Facteurs de risque et prise en charge clinique

Les diabétologues devraient-ils s'intéresser plus au foie ?

Par
Publié le 17/03/2020
Article réservé aux abonnés
Les diabétiques sont à haut risque vis-à-vis de la stéatose hépatique, à la fois pour sa fréquence et pour son risque évolutif. En attendant des traitements spécifiques, certains hypoglycémiants montrent des bénéfices sur la stéatohépatite.
Les carcinomes diabétiques se développent sur des foies non cirrhotiques

Les carcinomes diabétiques se développent sur des foies non cirrhotiques
Crédit photo : phanie

On estime que la stéatose hépatique visible en imagerie pourrait concerner deux tiers à trois quarts des diabétiques de type 2 (DT2), le DT2 constituant en lui-même un facteur aggravant. « Tout l’enjeu est de dépister ceux qui ont une fibrose évoluée, de stade F3/F4, probablement 8 à 12 % des DT2, qui sont le plus à risque d’évoluer vers une cirrhose ou ses complications, comme le carcinome hépatocellulaire (CHC) », explique le Pr Jean-Michel Petit (CHU de Dijon). L’incidence du CHC a considérablement augmenté chez le DT2, avec cette particularité que, contrairement au CHC sur hépatite chronique, il peut se développer (30 à 50 % des cas) sur un foie non cirrhotique.

Les facteurs favorisant la survenue d’une stéatose hépatique sont aussi ceux qui s’associent à un risque évolutif plus élevé : le sexe masculin, la consommation d’alcool même modérée, une alimentation riche en acides gras saturés et en sucres, la consommation de tabac, et de cannabis très vraisemblablement. Un certain nombre de polymorphismes génétiques, comme les variants du PNPLA3, sont associés à un surrisque de stéatopathies et leurs complications évolutives, mais ne sont pas recherchés en pratique courante.

Pour identifier les patients qui requerraient des explorations plus approfondies, on se fonde sur la clinique et la biologie (mais l’élévation des transaminases n’est pas toujours corrélée au degré de fibrose). Les scores non invasifs de fibrose, comme le Fibrotest ou le Fib4, basé sur les plaquettes, l’âge et le taux de transaminases, peuvent amener s’ils sont intermédiaires ou élevés à demander un Fibroscan, en fonction duquel la décision de pratiquer une biopsie du foie sera discutée avec l’hépatologue (1).

Alimentation méditerranéenne et perte de poids

L’alimentation méditerranéenne aurait un effet protecteur sur la survenue de la stéatose hépatique et peut-être le risque de développer un CHC. Une étude (2) a bien montré que la stéatose hépatique est clairement diminuée chez les personnes qui perdent plus de 7 % de leur poids corporel, mais les diabétiques doivent en perdre encore plus que les autres – soit 7 à 10 % de leur poids initial – pour arriver à la même amélioration. La chirurgie bariatrique (lire p. 14) est efficace, mais se pose la question de savoir quand la proposer, vu les risques inhérents à une intervention en cas de fibrose évoluée (lire encadré) ou de cirrhose (3).

Les agonistes du GLP1 prometteurs

L’effet de la metformine sur la stéatose et la fibrose est pratiquement nul mais, selon des études rétrospectives, elle réduirait le risque de développer un CHC. Aussi, un traitement par metformine sera-t-il maintenu le plus longtemps possible même en cas de fibrose évoluée ou de cirrhose compensée.

Les glitazones s’associent à une diminution de la stéatose et un moindre risque d’évolution de la fibrose. Elles ne sont plus disponibles en France.

Les agonistes du GLP1 ont été évalués sur le degré de stéatose hépatique mesurée par spectroscopie RMN, dont la réduction est très corrélée à la perte de poids. Une étude menée avec le liraglutide (4) montre qu’il améliore significativement les scores sur les biopsies hépatiques, mais dans cet essai seuls un tiers des patients étaient diabétiques. Les résultats sont donc encourageants pour cette classe et des essais sont en cours avec le semaglutide. « Pour le diabétologue, l’existence d’une stéatose hépatique est un argument de plus pour justifier le recours aux arGLP 1 », confirme le diabétologue.

Les inhibiteurs du SGLT2 révèlent un effet plutôt favorable avec une perte de poids, une amélioration des transaminases, et semble-t-il de la stéatose, mais ces données sont encore à confirmer.

On est parfois réticent à prescrire des statines devant une élévation des transaminases liée à la stéatohépatite non alcoolique (Nash), mais les études montrent qu’elles améliorent plutôt la fonction hépatique. L’augmentation des transaminases ne constitue donc pas dans ce cas une contre-indication à leur prescription.

Des molécules en cours de développement

Dans des études préliminaires, les doubles agonistes du GLP1 et du GIP, qui provoquent une perte pondérale importante, auraient un effet sur la stéatopathie métabolique.

Un analogue des acides biliaires, l’acide obéticholique, a prouvé dans l’étude Regenerate (5), menée chez 931 patients atteints de Nash avec fibrose hépatique de stade 2 ou 3, une régression significative des lésions hépatiques, mais au prix d’effets secondaires tels que le prurit et l’augmentation des LDL petites et denses.

Les doubles PPAR αδ montrent des premiers résultats intéressants sur la Nash, favorables sur l’HbA1c et le syndrome métabolique, tout en étant dépourvus des effets indésirables des PPAR γ.

D’autres essais sont en cours avec des molécules agissant sur des voies métaboliques différentes, sur l’apoptose, les chimiokines, le microbiote.

Exergue : L’augmentation des transaminases ne constitue pas une contre-indication aux statines.

Entretien avec le Pr Jean-Michel Petit, CHU de Dijon

(1) EASL-EASD-EASO. J Hepatol. 2016 Jun;64(6):1388-402

(2) Vilar-Gomez et al.Gastroenterology. 2015 Aug;149(2):367-78

(3) Mathurin et al. Gastroenterology. 2009 Aug;137(2):532-40

(4) Armstrong et al. Lancet. 2016 Feb 13;387(10019):679-90

(5) Younossi Z et al. Lancet. 2019 Dec 14;394(10215):2184-96

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr