Le diab… ète est dans les détails

Publié le 15/10/2009
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Ça se passe sur une plage interminable, l’une de celles où nous avons l’habitude de nous baigner. C’est la fin de l’après-midi, le sable est encore bouillant mais le soleil commence déjà à se coucher. La température est idéale pour parcourir la plage. Ce n’était pas l’idée initiale, on était juste passé pour tester l’eau, mais on se laisse aller à l’envie et un pied devant l’autre nous mène loin de nos affaires, abandonnées sur le sol dès notre arrivée. Ambiance yeux dans les yeux, reflet de l’océan dans tes cheveux, on est bien, on se raconte des blagues et on continue de marcher, de marcher. Seulement voilà, je commence à ressentir ce petit truc dans les bras qui me fait penser que peut-être… Alors la bobine se vrille, on arrête le film. Il faut revenir sur nos pas et plus vite que ça. Mon impression se confirme, je suis en hypoglycémie. Je n’ai pas mon glucomètre pour vérifier, et j’ai encore moins le jus de fruits salvateur. Panique. Pas la trace de sucre à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Distance minime mais considérable lorsqu’il s’agit de se resucrer, besoin qui doit être satisfait avant tout de suite. Au début, je marche moi aussi et puis au bout d’un moment j’abandonne, ma tête tourne. Mon sauveur doit donc courir, trouver le sac, le sucre et revenir, essoufflé, me trouvant allongée sur le sable. Je le vois même passer devant moi, je dois trouver la force pour crier son nom. Enfin je bois le jus et je pleure en même temps. Trop triste. J’ai la sensation d’avoir tout gâché. Comme d’habitude. Lui, il rigole, tout va bien maintenant, il dit qu’il n’a pas piqué de cent mètres comme ça depuis un sacré bout de longtemps… Et puis il dit très sérieusement que l’on ne nous y reprendra plus. Je sais que c’est faux. Il m’est arrivé un accident similaire un mois plus tard, dans une belle forêt cette fois.

Pénible fil à la patte.

Mon inconscience me terrifie. Comment puis-je encore me laisser surprendre par une hypoglycémie ou plutôt comment puis-je me lancer dans une balade imprévue (ça arrive aussi avec les balades prévues) sans prendre mes précautions ? Je me donnerais des claques.

Douze ans de « métier ». Je ne suis plus une bleue. Et pourtant… Je me laisse presque toujours émouvoir par « l’hypo », surtout celle qui vient gâcher un moment agréable. Je me rends compte que je la vis encore comme un échec, comme si le diabète était un examen à passer. C’est grotesque. J’assume. Je n’assume pas. Je ne sais pas bien.

Le dire ou pas ? La question se pose souvent mais je ne l’ai pas résolue. Ne pas le dire, c’est prendre le risque de se trouver dans une situation délicate (l’hypo, toujours), paniquante pour la personne en face de moi, qui aurait besoin d’explications que je ne suis justement pas en mesure de lui donner, occupée à surmonter l’état de siège en moi. Même ma mère (très nourricière), pourtant rompue à l’exercice, ne peut s’empêcher de poser mille questions sur mon état et se mettre en cause accessoirement. Moi, je ne suis capable de rien d’autre que de laisser le sucre circuler là où il doit aller. Même la télé allumée me dérange. Dire mon diabète, c’est contrarier ma pudeur en partageant un bout de mon intimité avec une personne qui ne l’est pas forcément (intime).

Je n’ose pas jouer la carte diabétique pour couper la file de la cantine alors que je sens que je peux passer en hypo. Et j’ai honte quand elle m’empêche d’être avenante au moment de dire bonjour à quelqu’un.

Mon diabète est donc un rappel à l’ordre permanent, un trouble-fête. En fait, je ne suis jamais autre que diabétique puisque je suis diabétique dans tous mes gestes. Il se rappelle à mon bon souvenir à la fin d’un repas, quand l’injection est impérative puisqu’il faut se piquer le plus rapidement possible après avoir ingéré du sucre, et que je dois brusquement interrompre la discussion. Il est là dans toutes ces hypoglycémies qui surviennent à tous les instants. Elles gâchent les bons et aggravent les mauvais. Chaque fois que mes parents me rendent visite, les bras chargés et qu’il faut les aider à grimper mes six étages, l’hypo arrive généralement. (Comme par hasard je mange beaucoup moins quand je vois mes parents, je fais donc plus d’hypoglycémies. Mes parents sont des gens hypoglycémiants). Difficile de leur demander de patienter dix minutes en bas, le temps que je récupère.

Un chiffre peut en cacher un autre.

1.43 (g/l). Chiffre honorable pour une glycémie de diabétique en fin de matinée. Mais ce chiffre, pour être utile, doit passer à la moulinette de l’analyse contextuelle (si si). Car le même résultat prendra une valeur, donc des effets différents, selon qu’il est mesuré en fin de cycle de l’insuline, avant ou après un effort physique, après ou longtemps après un repas. Un 2,50 peut vite descendre à 1,85, lui-même annonciateur éventuel d’un 0,71. Le beau 1,43 pourra donc s’avérer inquiétant si sa mesure est prise au moment où j’entreprends de sortir faire des courses (descendre et remonter les fameux six étages). Ainsi des actes anodins deviennent lourds de conséquences. Et c’est toute la complexité du diabète ; prendre des microdécisions à longueur de journée : Me piquer ou pas ? Me sucrer ou pas ? Je suis à 1 g (chiffre royal), je rentre dans une salle de cinéma, dois-je avaler mon jus par prévention au risque de faire grimper ma glycémie ou bien serrer les dents en espérant de ne pas avoir à imposer à mes voisins le sluuurps de la brique de jus de fruits en plein film (avec doigt piqué pour la mesure glycémique au pif dans le noir) ? C’est bien de mener une vie qui n’est pas réglée comme une boîte à musique, c’est bien de jouir de cette liberté qu’offre l’insulinothérapie fonctionnelle mais c’est au prix de jouer au diabétologue. En plus de mon travail « officiel », c’est assez fatigant. D’ailleurs j’ai pris un sacré coup de vieux quand je suis tombée malade.

Alors la valse des piqûres, je la danse sans problème : Et une d’insuline lente le matin ! Et une autre le soir ! Et un flash à chaque fois que je mange. Ca nous fait donc cinq injections au moins chaque jour. C’est ce qui épate la galerie mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. La difficulté du diabète est dans son insiduosité et donc ma solitude.

Alors je sais que j’ai la chance d’être née à la bonne époque et au bon endroit. J’ai à ma disposition tout un arsenal de soins archi-pratique et discret. Les stylos à insuline sont légers, mon glucomètre ressemble à un téléphone portable. Je sais qu’en Afrique, il y a des parents qui se consolent de la mort de leur enfant diabétique en pensant à l’argent qu’ils ne dépenseront plus pour son insuline mais pour nourrir leurs autres enfants. Je suis diabétique mais je ne débourse pas un centime pour mon diabète. Et puis c’est vrai, je travaille, je danse et je suis amoureuse.

SALOMÉ SUGAR

Source : lequotidiendumedecin.fr