Alors que près de trois quarts des cancers du sein sont hormonodépendants et HER2 négatifs, chez quelles patientes faut-il faire plus qu’une hormonothérapie ? À cette question qui se pose depuis 30 ans, les signatures d’expression de gènes apportent la preuve à long terme de leur utilité pour personnaliser le traitement.
Avec un suivi de neuf ans, l’étude Mindact sur la signature à 70 gènes MammaPrint confirme que les femmes à haut risque clinique mais à bas risque génomique ont une probabilité de 95 % de ne pas développer de métastases, y compris en cas d’atteinte ganglionnaire. Les résultats ont été présentés lors de la dernière conférence de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) en 2020. L’excellente survie à cinq ans sans métastase publiée en 2016 n’était pas suffisante (1). Les résultats à long terme étaient très attendus, compte tenu du risque substantiel de récidive entre cinq et dix ans pour les cancers hormonodépendants et HER2 négatifs.
« Nous sommes extrêmement fiers de la publication des résultats à long terme de Mindact, parus dans "The Lancet Oncology" (2), se réjouit la Pr Martine Piccart, oncologue à l’Université libre de Bruxelles et investigatrice principale de l’étude. Deux signatures, MammaPrint et Oncotype, ont fait l’effort de validation dans des études prospectives. C’est extrêmement difficile à mettre en œuvre et très coûteux. C’est fascinant que les résultats de trois études – Mindact, TAILORx et RxPONDER – paraissent la même année en 2020 et se renforcent les unes les autres. C’est un message important pour les cliniciens ».
Une zone grise
Dans Mindact, quelque 112 hôpitaux de 9 pays européens ont inclus 6 693 patientes âgées de 18 à 70 ans ayant un cancer du sein invasif (T1, T2 ou T3 opérable) non métastatique, qui présentaient entre 0 et 3 ganglions axillaires envahis. Pour chaque participante, étaient évalués le risque clinique et le risque génomique. De façon simplifiée, le risque clinique était considéré comme élevé en cas de ganglion(s) positif(s), sauf pour les tumeurs de grade 1 et de diamètre ≤ 2 cm, et en cas de ganglion négatif, pour les tumeurs de grade 3 avec un diamètre > 1 cm, de grade 2 avec un diamètre > 2 cm ou de grade 1 de diamètre > 3 cm. La classification prenait en compte le statut HER2.
Les patientes ayant un risque faible clinique et génomique ne recevaient pas de chimiothérapie, à l’inverse de celles ayant un double risque élevé (protocole à base d’anthracycline ou à base de taxane ou association des deux). Quant aux patientes étant dans une zone grise en raison d’un résultat discordant (risque clinique élevé mais à faible risque génomique mais aussi risque clinique faible mais à risque génomique élevé), elles étaient randomisées en deux groupes pour recevoir une chimiothérapie ou pas selon leur risque génomique. Le critère principal consistait à s’assurer que la survie sans métastase à cinq ans dans le groupe à haut risque clinique et bas risque génomique n’était pas inférieure à 95 %.
Les résultats de Mindact sont identiques pour les patientes avec ou sans envahissement ganglionnaire (moins de trois ganglions), ce qui démontre qu’une classification à faible risque devrait être considérée indépendamment d’autres facteurs.
« Le bénéfice de la chimiothérapie de 1,5 % est à mettre en balance avec les événements indésirables graves de l’ordre de 2 %, à type d’insuffisance cardiaque ou de leucémie induite, explique l’ancienne présidente de l'European Society for Medical Oncology (ESMO) et de l’European CanCer Organisation (ECCO). Pour qu’un traitement adjuvant vaille le coup, le bénéfice doit être nettement supérieur d’au moins 4-5 %. L’analyse à neuf ans, avec un très bon suivi de 92 % des patientes, est superposable à celle à cinq ans ».
Une autre question a été abordée dans ce nouveau travail : existe-t-il un effet âge (≤ 50 ans et > 50 ans) ? « Pour les femmes de plus de 50 ans, il n’y a pas de bénéfice à la chimiothérapie dans le groupe d’intérêt, poursuit l’oncologue bruxelloise. En revanche, pour celles de 50 ans ou moins, le bénéfice est de 5 %, la chimiothérapie commence à avoir un intérêt. Cette observation pourrait être critiquée si elle était isolée mais elle est retrouvée également dans l’étude TAILORx ».
Des arguments pour le remboursement
La question de la chimiothérapie chez les femmes jeunes reste posée, trois essais en explorent le bénéfice. « Beaucoup d’experts pensent que le bénéfice de la chimiothérapie est indirect et dû à un effet endocrinien, explique la Pr Piccart. Ce traitement agressif qui stoppe la fonction ovarienne agirait comme une hormonothérapie. C’est une hypothèse à vérifier. Mais si une patiente est opposée à la chimiothérapie, une hormonothérapie renforcée par analogue de LH-RH est une alternative. Ce n’est pas idéal non plus car les effets secondaires ne sont pas toujours bien tolérés, notamment la ménopause précoce induite ».
Pour la Pr Piccart, les trois essais prospectifs récents autorisent une désescalade chez les plus de 50 ans en cas de signature favorable. Des résultats qui plaident en faveur d’une prise en charge par la collectivité, les tests génomiques n’étant pas encore remboursés en France ni en Belgique. « L’approche se défend sur le plan coût-efficacité, et sans conteste chez les plus de 50 ans si on veut être très économe », ajoute l’oncologue qui souhaite convaincre les autorités belges de la prendre en charge au-delà du programme pilote national.
Les deux signatures n’ont pas de concordance parfaite. MammaPrint, qui est la seule signature à prendre en compte le risque clinique, correspond mieux aux systèmes de santé européens. « La signature américaine Oncotype est proposée à tout le monde, explique la Pr Piccart. Mais à quoi cela sert-il de la demander en cas de faible risque clinique ? ». Un test génomique coûte 3 000 euros, certains traitements plus de 120 000. « C’est profondément injuste et extrêmement choquant de ne pas proposer le remboursement », s’indigne-t-elle. En France, la signature génomique n’est plus prise en charge dans le cadre du dispositif provisoire RIHN.
(1) F. Cardoso et al., NEJM, 2016;375:717-29
(2) M. Piccart et al., Lancet Oncol, mars 2021. doi.org/10.1016/S1470-2045(21)00007-3
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