Gastroentérologie

Pancréatite nécrosante infectée : mieux vaut un drainage différé

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Publié le 05/11/2021
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Une approche mini-invasive et « pas à pas » est privilégiée dans la pancréatite aiguë nécrosante infectée. Le drainage immédiat a-t-il encore une place dans la stratégie thérapeutique ? Selon une étude hollandaise publiée dans « The New England Journal of Medicine », un drainage précoce est loin d'être supérieur à une approche retardée.
La pancréatite aiguë est le plus souvent bénigne, une nécrose pancréatique peut survenir dans 10 à 25 % des cas

La pancréatite aiguë est le plus souvent bénigne, une nécrose pancréatique peut survenir dans 10 à 25 % des cas
Crédit photo : Phanie

Drainage immédiat ou retardé, quelle attitude adopter en cas de pancréatite aiguë nécrosante infectée (PANI) ? C’est à cette question qu’a voulu répondre une étude randomisée hollandaise dans « The New England Journal of Medicine » (1).

Le traitement de la PANI a fondamentalement changé ces dernières années. Une approche mini-invasive et « pas à pas » est privilégiée, et, à chaque fois que cela est possible, le drainage est différé au-delà de J21 jusqu’à ce que la collection nécrotique soit bien délimitée.

Et le Dutch Pancreatitis Study Group coordonné par le Dr Marc Besselink (hôpital universitaire d’Amsterdam) vient confirmer, dans l’essai Pointer, qu’un drainage précoce n’a pas d’intérêt par rapport à une approche retardée. Selon le Dr Stéphane Koch, chef de service de gastroentérologie et endoscopie digestive au CHU de Besançon, « c’est un article majeur. Il faut saluer le travail remarquable fourni : c’est un exploit d’avoir mené cette étude randomisée contrôlée sur une pathologie urgente et mortelle ! »

Une complication redoutable

Bien que la pancréatite aiguë soit le plus souvent bénigne, une nécrose pancréatique peut survenir dans 10 à 25 % des pancréatites aiguës, toutes formes confondues. Le pronostic évolutif est alors potentiellement sévère, lié initialement à la défaillance d’organe, puis à la surinfection de la nécrose qui survient classiquement vers la troisième semaine d’évolution dans 40 à 60 % des cas. L’infection de nécrose pancréatique est la première cause de décès dans la pancréatite aiguë sévère avec un taux global de mortalité de 15 à 30 % (2) .

La nécrose infectée peut être traitée médicalement avec des antibiotiques, mais un drainage est souvent nécessaire. L’étude Panter (3) menée en 2010 par le même groupe a révolutionné la prise en charge de la PANI. Cette étude a mis en évidence le bénéfice des techniques mini-invasives dans une approche étape par étape (« step-up ») par rapport à la nécrosectomie chirurgicale conventionnelle. Dans l’approche graduée, un drainage percutané radiologique ou transgastrique endoscopique était effectué suivi d’un éventuel débridement de la nécrose par abord rétropéritonéal sous cœlioscopie en cas de non-amélioration au bout de 72 heures. Des complications majeures ou le décès ont été observés chez 69 % des patients dans le groupe chirurgie ouverte versus 40 % dans le groupe approche mini-invasive (p = 0,006) : la laparotomie n’a désormais plus de place en première intention.

Du mini-invasif, mais « endoscopique » ou « chirurgical » ?

Une autre étude du même groupe néerlandais publiée en 2018 (4) a évalué si l’approche mini-invasive « endoscopique » (drainage par voie transgastrique) était supérieure à l’approche mini-invasive « chirurgicale » (drainage transpariétal sous contrôle écho ou scanner). Si nécessaire selon l’évolution clinique, une nécrosectomie par voie endoscopique ou un débridement rétropéritonéal de la nécrose vidéo-assisté étaient réalisés dans chacun des groupes respectivement.

Cette étude ne retrouve pas de supériorité de l’approche mini-invasive « endoscopique » par rapport à celle « chirurgicale ». L’endoscopie est néanmoins plus rentable en temps et en coût, avec moins de complications de fistules à distance.

Notons aussi que le drainage initial seul, qui permet les prélèvements et le lavage, est efficace, et suffit chez près de 50 % des patients.

Place du drainage précoce

Le mantra chirurgical de longue date consiste à retarder la nécrosectomie chirurgicale jusqu’à ce que la nécrose pancréatique soit délimitée. Cela peut-il être appliqué aux approches de drainage non chirurgicales (percutanées et endoscopiques) ?

L’essai Pointer, qui a évalué l’intérêt d’un drainage non opératoire précoce dans les PANI (1), apporte des réponses.

Cette étude multicentrique menée dans 22 hôpitaux aux Pays-Bas a permis d’inclure 104 patients entre 2015 et 2019. Les patients étaient randomisés en deux bras (1:1) : drainage immédiat dans les 24 heures après randomisation, une fois le diagnostic d’infection posé (n = 55), versus drainage retardé, une fois l’infection collectée (n = 49).

Tous les patients bénéficiaient d’une antibiothérapie ciblée. Les patients du groupe à drainage différé pouvaient être drainés avant que le stade de nécrose encapsulée ne soit atteint en cas de décompensation clinique. Il s’agissait d’une étude de supériorité (drainage immédiat), et les analyses étaient en intention de traiter.

Aucune différence entre les groupes n’a été observée en ce qui concerne les complications globales entre le moment de la randomisation et le suivi à six mois, ni en termes de mortalité, de durée moyenne d’hospitalisation et de coût.

En revanche, le nombre moyen d’interventions totales (chirurgicales ou non) était plus élevé dans le groupe de drainage immédiat (en médiane quatre versus une intervention ; p < 0,001). De plus, un traitement antibiotique seul pour la nécrose infectée a pu être efficace chez environ 40 % des patients du groupe avec drainage différé, sans drainage ni nécrosectomie nécessaire pendant les six mois de suivi… Plus impressionnant encore : une nécrosectomie chirurgicale a dû être réalisée chez 51 % des patients du groupe drainage immédiat contre 22 % des patients du groupe drainage différé.

Au total, avec le drainage retardé, moins d’interventions semblent nécessaires, et plus d’un tiers des patients peuvent être traités sans aucune intervention, avec juste une antibiothérapie. Le Dr Koch confirme : « Cela va avoir un impact sur nos pratiques, mais il faut garder en tête que les Hollandais ont une organisation très particulière, avec un maillage des centres bien organisé en réseau entre les experts. En France, le réseau est différent selon les régions. »

Pour le spécialiste français, un patient présentant une PANI doit être pris en charge dans un centre expert permettant une concertation pluridisciplinaire entre réanimateurs, gastroentérologues, chirurgiens et radiologues afin de valider la stratégie thérapeutique à chaque étape. L’équipe médecin endoscopiste-infirmier formé à l’endoscopie interventionnelle devra maîtriser la vidéo-endoscopie, la radioscopie et l’échoendoscopie dans la même session. Le drainage non opératoire chez les patients cliniquement stables doit être retardé jusqu’à l’apparition d’une nécrose cloisonnée, qui survient généralement 21 jours ou plus après le début de la pancréatite.

(1) L. Boxhoorn et al., N Engl J Med, octobre  2021. DOI: 10.1056/NEJMoa2100826
(2) P. A. Banks et al., Gut, 2013. doi: 10.1136/gutjnl-2012-302779. 
(3) H. C. van Santvoort et al., N Engl J Med, 2010. doi: 10.1056/NEJMoa0908821
(4) S. van Brunschot S et al., Lancet , 2018. doi: 10.1016/S0140-6736(17)32404-2

Dr Anne Sikorav

Source : Le Quotidien du médecin