Diabète du sujet âgé

Des objectifs adaptés

Publié le 04/02/2016
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Ne pas être trop ambitieux… Ni trop laxiste

Ne pas être trop ambitieux… Ni trop laxiste
Crédit photo : PHANIE

Le nombre de diabétiques âgés augmente du fait de la majoration de la prévalence de la maladie dans la population des seniors (les diabétiques vieillissent avec leur maladie) mais aussi de l’incidence de cette affection (des patients vont devenir diabétiques alors qu’ils sont âgés). Ainsi, parmi les diabétiques de plus de 80 ans, le diagnostic a été porté chez 15 % d’entre eux depuis moins de 5 ans. Le diabète de type 2 prédomine largement chez les sujets âgés et on estime en France qu’un quart des diabétiques de type 2 a plus de 75 ans (1).

Dans cette population, les complications classiques du diabète vont s’associer à celles liées à l’âge, touchant les fonctions cognitives, visuelles, rénales, locomotrices… ce qui aura pour conséquence de compromettre la capacité du patient à se prendre en charge de façon autonome et efficace mais également qui limitera l’utilisation de certains traitements. Si certaines complications sont faciles à appréhender, comme par exemple l’altération de la fonction rénale, d’autres restent souvent méconnues ou sous-estimées : troubles cognitifs, la dépression, état nutritionnel, sarcopénie. L’intervention d’un gériatre constitue donc une aide précieuse pour préciser l’état de santé de ces patients grâce à la réalisation d’une évaluation gériatrique standardisée (2).

La Haute Autorité de santé (HAS) [3] distingue trois catégories de patients âgés : les « vigoureux », dont l’espérance de vie est satisfaisante et assimilable à des sujets plus jeunes, contrairement aux « malades » qui sont en mauvais état de santé, polypathologiques, dépendants et isolés. Entre les deux, les sujets « fragiles », qui peuvent basculer dans la catégorie des « malades ». L’objectif d’HbA1c doit être d’autant moins ambitieux que l’état du diabétique âgé est plus précaire : ≤ 7 % chez les patients « vigoureux », ≤ 8 % chez les sujets « fragiles » et ≤ 9 % chez les « malades ». Les recommandations françaises mais aussi américaines et européennes (4) insistent également sur l’évaluation du risque hypoglycémique.

Prise en charge

Les moyens de la prise en charge de ces patients sont, comme chez les sujets plus jeunes, à la fois médicamenteux et non médicamenteux. L’intervention sur le mode de vie ne doit pas être négligée sous prétexte que le patient est âgé. La pratique d’une activité physique adaptée, même modeste, est un élément important pour l’équilibre glycémique mais également pour le maintien de l’autonomie et de la qualité de vie. L’alimentation doit rester équilibrée et variée, pour prévenir l’apparition ou prendre en charge une dénutrition. La prise en compte de l’état dentaire de ces patients ne doit pas être négligée, puisque cela va conditionner la qualité de la nutrition.

Pour la HAS (3), même chez le sujet âgé, la metformine reste la molécule de première intention. Ses contre-indications, l’insuffisance rénale sévère et toutes les situations d’hypoxie tissulaire doivent être connues et respectées. La posologie habituelle est utilisée lorsque la clairance de la créatinine se situe au-dessus de 60 ml/min et doit être diminuée de moitié pour une clairance entre 30 et 60 ml/min. L’évaluation rétrospective du registre REACH a permis de mettre en évidence une réduction significative de 23 % de mortalité chez les patients diabétiques âgés de 65 à 80 ans qui étaient traités par metformine versus ceux qui ne l’étaient pas (4).

En cas d’intolérance, il est recommandé de recourir aux sulfamides hypoglycémiants, dont l’utilisation doit être conditionnée à la fonction rénale du patient. Ils sont en effet contre-indiqués lorsque le débit de filtration glomérulaire ‹ 40-50 ml/min. Cette classe médicamenteuse peut exposer les patients au risque d’hypoglycémie notamment en fin d’après-midi. Une instauration prudente à posologie croissante et une surveillance de la glycémie capillaire sont donc nécessaires.

En échec de monothérapie, le passage à une bithérapie en associant un sulfamide à la metformine doit être envisagé. L’association metformine-inhibiteur des DPP4 (iDPP4) doit être utilisée en cas de contre-indication aux sulfamides ou de risque hypoglycémique chez des sujets fragiles ou à fort risque cardiovasculaire.

Ainsi, les iDPP4 ou gliptines sont faciles d’emploi, bien tolérés, n’exposent pas le patient au risque d’hypoglycémie et sont bien adaptés au patient âgé et fragile. Il existe d’ailleurs des associations fixes metformine-iDPP4. Les iDPP4 apparaissent dans la prise de position ADA-EASD (5) et dans les recommandations du groupe de travail européen du diabète de type 2 de la personne âgée fragile (6) dès l’échec de metformine.

Le repaglinide (novonorm) et les analogues du récepteur du GLP1 ne sont pas recommandés chez le sujet âgé en raison d’une expérience clinique limitée au-delà de 75 ans. Les inhibiteurs des alphaglucosidases sont efficaces sur la glycémie postprandiale et n’entraînent pas d’hypoglycémie, mais ils ne sont pas cités par la HAS pour la prise en charge du sujet âgé peut-être en raison des troubles digestifs fréquents qu’ils induisent.

L’insulinothérapie doit être engagée en cas de contre-indication transitoire ou définitive aux antidiabétiques oraux, de situation aiguë entraînant un déséquilibre du diabète comme une intervention chirurgicale, une infection, l’instauration d’une corticothérapie ou l’apparition de signes d’insulinopénie comme une perte de poids spontannée. La HAS préconise de débuter par l’utilisation d’une injection d’insuline NPH mais celle-ci ne couvre pas le nycthémère et peut majorer le risque hypoglycémique en raison du pic d’activité maximale vers la 4e heure. Aussi, en cas de risque hypoglycémique, le recours aux analogues lents de l’insuline doit être envisagé. L’insulinothérapie comporte le plus souvent une seule injection réalisée selon un horaire qui dépendra du profil glycémique du patient et de son autonomie. Ainsi, l’injection est plus souvent réalisée le matin chez les patients les plus fragiles pour éviter les hypoglycémies de nuit, et pour des raisons pratiques si le recours à un infirmier est nécessaire.

Lorsqu’une seule injection d’insuline s’avère insuffisante, tous les schémas d’insulinothérapie peuvent être envisagés, en association ou non aux antidiabétiques oraux. La stratégie doit être guidée par le degré d’autonomie, l’âge physiologique, l’espérance de vie, l’objectif glycémique et le risque d’hypoglycémie. Le traitement doit également être régulièrement réévalué ainsi que les objectifs glycémiques si l’état de santé du patient se modifie.

À retenir

Les objectifs ne doivent pas être trop ambitieux pour ne pas exposer le patient aux hypoglycémies qui altèrent la qualité de vie, augmentent la morbimortalité, et lorsqu’elles sont sévères, aggravent le risque de démence. Cependant les objectifs ne doivent pas non plus être trop laxistes pour ne pas exposer le patient aux décompensations hyperosmolaires qui ne sont pas si rares et qui restent d’une grande gravité, puisqu’elles entraînent le décès du patient dans près d’un tiers des cas. L’éducation du patient diabétique est naturellement indispensable mais reste parfois difficile notamment en cas d’altération des fonctions cognitives. Le recours aux aidants ou aux proches est fréquemment indispensable pour prendre en charge le patient et assurer sa sécurité (7).

Endocrinologue et diabétologue, hôpital d’instruction des Armées Bégin, (Saint-Mandé)

(1) BEH n° 42-43 du 9 novembre 2010

(2) Doucet J et al. Diabetes Metab. 2012 ; 38 : 471-575

(3) HAS, Ansm. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Recommandation de bonne pratique. Janvier 2013

(4) Roussel R et al. Arch Intern Med. 2010;170:1892-9

(5) Inzucchi SE et al. Diabetes Care. 2015;38:140-9

(6) Sinclair AJ et al. Diabetes and Metabolism. 2011;37,S27-S38

(7) Bauduceau B et al. Médecine des maladies métaboliques. 2008;2;hors série 1

Pr Lyse Bordier

Source : Bilan spécialiste