AVEC UNE incidence littéralement explosive, le diabète, et donc ses complications, est en passe de devenir un problème de santé publique de premier plan pour le monde développé. Au cours de cette maladie métabolique de plus en plus répandue ,une localisation de complication concentre à elle seule une énorme charge de handicap, de morbidité, d’accaparement des ressources sanitaires, voire finalement parfois même de mortalité dans des conditions indignes : le pied…
Une prévention résolue à l’encontre du pied diabétique, a fait la preuve, dans de nombreux pays du monde, de son intérêt : ce fardeau de souffrance, individuelle, et pour l’entourage du patient, pourrait être amoindri au prix d’une stratégie hautement organisée de prise en charge. La mise en uvre d’une telle stratégie passe par une coordination de soins spécialisés multidisciplinaires impliquant le médecin généraliste, l’endocrinologue, le neurologue, le chirurgien vasculaire, le chirurgien général, le chirurgien orthopédiste et de nombreux autres soignants : infirmiers, podologue, appareilleur prothétique… C’est dans l’intégration harmonieuse de cette pluridisciplinarité que notre système de santé pêche alors qu’il devrait exceller, compte tenu des compétences disponibles, une prise en charge optimisée de la problématique redoutable posée par le polymorphisme pathologique du pied du diabétique est certainement réalisable.
Des donnes épidémiologiques… vertigineuses.
Le diabète est le désordre métabolique le plus répandu dans la population et son incidence est en constante augmentation, attisée par celle du diabète de type 2. Pouvant affecter jusqu’à 5 % de la population et sachant que chaque malade identifié dissimule un patient non diagnostiqué, il est estimé que plus de trois millions de personnes sont atteintes de diabète en France. Cette maladie redoutée à juste titre pour ses complications a fait l’objet dans le groupe des sujets touchés, d’une prise de conscience de l’importance d’une mobilisation constante, à longueur de vie, contre ces complications. Pourtant, si par ordre de fréquence, les deux premières complications (ophtalmologique, rénale) font l’objet d’un dépistage et d’un suivi honorables, la troisième d’entre elle, le pied fait plutôt office de parent pauvre du groupe. Pourtant, les enjeux d’un pied fonctionnel (et à travers lui d’une fonction de membre inférieur) sont cruciaux : en effet un diabétique dans l’impossibilité de marcher est un diabétique en perte de contrôle de sa maladie, toujours aggravée par la sédentarité. Rien qu’à ce titre, le pied représente un « organe » probablement aussi précieux qu’un il ou un rein, bien que cette importance ne soit pas toujours perçue à sa juste valeur. Plus encore, l’atteinte du pied peut être annonciatrice à terme d’une nécessité d’amputation majeure (sous le genou ou au-dessus du genou). C’est pourquoi de nombreuses autorités de santé publique à travers le monde ont mis en place des programmes de suivi thérapeutique multidisciplinaires exemplaires destinés à amoindrir l’impact sur l’ensemble de la population de ces pertes de membres par amputation de nécessité ou de désespoir.
Des acteurs pathologiques intriqués.
Le pied est l’interface de locomotion autonome de l’individu bipède et, comme toute interface, il s’agit d’une région fragile et vulnérable car exposée aux agressions et contraintes d’un environnement, plus ou moins hostile, dans lequel il est amené à évoluer. Un peu comme pour la navigabilité d’un aéronef tributaire de l’intégrité sophistiquée d’innombrables composants mécaniques, structuraux, électroniques ou autres, la vitalité fonctionnelle du pied est elle-même tributaire de très nombreux constituants anatomiques : architecture à la fois statique et dynamique de cette extrémité, réseau vasculaire en assurant la trophicité, distribution nerveuse, enveloppe extérieure de parties molles et cutanées…
Comme dans la comparaison avec l’aéronef, le dérèglement ou l’altération structurale d’un composant de façon isolée ou intriquée peut conduire à des dégâts redoutables car propagés, que le soignant doit être capable de détecter (et/ou de situer) malgré une expression lésionnelle finale déroutante (souvent rendue confuse par la multitude des acteurs impliqués).
Les protagonistes d’une catastrophe annoncée.
Comme précédemment évoqué lorsqu’un pied de diabétique devient le lieu de développement de processus lésionnels circonscrits (ulcères ou maux perforants plantaires, gangrènes prémonitoires d’amputations d’orteils…) ou plus diffus il importe d’identifier les coupables. Une « trilogie dévastatrice » (vasculopathie, neuropathie, infection), selon une formule toujours variable de répartition, sert de socle à cette évolution péjorative, amplifiée de manière également variable par des troubles architecturaux soit résultant de ces processus pathologiques, soit pré-existants à ces derniers.
La première démarche diagnostique consiste donc à recenser ces intervenants à des degrés divers dans les dégâts observés.
- La neuropathie périphérique quasi-constante (bien que non obligatoirement détectable) du désordre métabolique, peut revêtir une modalité révélatrice, dominante ou non : sensitive (superficielle ou profonde), motrice ou végétative. Les altérations sensitives sont particulièrement déterminantes pour la progression des processus destructeurs tissulaires :
la protection de la peau, reste étroitement dépendante de la qualité de la sensibilité superficielle ; celle de l’agencement articulaire (des quelque vingt-six os de base qui constituent le squelette du pied) demeure soumise à la qualité de la sensibilité profonde (vibratoire ou proprioceptive) donnant lieu, dans son expression la plus achevée, en cas de perturbation, aux arthropathies de type Charcot. Les altérations motrices, influant directement sur la musculature intrinsèque portent en elles la capacité de désorganiser l’ensemble structuro-architectural, si critique pour perpétuer la mission fonctionnelle qui est assignée au pied. Enfin, les altérations végétatives sont particulièrement importantes dans la moindre adaptabilité du pied diabétique à un environnement changeant : degré de sudation, thermo-régulation des zones cutanées… Toutes ces perturbations neurologiques, même prises individuellement, peuvent à elles seules constituer les germes initiateurs d’une pathologie lésionnelle particulière, elle-même susceptible, de façon désastreuse, de s’autonomiser et de s’amplifier pour son propre compte (phlyctène, durillon hyperkératosique, mal perforant constitué…).
- La vasculopathie regroupe plusieurs modalités d’expression isolées ou intriquées : l’artériopathie, de distribution variable, est responsable de manifestations ischémiques plus ou moins sévères ; la macroangiopathie qu’elle qu’en puisse être la physionomie (…la mieux connue étant la médiacalcose…) et la microangiopathie contribuent à des degrés divers à l’aggravation de ces phénomènes ischémiques tissulaires au point d’aboutir à des nécroses plus ou moins extensives. De tels phénomènes chroniques ou décompensés sur un mode aigu sont inévitablement aggravés par la survenue d’une infection surajoutée.
- La « vulnéropathie structurale » : sous ce néologisme il importe de rassembler toutes sortes d’anomalies de la mécanique ou de la biomécanique d’utilisation fonctionnelle du pied qui vont le conduire à des lésions organiques évoluant pour leur propre compte. Il s’agit de zones d’hyperpression d’appui directes ou de zones d’hyperpression indirectes c’est-à-dire « échappatoires » cherchant à soulager les précédentes ou encore de régions sommets de déformations squelettiques… ; dans tous ces cas de figure, une altération de la distribution spatiale de la structure d’adaptabilité du pied à sa fonction, se fait jour et des phénomènes plus ou moins localisés de surmenage (ou de conflit) mécanique se produisent. Les tissus, en particulier les parties molles, résistent plus ou moins longtemps à ces nouvelles contraintes, mais finissent bien souvent par se détériorer sous leur effet persistant. Au niveau de la peau plantaire la première réaction de défense consiste en l’apparition de zones hyperkératosiques. Lorsqu’un tel stade est dépassé, des ulcérations apparaissent réalisant dans la région plantaire le tableau des maux perforants.
Une succession de dégradations en chaîne.
Certes, au sein de cette « vulnéropathie structurale » vont intervenir tout autant des caractéristiques individuelles propres au pied de chaque patient (altérations morphologiques architecturales classiques de pied creux, d’hallux valgus, altérations adaptatives de type rétractions, de moindre résistance à l’usage fonctionnel…), des caractéristiques d’environnement de fonction de ce pied (chaussage standard plus ou moins adapté, charge imposée volontiers excessive du fait de l’obésité fréquente…), des caractéristiques individuelles d’usage de ce pied (préférences de marche chaussé ou nu pied, niveau de perception des exigences d’hygiène…), des caractéristiques individuelles d’historique évolutif médico-chirurgical (antécédents de « retouches » par amputations chirurgicales, du capital squelettique de ce pied avec des morphotypes résiduels variés…). Au total chaque pied évalué pour chaque patient constitue une individualité unique à la fois pour ce qui est des constations cliniques effectuées que pour situer cet instantané dans le parcours évolutif au long cours de cette pathologie. Si une altération quelconque est notée, il convient d’en analyser la genèse d’apparition et de tenter de prévoir les répercussions qu’elle ne manquera pas de produire en l’absence d’une stratégie thérapeutique appropriée.
Cerner le profil de risque encouru.
En confrontant l’analyse de ces innombrables paramètres dans une perspective évolutive propre à chaque patient et fondée sur de multiples facteurs prédictifs, il devient possible pour le chirurgien orthopédiste ou le groupe des soignants concernés d’établir le profil individuel de risque couru pour chaque patient à un stade donné de sa maladie.
Cinq catégories de risque graduellement croissant ont été définies consensuellement par le groupe international de travail dédié au pied diabétique. Plus le risque devient élevé, plus il impose une stratégie active élaborée de « maintenance » préventive. Un peu comme un aéronef qui conserverait son carnet d’entretien, il paraît logique comme cela est d’ailleurs déjà fait dans certains pays d’Europe (Belgique en particulier…) d’établir, à partir d’un certain grade avancé de risque, un « carnet de santé » ou un « passeport » ou un « dossier personnalisé » (diabète-médecin-pied) permettant à tout soignant d’intégrer le soin effectué, à un stade donné, au sein d’une coordination préventive optimisée.
Un traitement ajuste sur mesure.
Chaque situation pathologique individuelle à un instant donné impose un traitement adapté.
La toute première approche thérapeutique est préventive, fondée sur l’éducation constante (qui devrait d’ailleurs faire l’objet de campagnes nationales) et sur le suivi médical pluridisciplinaire individualisé. À un degré de plus, certaines interventions restauratrices vasculaires peuvent être justifiées, également à titre préventif, d’une décompensation d’une insuffisance vasculaire de plus en plus avancée. Ces interventions, soit classiques, soit de reperméabilisation, réclameront d’être très soigneusement pesées dans leurs indications : le rapport risque/bénéfice attendu de ces revascularisations est souvent très délicat à préciser, en raison du terrain à haut risque de complications.
Le tournant des ulcères impose une montée en puissance de l’arsenal de soins dispensés au diabétique. Comme pour toute plaie, l’objectif demeure double : détersion et cicatrisation. La réalisation pratique de ces objectifs est, dans ce cas précis, parasitée par l’exigence fonctionnelle du pied, qui est par essence la fonction d’appui. La mise en décharge, par toutes sortes d’artifices, fait donc partie intégrante du traitement : alitement de nécessité, chaussures à appui déporté, plâtres de distribution d’appui à distance des zones cutanées compromises, bottes rigides amovibles… Une fois résolue la problématique de la décharge, la prise en charge plus ou moins classique des plaies, sous supervision chirurgicale, reprend ses droits avec une physionomie un peu particulière dans le cas du diabète : détersion à la fois plus méticuleuse et moins agressive, recouvrement plus exigeant dans sa personnalisation, avec parfois recours à des adjuvants d’intérêt débattu (oxygène hyperbare).
De la supervision chirurgicale en salle de pansement à la salle d’opération proprement dite il n’y a souvent qu’un pas à franchir lorsque le processus cicatriciel est confronté à un obstacle quasi-insurmontable en l’absence d’une « retouche » squelettique (chirurgie « minimaliste » si tant est qu’elle soit justifiée, d’amélioration des appuis).
L’escalade chirurgicale de nécessité franchit un cap supplémentaire lorsque le processus infectieux initié par les maux perforants s’est propagé aux structures ostéo-articulaires et que se profile le spectre des amputations. Ces dernières doivent être soigneusement planifiées afin de concilier un double objectif en apparence contradictoire : être suffisamment radicale pour obtenir une cicatrisation dans les meilleurs délais (élimination à la fois de la totalité des tissus nécrotiques et de la totalité des zones infectées) – et être suffisamment économique pour conserver des régions d’appui durablement utilisables dans le moignon conservé.
De telles amputations se déclinent avec leurs règles spécifiques à tous les niveaux envisageables : orteils, métatarsiens, médio- et arrière-pied…
Certaines situations particulières appellent à des stratégies chirurgicales encore moins standardisées : le pied aigu, à composante infectieuse sévère prédominante réclamant simultanément une éradication de l’infection, au besoin empirique, et une reprise en main du contrôle diabétique métabolique souvent chancelant ; le pied de Charcot qui constitue une entité nosologique beaucoup mieux démembrée et susceptible de justifier, à son stade séquellaire, des reconstructions chirurgicales orthopédiques prudentes dans leurs indications et réglées dans leur réalisation.
D’après la conférence du Pr Jean-Luc Besse, CHU, Lyon sud.
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