Cancer du pancréas

L'autogreffe d'îlots, une piste contre le diabète après pancréatectomie totale

Par
Publié le 21/10/2022
Article réservé aux abonnés
Dans le cancer de la tête du pancréas, une pancréatectomie totale est parfois nécessaire mais entraîne la survenue d'un diabète sévère. Le recours à la greffe d'îlots de Langerhans pourrait permettre de contourner ce problème. Un essai multicentrique visant à évaluer cette approche, promu par le CHU de Lille, est en cours.
La pancréatectomie totale entraîne invariablement un diabète insulinodépendant difficile à équilibrer

La pancréatectomie totale entraîne invariablement un diabète insulinodépendant difficile à équilibrer
Crédit photo : DU CANE MEDICAL IMAGING LTD/SPL/PHANIE

Chez certains patients atteints d'un cancer de la tête du pancréas, la pancréatectomie totale peut être nécessaire, mais elle entraîne de facto un diabète, car c’est le pancréas qui régule le taux de sucre dans le sang via l'insuline. L'autotransplantation d'îlots de Langerhans, en complément de cette opération, pourrait permettre de contourner ce problème.

L'étude multicentrique TPIAT-01, lancée et dirigée par le Pr François Pattou, chef du service de chirurgie générale et endocrinienne au CHU de Lille et pionnier de l'autotransplantation d'îlots en France, a été lancée cette année pour évaluer le bénéfice de cette piste innovante. L'Institut Paoli-Calmettes (IPC) de Marseille et sept autres centres français y participent également.

« Cette approche est utilisée dans la pancréatite chronique mais reste à évaluer dans le cancer », souligne le Dr Jonathan Garnier du service de chirurgie oncologique digestive de l’IPC.

Au total, 36 patients devraient être inclus sur deux ans. Il s'agit de patients atteints d'un cancer de la tête du pancréas - adénocarcinome du pancréas, adénocarcinome du duodénum, adénocarcinome ampullaire, cholangiocarcinome ou tumeur intracanalaire papillaire et mucineuse du pancréas dégénérée -, à haut risque de complications postopératoires. « À l'IPC, nous avons ouvert l'étude en mai et nous allons inclure le premier patient à l'automne. Le CHU de Lille a déjà traité deux patients avec succès cette année », indique le Dr Garnier.

Des facteurs de risque bien identifiés

Le traitement curatif des cancers de la tête du pancréas repose sur l'association de la chirurgie (résection de la partie malade du pancréas) et de la chimiothérapie adjuvante (Folfirinox pendant six mois). « Il s'agit d'une chimiothérapie difficile à supporter, qui nécessite que les patients soient en bonne condition physique », précise le chirurgien. Or, dans certains cas, la chirurgie entraîne des complications sévères qui fragilisent le patient et retardent, voire empêchent, la délivrance de la chimiothérapie.

En effet, la chirurgie d'une tumeur localisée dans la tête du pancréas se déroule en deux parties : « Tout d'abord, l'opération consiste à enlever une partie de l’estomac, le duodénum, la tête du pancréas, la voie biliaire et les ganglions adjacents, puis s’ensuit une phase de reconstruction pour créer un nouveau circuit digestif, et c'est cette reconstruction qui est à risque de complications postopératoires », explique le Dr Garnier.

En pratique, « on prend l'intestin grêle et on le branche successivement sur le pancréas, la voie biliaire et l'estomac », poursuit-il. Et ce sont ces raccords entre les différentes structures du tube digestif qui peuvent entraîner des complications en raison d'une mauvaise cicatrisation notamment. « Le pancréas sécrète un suc qui sert à digérer les aliments et qui est donc extrêmement corrosif. Ce suc est un ennemi de la cicatrisation, car il peut malheureusement "grignoter" ce raccord, entraînant une fuite (fistule) avec de graves conséquences », explicite le Dr Garnier. Quatre facteurs de risque de fistule sur le raccord avec le pancréas ont été bien identifiés : l'obésité, le fait d'être un homme, une consistance normale du pancréas (molle) et un petit diamètre du canal pancréatique (dit de Wirsung).

« La fistule pancréatique, qui n’est pas rare, peut être responsable d'une septicémie et/ou d'une hémorragie, qui affaiblit les patients, voire entraîne leur décès », note le chirurgien, précisant que la mortalité est de 3 à 6 % dans les 90 jours postopératoires.

Après des suites opératoires compliquées, les patients ne sont donc plus en mesure de recevoir ou de supporter la chimiothérapie. « C'est pourquoi la stratégie communément pratiquée pour les patients à haut risque de fistule pancréatique consiste à retirer tout le pancréas, y compris la partie non malade, afin de s'affranchir de ce risque lié au raccord avec le pancréas, explicite le Dr Garnier. Néanmoins, la pancréatectomie totale entraîne invariablement un diabète insulinodépendant difficile à équilibrer, avec une altération de la qualité de vie et des risques pour la santé au long cours. »

Un triple bénéfice attendu

Et c'est donc pour prévenir la survenue d'un diabète que l'équipe de Lille propose de récupérer les îlots de Langerhans dans la partie non cancéreuse du pancréas afin de les greffer au patient. Le CHU de Lille dispose de l'expertise spécifique pour extraire les îlots. L’équipe de la biologiste Julie Kerr-Conte va récupérer la partie saine du pancréas afin d'isoler et de purifier les îlots de Langerhans, pour ensuite les renvoyer aux différents centres en charge des patients. En pratique, « les îlots sont réinjectés au patient 48 heures plus tard par perfusion via un cathéter spécial (sans nouvelle anesthésie générale), et vont se greffer dans le foie. Le foie va alors jouer le rôle de chimère, en assurant les fonctions pancréatiques et hépatiques », détaille le Dr Mikael Chetboun, chirurgien lillois qui coordonne la logistique complexe de cette étude multicentrique.

Un triple bénéfice de cette approche est attendu : une réduction du risque de complications postopératoires, l'absence de diabète et un accès à la chimiothérapie plus rapide.

« Une première analyse portant sur les 14 premiers patients va être réalisée pour évaluer la pertinence de cette approche », avance le Pr Pattou. Le critère principal sera atteint si les patients sont allés au bout de la chimiothérapie adjuvante, et les critères secondaires portent notamment sur la survenue d'un diabète, le succès de la greffe, la survie sans récidive et le décès postopératoire. « Le taux attendu de survie des îlots transplantés est d’environ 80 % à trois ans », précise le chirurgien.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin