La voie d’un traitement potentiellement ostéoformateur

Traiter l’ostéoporose en inhibant la sérotonine intestinale

Publié le 08/02/2010
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Crédit photo : S. toubon/« le quotidien »

« NOTRE TRAVAIL a été motivé par les résultats d’une précédente étude publiée dans " Cell " (le « Quotidien » du 27 novembre 2008). Ils indiquaient que la sérotonine synthétisée dans le duodénum est un inhibiteur de la formation osseuse, explique le Pr Gérard Karsenty (Columbia University, New York). « Ces indications reposaient sur la génétique de la souris et des maladies génétiques de l’homme, certes rares, mais extrêmement informatives. »

« Une application évidente de ce travail, qui pouvait servir également à en vérifier le bien fondé, était que si l’on inhibe la synthèse de sérotonine d’origine duodénale, on devrait augmenter la masse osseuse, et cela pourrait offrir un traitement anabolisant de l’ostéoporose. »

« La majorité des traitements de l’ostéoporose sont des molécules qui inhibent la résorption osseuse. Le seul traitement stimulant la formation osseuse est la parathormone, ou PTH, injectée une fois par jour et dont l’efficacité décroît ou disparaît en 18 mois. Il y a donc de nombreuses raisons pour rechercher des traitements anabolisants pour l’ostéoporose. »

Un inhibiteur spécifique de la synthèse duodénale de sérotonine.

« Au moment où notre étude était publiée dans " Cell ", nous nous sommes rendus compte qu’une entreprise de biotechnologie avait publié, dans un journal de pharmacologie, un article qui rapportait l’identification d’un inhibiteur spécifique de la synthèse duodénale de la sérotonine. Ce qui était encore plus attrayant c’est que cette molécule avait déjà été testée chez l’homme et aucun effet secondaire n’avait été rapporté. »

Cette molécule, nommée LP533401, est un inhibiteur de l’enzyme Tph1 (tryptophane hydroxylase 1), la première enzyme de la voie de biosynthèse de la sérotonine dans l’intestin (dans les cellules entérochromaffines du duodénum). Les études chez les rongeurs ont montré que la molécule, après son administration orale, ne franchit pas la barrière hémato-méningée.

Un effet purement anabolisant.

« Nous avons donc synthétisé ce composé, poursuit le Pr Karsenty, et nous l’avons évalué sur des modèles d’ostéoporose postménopausique (après gonadectomie) chez la souris et le rat. Ces expériences montrent que le LP533401, administré une fois par jour sous forme orale, est aussi efficace qu’une injection quotidienne de PTH à dose extrêmement élevée et qu’il a un effet purement anabolisant. »

« Nous pouvons corriger complètement l’ostéoporose induite par l’ovariectomie, même si la molécule est donnée 3 mois après l’intervention chez les rates. Ce qui représente un délai considérable étant donné leur espérance de vie de 2 ans. »

« Ceci apporte, d’une part, la confirmation pharmacologique que la sérotonine est effectivement un inhibiteur de la formation osseuse et, d’autre part, la preuve de principe qu’un inhibiteur de la synthèse duodénale de sérotonine peut devenir un traitement de l’ostéoporose chez l’homme. »

L’étude, co-dirigée par le Pr Karsenty (Department of Genetics and Development) et son épouse le Dr Patricia Ducy (Department of Pathology, Columbia University), montre que le LP533401, administré une fois par jour jusqu’à 6 semaines en tout, peut prévenir et même guérir l’ostéoporose chez les rongeurs, en réduisant partiellement les taux circulants périphériques de sérotonine ; ceci, sans effet néfaste.

« Nous allons essayer maintenant de trouver des molécules encore plus performantes que celle utilisée dans l’étude. Nous les évaluerons sur des modèles d’ostéoporose chez le rat avec comme objectif, à terme, de conduire des essais cliniques chez l’homme ».

« L’idée est qu’un inhibiteur de cette voie de biosynthèse peut probablement offrir un traitement de l’ostéoporose, pour deux raisons. D’une part, le gène ciblé par l’inhibiteur est exprimé dans un très petit nombre de cellules et, d’autre part, ces cellules sont orientées vers la lumière de l’intestin (cellules entérochromaffines). Par conséquent, il est possible d’inhiber la synthèse de sérotonine dans le duodénum, sans passage dans le sang, ce qui diminue d’autant le risque d’effets secondaires du médicament. »

« Tous les efforts vont être entrepris maintenant pour démontrer que l’inhibition de la synthèse de sérotonine duodénale est effectivement une nouvelle voie thérapeutique de l’ostéoporose », laisse entrevoir le Pr Karsenty.

Nature Medicine 7 février 2010, Yadav et coll.

 Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 8703