Les personnes âgées sont surmédiquées

Le patient risque de faire son tri

Publié le 16/11/2010
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LE DR JEAN-MARIE VÉTEL, ex-chef de service de gériatrie du centre hospitalier du Mans, s’occupait d’un service de 300 lits de personnes âgées d’un âge moyen de 85 ans. Il estime que ces patients sont les oubliés de la médecine. « Le sujet âgé est une population pharmacologiquement orpheline », déclare-t-il. « La plupart des médicaments n’ont pas été étudiés chez eux. En dehors de quelques maladies spécifiques, le leitmotiv des gériatres, c’est : " pas de données " sauf dans quelques maladies spécifiques ». Il n’y a pas d’essais thérapeutiques dédiés à cette population. Dans les pathologies qui les concernent, la limite d’âge supérieure à l’inclusion est souvent de 65 ans alors que dans l’immense majorité des cas, les patients qui suivront ces traitements sont très âgés. « On nous demande de faire des extrapolations, s’insurge ce spécialiste, et ce n’est pas possible. » Il n’y a pas d’équivalence entre un médicament étudié chez un insuffisant rénal et une même molécule étudiée chez une personne âgée : le vieux n’est pas un vieux rein. « La pharmacocinétique n’est pas la pharmacodynamique. L’absence d’étude clinique incluant de grands groupes de personnes âgés est indispensable. C’est un vrai problème éthique aujourd’hui ».

Plus de 12 médicaments par ordonnance.

Dans cette attente, il faut gérer la situation en ville qui est extrêmement préoccupante car les personnes âgées sont toujours atteintes de plusieurs pathologies. Chaque spécialiste y va de son traitement, « gold standard » inébranlable et tout s’additionne sur l’ordonnance. Le plus souvent, quand tout le monde s’y met, on observe à l’arrivée pas moins de 12, 15 médicaments. Certains diront que le patient âgé est bien soigné mais il est aussi hautement probable qu’il aura du mal à s’y retrouver, fera son tri et qu’au final l’objectif thérapeutique souhaité risque de ne pas être obtenu, sans compter les effets secondaires et les risques d’interactions médicamenteuses. « Dix pour cent des admissions hospitalières des plus de 75 ans sont liés à l’effet indésirable d’un médicament. Et on estime que 37 % des ordonnances chez les plus de 70 ans comportent au moins un risque d’interaction médicamenteuse dont 1,7 % engage le pronostic vital. » Alors que faire ? Pas facile pour un médecin traitant de décider de ce qu’il faut maintenir ou pas comme un traitement !

Il est indispensable qu’il fasse un arbitrage et en discute avec un gériatre. Ce n’est pas toujours évident car on accusera plus facilement un médecin qui a dé-prescrit qu’un autre qui a sur-prescrit. « Pourtant, faire des entorses aux bonnes pratiques, aux guidelines, et en informer les familles et le patient doit être pesé. »

Une bonne ordonnance doit tendre vers le meilleur rapport bénéfice/risque (1) tout en portant attention à la galénique. « Prenons l’exemple d’un bêtabloquant prescrit en demi-comprimé sécable. J’ai le souvenir d’une patiente qui prenait un comprimé un jour sur deux car elle ne pouvait pas couper son comprimé en deux. Bilan du traitement : sa tension a chuté… et elle aussi ! »

Et, ce n’est pas fini, la prescription doit indiquer le mode d’administration qui tient compte du conditionnement du médicament. Certaines gélules peuvent être ouvertes et mélangées à l’alimentation, à de l’eau sucrée etc.. C’est d’ailleurs pour inciter à écrire ces informations très utiles que le syndicat des gériatres a mis au point et diffuse (2), sans but lucratif, le logiciel Pharmafiche peu onéreux qui apporte des précisions entre autre sur les possibilités de déconditionnement de 150 médicaments essentiels en gériatrie. Alors en attendant les essais cliniques, soyons les experts des poudres et du pilon !

1) Vidal Recos, 3e édition, médicaments et personnes âgées, p 1720

(2) SNGC 31 rue du 10e RA 56000 Vannes

 Dr MARIE-LAURE DIEGO-BOISSONNET

Source : Le Quotidien du Médecin: 8856