En faveur d’une responsabilité de la flore intestinale

La rifaximine, un antibiotique efficace dans la colopathie fonctionnelle

Publié le 10/01/2011
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ANTIBIOTIQUES et troubles digestifs, le lien de causalité est bien connu... surtout à sens unique. Mais les choses pourraient peut-être bien changer. Selon des chercheurs du Cedars-Sinaï Hospital à Los Angeles, un antibiotique oral peu absorbé et à spectre large est efficace dans la colopathie fonctionnelle sans constipation. La rifaximine, un dérivé de la rifamycine ciblant le système digestif, a significativement amélioré les symptômes du syndrome du côlon irritable jusqu’à 10 semaines, après une cure courte de 15 jours.

Ces résultats étonnants bousculent ce qu’on savait de la physiopathologie de la colopathie fonctionnelle, en faisant marquer des points à l’hypothèse microbiote. La responsabilité d’un déséquilibre de la flore intestinale, jusqu’alors très controversée, ouvre ainsi le champ à des pistes thérapeutiques plus efficaces, éventuellement curatives et pas seulement suspensives.

Le syndrome du côlon irritable est défini par des douleurs abdominales, un ballonnement et un dysfonctionnement digestif en l’absence d’anomalies caractérisées. Les options thérapeutiques actuellement disponibles s’avèrent souvent insuffisantes, à savoir : mesures diététiques, modifications du mode de vie, supplémentation en fibres, pharmacothérapie, voire psychothérapie. Si un déséquilibre du microbiote intestinal est suspecté, les probiotiques ne se sont pas révélés convaincants, pas davantage que les antibiotiques systémiques, hormis la néomycine abandonnée en raison d’effets secondaires.

Une réponse par oui ou non

À l’origine de ces résultats, l’équipe dirigée par le Pr William Forbes a mené en parallèle deux études identiques de phase 3, Target 1 et Target 2, ayant inclus au départ 1 260 patients ayant une colopathie fonctionnelle sans constipation. Les patients étaient randomisés en deux groupes, placebo ou rifaximine à la dose de 550 mg, 3 fois par jour, pendant 2 semaines. Chaque semaine, il était demandé aux patients d’évaluer la symptomatologie en répondant par oui ou non à la question suivante : « compte-tenu de l’ensemble de vos symptômes de colopathie fonctionnelle, et par rapport à votre état avant de commencer le traitement, vous sentez-vous suffisamment soulagé ? ». Les patients inclus avaient eu une coloscopie dans les deux ans précédents sans soulagement avec les thérapeutiques habituelles.

Dans les 4 premières semaines après rifaximine, le groupe traité était significativement amélioré, avec 40,7 % versus 31,7% pour le placebo, Target 1 et Target 2 confondus. Par ailleurs, d’après des évaluations quotidiennes, davantage de patients traités se déclarent également soulagés. La survenue d’effets secondaires était comparable dans les deux groupes, avec pour les événements graves, 10 patients dans le groupe rifaximine (1,6 %) et 15 dans le groupe placebo (2,4 %). Aucun cas de colite pseudo-membraneuse n’a été rapporté.

Test à l’hydrogène après ingestion de lactulose

L’efficacité de la rifaximine est très certainement due à ses propriétés antibiotiques, comme l’a démontré une étude précédente à l’aide d’un test respiratoire à l’hydrogène après ingestion de lactulose. Les auteurs avancent trois explications raisonnables : la molécule cible les bactéries intestinales et leurs produits délétères, la diminution de la flore intestinale améliore les défenses immunitaires de l’hôte, ou la rifaximine agit à ces deux niveaux.

Dans un éditorial, un universitaire belge, le Pr Jan Tack de Leuwen, fait néanmoins remarquer que le gain thérapeutique n’est pas majeur, le plus faible niveau qui soit significatif sur le plan clinique. Il semble que certains patients sont meilleurs répondeurs que d’autres, sans qu’on puisse les identifier très clairement. Même si l’effet persiste au-delà des 2 semaines de traitement, la réponse semble s’émousser au fil du temps, sans que l’intérêt de traiter de nouveau soit démontré. C’est pourquoi le spécialiste suggère de restreindre pour le moment l’utilisation des antibiotiques non absorbables aux cas de surpopulation bactérienne intestinale documentée ou de non-réponse aux traitements disponibles.

N Engl J Med 2 011; 364:22-32

 Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8881