Dans le cancer colorectal métastatique, trois analyses moléculaires se font aujourd'hui en routine. D'abord la recherche d'une mutation RAS dans la tumeur primitive ou ses métastases car une thérapie ciblée anti-EGFR n'est efficace qu'en l'absence de mutation RAS ; ensuite celle d'une mutation BRAF qui signe un pronostic plus sombre et conduit à intensifier la chimiothérapie (des études de phase II en cours pourraient apporter des thérapies plus spécifiques) ; enfin celle d'une instabilité microsatellitaire (MSI). « Présente dans 5 % des tumeurs colorectales métastatiques, cette instabilité signe une grande sensibilité tumorale à l'immunothérapie. Nous espérons un remboursement de l'immunothérapie prochainement dans ce groupe très spécifique de patients », précise le Pr Aparicio.
L'analyse moléculaire extensive du génome tumoral par séquençage de nouvelle génération (NGS) recherche toute altération moléculaire rare susceptible de bénéficier de thérapie ciblée (30 à 50 % des tumeurs seraient concernées). Elle génère l'enthousiasme. Mais, tempère le spécialiste, « En France ces thérapies ciblées ne sont pas remboursés hormis des indications très spécifiques, notamment dans le cancer du poumon. Dans les cancers digestifs, cette stratégie sera évaluée dans le cancer colorectal métastatique par l'essai ACOMPLI. Cela reste du domaine de la recherche, mais peut évoluer rapidement ».
Dans le cancer de l'estomac, le statut HER2 est déterminé en routine sur la pièce opératoire ou au mieux dès la fibroscopie gastrique (toute lésion suspecte doit faire pratiquer un nombre suffisant de biopsies). La surexpression de HER2 à l'immunohistochimie, confirmée par la technique FISH (10 à 15 % des patients) conditionne le traitement par anti-HER2 (trastuzumab) chez les patients métastatiques. « Récemment une MSI a été mise en évidence chez 10 à 15 % des patients atteints de cancer gastrique. Ce statut MSI pourrait être déterminé en routine par intérêt pronostic, pour moduler l'intensité de la chimiothérapie préopératoire, ou évaluer l'immunothérapie », note le spécialiste.
Autres facettes de la personnalisation
Personnaliser les traitements c'est aussi adapter les stratégies thérapeutiques. Chez le patient âgé, des évaluations gériatriques sont réalisées avant les chimiothérapies ou les chirurgies importantes des cancers œsogastriques ou pancréatiques.
La discussion de chaque patient en réunion de concertation pluridisciplinaire est indispensable pour adapter la stratégie thérapeutique à chaque cas et décider de l'intensité de la chimiothérapie, de la stratégie chirurgicale, de la place des techniques de radiologie interventionnelle (chimiothérapie intra-artérielle hépatique, radiofréquence, cryothérapie…) et dans certains cas de la radiothérapie stéréotaxique.
Cependant, « Des marqueurs pronostics sont toujours attendus pour adapter l'intensité de la chimiothérapie initiale en fonction du projet thérapeutique (résection des métastases ou traitement visant seulement un contrôle tumoral au long cours) ou sélectionner les patients susceptibles de bénéficier d'une désescalade voire d'une interruption de la chimiothérapie après l'induction », rappelle le spécialiste.
Enfin, prédire la toxicité d'une molécule limite les accidents. Le polymorphisme des gènes suscite l'intérêt. Un gène déficient entraîne la synthèse d'une enzyme d'efficacité anormale et peut modifier le métabolisme de drogues de chimiothérapie. L'actualité se focalise sur la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), enzyme clé du métabolisme du 5 fluoro-uracile (5-FU). Le déficit total en DPD (1/1 000 patients) explique de très rares surdosages en 5-FU, parfois mortels. « Le 5-FU est omniprésent dans les chimiothérapies depuis les années 1950. La possibilité d'accident est connue. Est moins connue, la recommandation récente de l'ANSM (février 2018) du dépistage systématique du déficit en DPD avant un protocole comportant du 5-FU. Elle rend opposable tout accident lié au déficit complet, en absence de dépistage. En cas de déficit partiel que faire ? Adapter la posologie est-il risqué ? Organiser le dépistage à large échelle est compliqué. Initier une chimiothérapie avec du 5-FU, impose aujourd'hui d'attendre le résultat du dépistage. Le bénéfice pour le patient déficient est établi. Le risque lié au retard de la mise en route du traitement pour les 999 patients/1 000 non déficients demanderait à être évalué », remarque le Pr Aparicio.
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