35 ans après l'accident de Tchernobyl : le risque de mutation de novo chez les descendants des personnes exposées n'est pas augmenté

Par
Publié le 26/04/2021
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Phanie

Le 26 avril 1986, il y a exactement 35 ans, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire V.I. Lénine explose, provoquant une très large contamination de l'environnement. Il a fallu le travail acharné de plus de 500 000 liquidateurs pour parvenir à assainir le site. Alors que les 350 000 habitants évacués ont été exposés à des doses plus ou moins grandes de rayonnement ionisant, se posait la question de la transmission de mutations à leur descendance.

Selon une équipe internationale coordonnée par les Instituts nationaux américains du cancer publiée dans « Science », cette crainte ne serait pas fondée, que l'on scrute la fréquence des mutations, mais aussi leur nature. « À chaque procréation, il y a entre 50 et 100 mutations de novo qui constituent les briques fondamentales de l'évolution », précise le Dr Stephen Chanock, directeur de la division d'épidémiologie des cancers du centre national américain et auteur senior de l'étude. Le taux moyen de nouvelle mutation sur un seul nucléotide est de 1×10−8 par site et par génération, le facteur prédictif majeur d'apparition de ces mutations étant l'âge des parents.

Séquençage haut débit

Le travail dirigé par le Dr Chanock a été rendu possible par les derniers développements des technologies en matière de séquençage haut débit. Les auteurs ont séquencé le génome de 130 personnes nées entre 1987 et 2002. Chez les 105 couples qui leur ont donné naissance, au moins l'un des parents a été un liquidateur de la centrale ukrainienne, ou a été évacué. Ils ont donc été exposés aux radiations ionisantes, que ce soit directement par les retombés ou par la consommation de lait provenant de vaches qui ont consommé de l'herbe dans des champs contaminés.

Le recrutement a été effectué au sein d'une cohorte montée et suivie par le Pr Dimitry Basick, du Centre national ukrainien de recherche sur la médecine des radiations. « Nous avons établi une longue collaboration avec une équipe canadienne qui travaille sur cette cohorte, détaille le Dr Chanock. Elle présente l'énorme avantage de très bien renseigner les types d'exposition aux radiations, ainsi que leur durée et leur intensité. »

Les membres de la cohorte ont été répartis en fonction du niveau d'exposition des parents. La comparaison des séquençages des parents et des enfants a révélé qu'il n'y avait pas d'augmentation du nombre et de la variabilité des mutations de novo chez les enfants nés 46 semaines à 15 ans après l'accident, par rapport à ce qui est attendu en population générale. Il n'y avait pas non plus de différence significative entre les familles les plus et les moins exposées : les auteurs ont mesuré une différence non significative de −0,02 mutation de novo par milligray supplémentaire d'exposition maternelle et de −0,0007 mutation de novo par milligray d'exposition paternelle.

Le type de mutation n’était pas non plus affecté. « En général, 80 % des mutations de novo sont un changement d'un seul nucléotide pour un autre, 20 % sont des délétions ou des insertions de portions d'ADN à partir d'ADN satellite et 2 % sont des événements plus complexes, détaille le Dr Chanock. Ces proportions ne sont pas changées chez les enfants de personnes exposées aux radiations de Tchernobyl. »

Une extrapolation rassurante pour Fukushima

Ces résultats sont rassurants quant aux conséquences d'autres accidents nucléaires plus récents, et notamment celui de 2011 au Japon, « d'autant plus que les habitants de la région de Fukushima ont été exposés à des doses de radiation bien moins importantes », conclut le Dr Chanock.

Ces données ne signifient pas qu'il n'y a pas eu de mutation dans les lignées germinales des personnes exposées aux radiations, mais que cela ne s'est pas traduit par des mutations transmises à leur descendance. « Nous avons un "biais des survivants" dans notre travail, explique le Dr Chanock, puisque nous n'avons pu recruter que des personnes ayant survécu et ayant été en mesure de faire des enfants. Cela représente donc une population relativement peu exposée ». En moyenne, les gonades paternelles ont été exposées à 365 milligrays, et les gonades maternelles à 19 milligrays.

Les équipes du centre national américain de recherche sur les cancers poursuivent leurs travaux dans la cohorte de survivants de Tchernobyl, et notamment pour ce qui est de l'augmentation de pathologies neurologiques très rares.


Source : lequotidiendumedecin.fr