Face à l’insuffisance des dons

Les organes autoconstruits, une piste de recherche

Publié le 17/10/2011
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L’IDÉE de suppléer aux fonctions humaines défaillantes par un organe artificiel est dorénavant complétée par une nouvelle voie de recherche, qui consiste à prélever un organe malade et à le « décellulariser » pour en conserver la matrice vascularisée. Celle-ci peut alors être ensemencée par des cellules souches qui vont reconstituer le parenchyme. Ainsi, l’organe s’autoconstruira, pour reprendre le néologisme du Pr Bismuth.

Les tissus autoconstruits, ménisques, cornée, urètre et vessie, vagin, artères, ont ouvert la voie de la médecine régénérative. Dans le droit fil de ces travaux, des organes autoconstruits exploitent les possibilités des cellules souches, embryonnaires, cellules progénitrices ou cellules souches adultes, qui servent alors à reconstituer du parenchyme. Une matrice synthétique, biodégradable ou plus volontiers biologique sert alors de support à la recellularisation. Ces travaux laissent espérer la possibilité de « fabriquer » des organes à partir de cellules autologues pour une transplantation, afin de répondre à la pénurie d’organes et à la toxicité des immunosuppresseurs.

Concernant le foie, il est possible de décellulariser un squelette vasculaire hépatique à l’aide de « détergents » en maintenant l’intégrité de la matrice extracellulaire. Un organe fonctionnel transplantable chez le petit animal a pu être ainsi obtenu en quelques semaines par une équipe chinoise par ensemencement d’hépatocytes et d’autres populations cellulaires (1).

Des solutions partielles.

Pour le rein, l’un des organes les plus difficiles à reconstruire en raison de sa complexité, des recherches comparables ont été mises en œuvre. D’ores et déjà, des essais cliniques de phases I et II portent sur l’association d’un système conventionnel de filtration par rein artificiel et d’un « bioréacteur » contenant des cellules rénales épithéliales dérivées de tubules rénaux humains (2). Ces cellules conservent leur fonction de réabsorption et leurs activités métabolique et endocrinologique.

En ce qui concerne le cœur, le remplacement complet d’un cœur humain par un autre, constitué d’une matrice ensemencée par des cellules capables de s’organiser pour lui conférer une activité mécanique efficace « est une perspective encore incertaine et en tous cas certainement lointaine ». En revanche, l’ingénierie tissulaire devrait permettre le remplacement partiel du cœur : valve (3), voie d’éjection, en particulier ventriculaire droite, ou portions de myocarde défaillant. Le cœur autoconstruit apparaît ainsi comme un complément thérapeutique plutôt que comme un substitut à la transplantation.

Pour le poumon, enfin, une régénération trachéobronchique in vivo peut être obtenue en utilisant une matrice de tissu aortique. La recherche s’oriente aujourd’hui vers l’utilisation d’une matrice pulmonaire recolonisée in vitro par des cellules autologues. L’implantation chez l’animal semble permettre l’obtention d’un poumon fonctionnel (4, 5). Une application chez l’homme peut être espérée dans 10 à 20 ans pour les plus optimistes. La fin des transplantations et des dons d’organes n’est donc pas pour demain.

(1) Bao J, et coll. Construction of a portal implantable functional tissue-engineered liver using perfusion-decellularized matrix and hepatocytes in rats. Cell Transplant 2011 ; 20 (5) : 753-66.

(2) Tasnim F, et coll. Achievements and challenges in bioartificial kidney development. Fibrogenesis & Tissue Repair 2010 ; 3 : 14.

(3) Gandaglia A, et coll. Cells, scaffolds and bioreactors for tissue-engineered heart valves: a journey from basic concepts to contemporary developmental innovations. Eur J Cardiothorac Surg 2011 ; 39 : 523-31.

(4) Ott HC, et coll. Regeneration and orthotopic transplantation of a bioartificial lung. Nat Med 2010 ; 16 (8) : 927-33.

(5) Petersen TH, et coll. Tissue-engineered lungs for in vivo implantation. Science 2010 ; 329 (5991) : 538-41.

Dr GÉRARD BOZET

Source : Le Quotidien du Médecin: 9026