LE RISQUE d’hémorragie digestive sous antiagrégants plaquettaires (AAP) est reconnu bien que peu documenté. Il s’avère qu’environ un tiers des hémorragies sont associées à la prise d’antiagrégants plaquettaires ; c’est ce que révélaient les premiers résultats (2008) de l’observatoire ASAP mis en place pour identifier la prévalence de ces traitements chez les malades présentant une hémorragie digestive haute (HDH) ou basse (HDB). Une prise d’AAP était plus fréquemment observée au cours des HDB (41 %) que des HDH (27 %). La prévalence de ces traitements augmentait avec l’âge, pour toucher près d’un patient sur deux après 75 ans.
Des causes d’hémorragies variables suivant le type d’AAP.
Ultérieurement, les dossiers des 297 patients (sur 1 010 cas d’hémorragies inclus dans l’observatoire) qui avaient eu une hémorragie sous AAP ont été analysés. L’objectif était d’explorer les liens éventuels entre le type d’AAP et la nature des hémorragies, leur étiologie et les facteurs de risque associés. Parmi les patients, 191 étaient sous aspirine à faible dose, 65 sous thiénopyridine (essentiellement clopidogrel) et 41 sous bithérapie (aspirine- thiénopyridine). Sur un plan épidémiologique, quel que soit le traitement reçu, les patients ne présentaient pas de différences significatives tant dans leur expression clinique (taux d’hémoglobine à l’admission, transfusion sanguine, hémostase endoscopique ou chirurgicale…) que thérapeutique (prise d’inhibiteurs de la pompe à proton [IPP] avant le début de l’hémorragie). La mortalité était similaire, soit environ 4 % pour les trois types de traitement. En revanche, l’analyse des causes d’hémorragie suivant le type d’AAP, a permis de mettre à jour quelques différences. Celles-ci étaient particulièrement significatives pour les hémorragies dues à des gastrites érosives qui sont survenues dans 6 % des cas sous aspirine, jamais sous thiénopyridine, et dans 7 % des cas sous bithérapie soulignant le rôle gastrotoxique de l’aspirine. La bithérapie semble particulièrement en cause dans les saignements dus aux ulcères gastriques (24,4 %), suggérant un effet additif de l’association, alors que l’aspirine comme les thiénopyridines ne sont en cause respectivement que dans 13 et 12,3 % des cas. La diverticulose colique représentait 20,4 % des causes de saignement sous aspirine, 10,8 % sous thiénopyridine et 17,1 % sous bithérapie, confirmant que l’aspirine est un facteur favorisant les hémorragies d’origine diverticulaire. « Chez les patients ayant fait une HDB sous aspirine, en l’absence de traitement préventif efficace et si le traitement AAP est indispensable, il est préférable d’utiliser une thiénopyridine dont le risque est peut-être moindre » ajoute le Pr Bretagne.
Les IPP ont un effet protecteur significatif sur les HDH.
Qu’en est-il de l’effet gastroprotecteur d’un IPP chez les patients sous AAP ? C’est ce qu’une étude complémentaire a recherché, à partir des données recueillies chez les 297 patients de cette cohorte ayant eu une hémorragie sous AAP. En effet, contrairement aux résultats concernant l’effet protecteur des IPP en coprescription avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les données relatives à l’effet préventif des IPP sur les complications ulcéreuses sous traitement AAP sont restreintes. Considérant que les IPP n’agissent pas sur les facteurs de risque d’HDB, cette étude cas/témoins a permis de comparer deux groupes parfaitement identiques en termes de risque hémorragique, composés de 121 patients ayant une HDH (les cas) et les 121 patients ayant une HDB (les témoins). Les critères d’appariement portaient sur l’âge (< ou › 75 ans), les antécédents d’ulcère ou d’hémorragie digestive et l’association à d’autres traitements à risque digestif (AINS et/ou AVK et/ou héparine). Après avoir comparé la prévalence des patients sous IPP dans chacun des groupes, les résultats montrent une diminution significative de 31 % du risque d’HDH pour les patients sous IPP. Cette étude prospective, à la méthodologie rigoureuse, renforce les résultats des études de population, peu fréquentes, réalisées jusqu’à ce jour, et qui, pour certaines, montraient une diminution du risque d’hémorragie sous IPP de 70 %. Le nombre de patients analysés n’a pas permis de comparer les résultats suivant le type d’AAP. Néanmoins, une étude réalisée en 2007 montrait que les IPP chez les patients sous aspirine et sous thiénopyridine réduisaient respectivement le risque hémorragique de 70 % et de 80 %. « Il paraît donc essentiel d’avoir recours à la gastroprotection chez les patients ayant des facteurs de risque. Dans cette étude cas/témoins, seuls 60,5 % des patients ayant des facteurs de risque connus étaient sous IPP ce qui reflète bien l’insuffisance actuelle de la couverture gastroprotectrice » précise le Pr Bretagne.
Une gastroprotection plutôt sur le modèle américain.
En novembre 2007, l’Afssaps recommandait une gastroprotection « pour les patients sous aspirine à faible dose quand ils avaient des antécédents d’ulcères compliqués ». En décembre 2008, les recommandations américaines élargissaient les indications de gastroprotection systématique aux patients sous AAP sur les critères d’antécédents d’ulcères compliqués ou non et chez les patients sous médicament gastrotoxique de type AINS, ou prenant un 2e AAP (association aspirine et thiénopyridine par exemple) ou un anticoagulant (aspirine + anticoagulant). Par ailleurs, les mêmes recommandations américaines conseillent désormais, chez un patient ayant fait une hémorragie digestive, de reprendre l’aspirine en y associant un IPP plutôt que de remplacer l’aspirine par une thiénopyridine seule ce qui était l’attitude préconisée auparavant.
Un âge supérieur à 75 ans ne semble favoriser les hémorragies sous AAP que s’il existe un autre facteur de risque, comme un antécédent d’ulcère par exemple, en revanche, pris isolément, sa responsabilité n’est pas reconnue contrairement à ce qui est le cas chez les patients de plus de 65 ans sous AINS
D’après un entretien avec le Pr Jean-François Bretagne, CHU Pontchaillou, Rennes.
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