LGV courant 2003 et enfin la diffusion en quelques années des résistances du gonocoque aux fluoroquinolones.

1-La syphilis.

Il y a 10 ans, nous alertions les institutions et les professionnels de santé sur la résurgence de la syphilis. Où en sommes nous en 2010 ? Les chiffres publiés ne représentent que très imparfaitement la réalité puisque seuls quelques centres volontaires participent à la déclaration des cas de syphilis précoce à l’Invs.

Sur l’année 2008, avec le même nombre de centres déclarants, on observe une stabilisation voire un léger infléchissement des cas déclarés par rapport à 2007 avec environ 600 cas de syphilis précoces déclarées dans le réseau RésIST (1).

Quelle est la population concernée ? Si dans d’autres pays notamment d’Europe de l’Est, la syphilis diffuse largement de façon prépondérante dans la population hétérosexuelle, en France, l’épidémie actuelle cible les homo ou bisexuels masculins dont plus de 40 % sont des patients infectés par le VIH. Sur les 3 487 cas de syphilis précoce déclarés entre 2000 et 2008, les homo ou bisexuels masculins représentent 82 % des cas, les hétérosexuels masculins 13 % des cas et les femmes hétérosexuelles 5 % des cas déclarés. Cependant, si l’infection semble marginale chez les femmes en France, il n’en reste pas moins que le nombre de cas augmente progressivement depuis 2001 et qu’il faut surveiller plus particulièrement cette population du fait du risque de syphilis congénitale.

Dans une étude rétrospective (2), nous avons voulu décrire les caractéristiques des patients ayant une syphilis précoce diagnostiquée dans notre dispensaire antivénérien. Le pourcentage annuel de syphilis symptomatiques précoces dans notre cohorte de patients consultant au dispensaire antivénérien est passé de 0,15 % en 2000 à 0,46 % en 2001, puis est resté entre 0,62 % et 1,1 % entre 2002 et 2007. Les hommes représentaient plus de 95 % des cas observés et les homosexuels ou bisexuels représentaient 83 % de nos cas, soit un chiffre tout à fait comparable aux données de l’Invs sur l’ensemble des cas déclarés en France depuis 2000. Parmi les patients, 36 % étaient connus comme VIH positifs avant l’épisode de la syphilis et 14 % des patients apprenaient leur séropositivité au moment de l’épisode de la syphilis. Parmi les patients séropositifs pour le VIH, 53 % avaient une charge virale VIH indétectable et 56 % des patients étaient traités par des combinaisons antirétrovirales. Ces données reflètent assez bien les données concernant les patients déclarés pour une syphilis précoce sur le reste du territoire. Elles illustrent que la syphilis est réapparue au moment précis où les patients ont pu avoir accès aux combinaisons antirétrovirales, ce qui suggère que l’avènement des traitements efficaces contre le VIH s’est accompagné d’un relâchement dans la prévention des pratiques sexuelles à risque dans la population gay que les patients soient ou non infectés par le VIH (3).

2.Gonococcie.

Contrairement à la situation épidémiologique de la syphilis, il n’y a pas eu d’augmentation explosive des gonococcies. Cependant, si le nombre de cas déclarés dans le réseau RENAGO a diminué jusqu’en 1997, on observe, depuis 1999, une augmentation régulière du nombre de cas déclarés par laboratoire et ce plus particulièrement chez les hommes (1). Les données du réseau RésIST portant sur près de 900 cas de gonococcies déclarés entre 2004 et 2008 montrent, comme pour la syphilis, une sur-représentation des hommes homosexuels avec 65 % des cas déclarés, les hommes hétérosexuels représentant 28 % des cas et les femmes 7 % des cas déclarés (1). La proportion de patients infectés par le VIH est certes moindre, mais représente quand même 15 % des cas (1).

L’AFSSAPS a actualisé les recommandations thérapeutiques en octobre 2008 pour faire face à l’augmentation des résistances (4). L’histoire thérapeutique des gonococcies a été marquée par l’émergence Mondiale successive de résistances à la pénicilline G (1975), aux cyclines (1985) puis aux fluoroquinolones (1989). En France, la proportion de souches résistantes à la tétracycline a augmenté de 25 % en 2001-2003 à 44 % en 2004-2005 ; la proportion de souches résistantes à la ciprofloxacine a augmenté de 10 % en 2001-2003 à 43 % en 2006 (5). En 2007, les résistances à la spectinomycine et à la ceftriaxone restent exceptionnelles en Occident (6).

Environ 15 % des gonococcies sont associées à une infection à Chlamydia trachomatis : ce germe doit donc être systématiquement traité devant toute gonococcie.

Le traitement des urétrites, quelle que soit l’étiologie, est le même en présence et en l’absence d’infection VIH. En pratique, la ceftriaxone intramusculaire à la dose de 500 mg est recommandée pour traiter toute urétrite à gonocoque. Toute suspicion d’urétrite ou de cervicite doit être confirmée bactériologiquement avant traitement. Les pénicillines, les cyclines et les fluoroquinolones ne doivent pas être prescrites en 1re intention pour le traitement des urétrites et cervicites à N. gonorrhoeae.

3.Infections à Chlamydia trachomatis.

On distingue la lymphogranulomatose vénérienne (LGV) ou maladie de Nicolas Favre et les infections urogénitales. Les premiers cas de LGV ont été signalés en 2003 par les vénérologues hollandais. En France, la LGV a émergé pendant cette même année. Il est très difficile d’avoir les chiffres de l’incidence réelle de la LGV en France car le nombre de centres déclarants dans le réseau RésIST n’a cessé d’augmenter entre 2004 à 2008. Les chiffres semblent cependant relativement stables avec 170 cas déclarés dans le réseau pour l’année 2007 et 174 cas déclarés pour l’année 2008 (1). Cette épidémie ne concerne que les hommes homo ou bisexuels avec, là encore, une large proportion de patients infectés par le VIH. Les pratiques sexuelles associées à la survenue de la LGV sont considérées comme du « hard sex » et se rapprochent assez de celles observées chez des patients homosexuels ayant contracté le virus de l’hépatite C par voie sexuelle. La clinique est dominée par les tableaux d’anorectites subaiguës ou chroniques souvent non diagnostiquées ou diagnostiquées avec retard et au stade d’adénopathies fistulisées et de complications rectales. Le typage moléculaire retrouve systématiquement un génovar L2b. Il faut cependant noter que les prélèvements effectués sur des suspicions de LGV peuvent retrouver des génovars de chlamydia non-LGV dans une proportion non négligeable de cas et qui ne peuvent être classés en LGV car seuls les types L1 à L3 sont considérés comme associés à la LGV (7). Le traitement de la LGV fait appel à la doxycycline, 200 mg par jour pendant au moins 21 jours.

Les génovars D à K de Chlamydia trachomatis sont responsables d’infections urogénitales chez l’homme et la femme. Chez l’homme, Chlamydia trachomatis est la principale cause identifiée d’urétrite non gonococcique (UNG) représentant 20 à 30 % des cas d’UNG selon les études. Chez la femme, Chlamydia trachomatis est responsable de vulvo-vagino-cervicites et de salpingites, mais ce qui pose problème aussi bien chez l’homme que chez la femme c’est la possibilité d’un portage asymptomatique de Chlamydia trachomatis dans plus de 50 % des cas d’infection et les risques de complication à distance chez les jeunes femmes (stérilité tubaire, grossesse extra-utérine, douleurs pelviennes chroniques…).

De 2003 à 2006, l’augmentation du nombre d’hommes testés a été de 33 % et celle du nombre de cas diagnostiqués de 55 %. Chez la femme, le nombre de diagnostics positifs a augmenté plus fortement (+ 62 %) que le nombre de femmes testées (+12 %), ce qui se traduit par une augmentation du taux de positivité de plus de 30 % (8). Les études menées dans les années 2000 en France ont montré que la classe d’âge la plus fréquemment touchée chez les femmes était la classe d’âge 15-19 ans, que ce soit chez les femmes prélevées dans le cadre d’une consultation chez des gynécologues privés (avec 6 % de positivité), hospitaliers (avec 6 % de positivité) ou dans une maternité (8,7 %). Les taux les plus élevés étaient observés chez les jeunes filles appartenant à cette tranche d’âge dans les dispensaires antivénériens (12,8 % de positivité) ou les centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) (10 % de positivité). Les recommandations nationales en termes de dépistage incitent à un dépistage large et systématique chez les jeunes femmes de moins de 25 ans. Dans notre CIDDIST, la prévalence pour l’année 2009 chez les jeunes femmes de moins de 25 ans consultant à la CDAG et auxquelles nous avons systématiquement proposé un dépistage par auto-prélèvement vulvo-vaginal est de 6 %, ce qui justifie parfaitement ce dépistage systématique. Le réseau RENACHLA montre cependant que dans le cadre de l’activité médicale de ville (gynécologues et médecins généralistes) les demandes de recherche de Chlamydia trachomatis sont essentiellement proposées à visée diagnostique (dans 60 à 65 % des cas) et non dans le cadre d’un dépistage.

(*)Service de Dermatologie et de Vénéréologie et CIDDIST, Pavillon Tarnier, Hôpital Cochin ; et section MST/sida de la Société Française de Dermatologie.

Références

(1) Gallay A, et coll. L’épidémiologie des infections sexuellement transmissibles bactériennes en France en 2009. Congrès de la RICAI, Paris, Palais des Congrès le 4 Décembre 2009.

(2) Farhi D, et coll. The epidemiological and clinical presentation of syphilis in a venereal disease centre in Paris, France. A cohort study of 284 consecutive cases over the period 2000-2007. Eur J Dermatol Sous Presse 2009.

(3) Farhi D, et coll. Medicine 2009;88:331-340.

(4) Afssaps. Mise au point. Traitement antibiotique probabiliste des urétrites et cervicites non compliquées. Actualisation - Octobre 2008. Dernier accès le 25/07/2009 sur : http://www.afssaps.fr/Infos-de-securite/Mises-au-point/Traitement-antib… (language)/fre-FR.

(5) Gallay A, et coll. Les infections à Neisseria gonorrhoeae en France en 2006 : progression importante chez les femmes et augmentation persistante des résistances à la ciprofloxacine. Dernier accès le 27/07/2009 sur : http://www.invs.sante.fr/beh/2008/05_06/beh_05_06_2008.pdf. Bull Epidemiol Hebdo. 2008;5-6; 33-36.

(6) Farhi D, et coll. Acta Derma Venereol 2009;89:484-487.

(7) Savage EJ et coll. Lymphogranuloma venereum in Europe, 2003-2008. Euro Surveill 2010;14.pii:19428

(8) Goulet V, Laurent E, et les biologists du réseau Rénachla. Augmentaton des diagnostics d’infections à Chlamydia trachomatis en France : analyse des données Rénachla de 2003 à 2006. BEH 2008 ;5/6 :42-46.

Le Quotidien du Mdecin

Source : Bilan spécialistes