Coronavirus et pathologies digestives, des données plutôt rassurantes
Si le SARS-CoV-2 se manifeste de façon assez fréquente par des symptômes digestifs (voir encadré), a contrario la présence d’une pathologie chronique digestive préalable semble peu influencer la morbimortalité du Covid-19. Une étude rétrospective espagnole, menée en avril et présentée lors du congrès européen de gastro-entérologie (UEG Virtual Week, 11-13/10), ne retrouve ainsi aucune différence concernant la sévérité de l’infection (admission en unité de soins intensifs, ventilation mécanique invasive) et la mortalité selon la présence ou non d’une hépatopathie sévère. Meme si ce travail porte sur un faible effectif, il suggère que le taux d’admission à l’hôpital plus élevé chez les patients Covid+ avec maladie hépatique chronique s’explique surtout par la présence chez eux d’un plus grand nombre de comorbidités. En ce qui concerne les patients avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), l’analyse d’un registre international regroupant 40 pays (Surveillance Epidemiology of Coronavirus Under Research Exclusion for Inflammatory Bowel Disease) comptabilise 9 % de formes sévères et un taux de mortalité ajusté sur l’âge de 2 %. Les patients souffrant de formes sévères avaient pour facteurs de risque la présence de comorbidités, un âge avancé, la prise de corticoïdes systémiques et de 5-aminosalicylates mais pas d’anti-TNF.
Les données sont plus inquiétantes concernant les effets collatéraux du Covid-19 en matière de dépistage/diagnostic des cancers digestifs. La réduction drastique de l’activité endoscopique (-73 %) lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19 a provoqué la chute brutale du nombre de diagnostics de lésions dysplasiques de haut grade et de cancers, constate une étude conduite dans huit centres italiens entre le 9 mars et le 6 avril 2020, comparé à cette même période en 2019. Le nombre global de dysplasies de haut grade/cancers détectés a diminué de 68,3 %, celui de cancers biliopancréatiques de 25,8 %, celui de lésions gastro-intestinales hautes et basses de 75 % et 73 % respectivement. Le risque de retard au diagnostic de cancer colorectal et de progression oncologique est bien réel : les coloscopies de dépistage ont chuté de 93,3 %, et le nombre de lésions découvertes à l’occasion d’une coloscopie de dépistage de 95,4 %.
Ballonnements, la piste des antibiotiques
Deux études, conduites dans le syndrome de l’intestin irritable (SII) et la pullulation microbienne de l’intestin grêle (SIBO), se sont focalisées sur les ballonnements et l’emploi des antibiotiques. Dans la première (analyse post hoc de trois essais de phase 3 Target), des cures de rifaximine (antibiotique non absorbable) confirment leur efficacité à long terme pour soulager les ballonnements en cas de SII avec diarrhées. Un pourcentage significativement plus élevé de patients était amélioré avec la rifaximine par rapport au placebo (soulagement d’au moins 1 point sur une échelle de 0 à 6 rapporté par 47,8 % des patients vs 38,6 % sous placebo, et diminution d’au moins 2 points du score de ballonnement hebdomadaire moyen pendant au moins deux semaines dans 23,3 % des cas vs 17,8 %). Une réponse durable sur les ballonnements a été obtenue par un pourcentage plus élevé de patients recevant de la rifaximine. Un bémol cependant, celui d’une posologie de 550 mg trois fois par jour de rifaximine, nettement supérieure aux posologies usuelles.
Dans le SIBO, où le symptôme ballonnement est aussi au premier plan, une étude monocentrique française suggère que l’alternance des antibiotiques (quinolone alternativement avec des antibiotiques azolés) ferait mieux qu’un antibiotique unique (quinolone ou azolé) vis-à-vis de la rémission de la pullulation microbienne, de l’amélioration des ballonnements et de la qualité de vie (70 % vs 50,8 %).
Les symptômes digestifs du Covid-19 se précisent
S'il est acquis que l'infection par le SARS-CoV-2 peut donner des signes digestifs, les études rétrospectives parues initialement ont eu tendance à se focaliser sur la symptomatologie respiratoire et sous-estiment probablement l’expression gastro-intestinale de l’infection.
D'où l'intérêt de l’étude Tivuron, centrée sur cet aspect. Cette étude de cohorte multicentrique internationale et prospective conduite de mai à août 2020 a identifié plusieurs symptômes digestifs principaux : l’anorexie (49,8 % des cas), les diarrhées (39,4 %), les nausées (27,4 %) et les douleurs abdominales (20,7 %). Des taux élevés de transaminases témoignant d’une cytolyse hépatique étaient retrouvés dans près d’un tiers des cas (32,3 %) et associés à des formes plus sévères de la maladie. Les ulcères gastro-intestinaux et les hémorragies digestives étaient les rares complications gastro-intestinales identifiées (moins de 1 % des cas).
L’œsophagite à éosinophiles en progression
L’œsophagite à éosinophiles (OeE) est une pathologie œsophagienne chronique d’origine allergique et dysimmunitaire. Comme les autres allergies, son incidence est en augmentation. Selon une étude néerlandaise longitudinale menée sur 25 ans, le nombre de nouveaux cas annuels d’OeE a bondi de 0,006 à 3,16 pour 100 000 habitants entre 1995 et 2019, avec le taux le plus élevé en 2019, donc sans décélération en vue. Il faut néanmoins tenir compte de l’augmentation de la pratique des biopsies œsophagiennes depuis le début des années 2000. Une autre étude en vie réelle multicentrique dans l’œsophagite (base EoE Connect, alimentée par treize hôpitaux, en Espagne, Italie et Danemark) confirme l’intérêt des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en tant que traitement de première ligne, comme recommandé de manière consensuelle (entre 30 et 50 % d’efficacité selon les études). Mais elle ajoute que son efficacité est prolongée et surtout plus marquée dans le phénotype inflammatoire comparé au phénotype fibrosant de la maladie. Les IPP renforcent la barrière épithéliale en limitant l’agressivité du reflux, même physiologique, diminuant ainsi l’exposition aux allergènes alimentaires.
RGO, le traitement d’épreuve sans valeur diagnostique
Dans le reflux gastro-œsophagien (RGO), une étude anglaise confirme que la réponse clinique à un traitement par IPP n’est pas prédictive de la présence d’un reflux constaté par l’examen diagnostic de référence : la PH-métrie. Comme attendu, dans l’étude, un grand nombre de patients répondeurs aux IPP ne souffrent pourtant pas de RGO, suggérant une sur-prescription généralisée d’IPP constatée dans de nombreuses publications. À l’inverse, une proportion significative de patients ne répond pas aux IPP mais présente pourtant un reflux pathologique à la PH-métrie. Une réponse positive aux IPP n’avait qu’une valeur prédictive positive de 27 % pour le RGO et une valeur prédictive négative de 81,8 %. En résumé, le « test thérapeutique aux IPP » (ou traitement d’épreuve) est trompeur dans un objectif diagnostic de reflux. D’ailleurs, aucune société savante ne le préconise dans ce but. Rien n’empêche cependant de prescrire des IPP de manière empirique devant une symptomatologie typique de RGO puis d’évaluer à distance le soulagement, mais sans pour autant s’avancer à poser un diagnostic.
En bref...
Allergies dans l’enfance, intestin irritable à l’adolescence ? Allergie et dysrégulation immunitaire ont souvent été suspectés de jouer un rôle dans l’apparition d’un syndrome de l’intestin irritable (SII). Selon une étude observationnelle avec 16 ans de suivi, l’asthme, l’eczéma et l’hypersensibilité alimentaire sont associés à un risque accru de SII concomitant à 16 ans, suggérant une physiopathologie partagée entre ces allergies et le SII chez l’adolescent.
Les aliments ultratransformés, un facteur de risque de NAFLD Une étude réalisée en Corée du Sud sur une période médiane de 7,1 ans et incluant près de 40 000 individus a relié de manière prospective l’alimentation ultratransformée et le risque de stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD). Le point intéressant est que ce risque existe même après ajustement sur les facteurs de risque classiques de la maladie (diabète, obésité…) et que la relation augmente de manière linéaire.
SII et vulnérabilité psy, une susceptibilité génétique commune suspectée En étudiant le génome de plus de 53 000 personnes avec un syndrome de l’intestin irritable (SII), des chercheurs ont identifié six variants génétiques plus fréquemment associés à la fois au SII et à des traits neuroaffectifs (anxiété, névrose, dépression, insomnie). Ces loci individuels de susceptibilité génétique sont possiblement impliqués dans le développement des anomalies de l’axe cerveau-intestin dans cette maladie.